J’ai eu l’honneur et le privilège de compter parmi les collaborateurs les plus anciens et les plus proches de Monsieur Diallo Telli. Il faut noter que parmi ses collaborateurs, il y avait aussi Barry Bassirou, Directeur du Service Juridique, ensuite celui du Bureau de l’OUA à Genève, feu Gérard Kamanda, Directeur de Cabinet, feu Édouard Benjamin, Chef de Cabinet et feu Michel Théa, Secrétaire Particulier. ´
Monsieur Diallo Telli a occupé pendant deux mandats (1964-1972) le poste de Secrétaire Général de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA).
Le rôle qu’il a joué dans la vie de l’Organisation pendant ces huit années est largement documenté dans les archives de l’OUA aujourd’hui renommée Union Africaine (UA).
Ses actions allant de la structuration du secrétariat général, de la mise en œuvre des objectifs de l’Organisation, de la politique de décolonisation, de l’assistance aux mouvements de libération, de la lutte contre l’Apartheid, l’intégration économique régionale, la résolution des conflits, la défense des droits de l’homme et des peuples; de la dimension et la reconnaissance de l’Afrique comme une force au sein des instances internationales ont fait de lui une personnalité respectée sur le plan international.
Son souhait, après l’OUA, était de devenir le premier secrétaire général africain de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Ceci non pas par ambition personnelle, mais toujours dans un esprit de promouvoir l’image d’une Afrique qui compte.
A la fin de son deuxième mandat, fort des résultats de son bilan et du soutien de certains Etats, il décida de s’aventurer pour un troisième mandat. Décision qui sera lourde de conséquences, et au sujet de laquelle je ne suis pas sûr qu’il ait consulté certains de ses proches collaborateurs ni qu’il ait obtenu un soutien de Hadja Kadiatou son épouse.
Il faut noter qu’aucune disposition de la Charte ni résolution ou décision ne lui interdisait de se représenter ou d’être présenté par un Etat membre.
Les coulisses du sommet de Rabat
Il faut aussi rappeler que jusqu’à la veille du sommet, le Secrétariat Général de l’OUA n’avait reçu aucune présentation officielle de candidats au poste de secrétaire général de l’OUA.
Deux semaines avant la tenue du sommet, le Roi du Maroc, Sa Majesté Hassan II, a dépêché une mission auprès du Président de la République de Guinée, Son Excellence Ahmed Sékou Touré. Cette mission était dirigée par le Secrétaire Général du Palais Royal, accompagné de Monsieur Diallo Telli et de moi-même.
Le Roi du Maroc qui avait de l’estime pour M. Telli Diallo et une admiration et un grand respect pour le Président Sékou Touré croyait sincèrement à la réélection de Telli. La mission s’est rendue à Conakry à bord d’un jet privé du Palais.
La stratégie chérifienne à travers cette mission était, en premier lieu, d’assurer que le Président Guinéen vienne personnellement assister au Sommet et user du respect qu’il disposait auprès de ses pairs pour favoriser la réélection de Diallo Telli.
Le second volet, en cas d’échec du premier, était que la Guinée propose la candidature de Diallo Telli au poste de secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies et que le Maroc, en sa qualité de Président en exercice de l’OUA, soutienne le candidat africain. Le message ayant été délivré par l’envoyé du Roi, le Président guinéen a promis d’en discuter sous peu, avec le Roi. Nous sommes repartis le même jour pour Rabat.
Dans les couloirs de la conférence, les rumeurs couraient sur la venue ou non du Président Guinéen Ahmed Sékou Touré.
À quelques jours de l’ouverture du sommet, ce doute a été finalement écarté par la présence du Premier Ministre, Lansana Béavogui, comme Chef de la délégation guinéenne à la conférence de l’OUA.
Le jour de l’ouverture du sommet, plusieurs réunions et rencontres de groupes sous régionaux eurent lieu autour du choix des candidatures. Bien que plusieurs noms fussent cités, aucun candidat ne fut officiellement présent.
Abordant la discussion du point de l’ordre du jour (Élection du Secrétaire Général) le Roi du Maroc en sa qualité de Président en exercice de l’OUA et Président de séance décida le huis clos par souci de discrétion pour ce point sensible.
En l’absence de candidatures officielles, la réélection de Diallo Telli fut mise aux voix. Seuls les Chefs d’Etat ou leurs représentants étaient habilités à voter. Après plusieurs tours de vote, Diallo Telli n’ayant pas obtenu la majorité requise, le Roi, Président de séance, décida d’une suspension des discussions pour des consultations.
Il faut noter que le Premier Ministre guinéen n’a pas pris part personnellement au vote pour des raisons que nous ignorons.
A la reprise de la séance, le Président Camerounais, S. E Amadou Ahidjo, après consultations, a introduit la candidature de monsieur N’Zo Ekangaki au poste de Secrétaire général administratif de l’OUA. Ce dernier fut élu après quelques tours de vote.
A la fin de la séance et dans son discours de clôture de la conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement de l’OUA, le Roi du Maroc, Sa Majesté Hassan II, en sa qualité de Président en exercice de l’institution, a rendu un vibrant hommage à M. Diallo Telli et à son équipe, pour les services rendus. Il a déclaré que l’Afrique n’est pas ingrate. L’ancien Secrétaire Général retrouvera bientôt un poste à la mesure des responsabilités qu’il a assumées à la tête de notre continent.
Tous les comptes rendus du sommet de Rabat sont en principe disponibles dans les archives du Secrétariat Général de l’OUA maintenant Union Africaine.
Beaucoup a été dit sur le déroulement de cette élection du Secrétaire général; plusieurs ont spéculé sur ce qui s’y est dit ou fait. Je tiens à préciser que j’étais le seul fonctionnaire du Secrétariat général en ma qualité de Chef des Ressources Humaines, présent dans la salle avec une équipe réduite de personnel technique désignée par moi-même (interprètes, traducteurs et rédacteurs de compte-rendu).
Après notre retour de la conférence, il fallait tirer les conclusions du sommet de Rabat. Diallo Telli devait décider de son avenir : rester à l’étranger ou rentrer en Guinée fort du soutien du Roi du Maroc, pour son éventuelle candidature au poste de Secrétaire Général des Nations Unies.
Son épouse Hadja Kadiatou ainsi que plusieurs amis et proches collaborateurs étaient farouchement opposés au retour en Guinée. A ce nombre, venaient s’ajouter plusieurs grandes personnalités et même certains Chefs d’Etat, craignant le pire pour lui, en cas de retour en Guinée.
Hélas Telli décida, malgré tout et l’opposition de son épouse, de rentrer. Hadja Kadiatou qui était d’une santé fragile bascula de nouveau dans une dépression sévère. La suite de l’histoire est connue de tous.
Pour conclure, je dirai que Telli n’a jamais participé au vote de l’élection du secrétaire général de l’OUA, contrairement à certaines fausses déclarations et qu’il n’était même pas présent dans la salle; seuls les Etats membres ont le droit de voter.
Selon mon analyse, Telli, un juriste diplomate et fin homme politique accusé par certains de complot, accepterait-il de rentrer dans son pays s’il se sentait coupable, surtout qu’il pensait obtenir le soutien de la Guinée pour sa candidature au poste de Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies ? J’en doute. À chacun son analyse et sa conscience. Le temps est remède pour le rétablissement de la vérité et l’histoire Juge.
El Hadj Hassimiou (Hassim) Soumaré
Ancien Fonctionnaire de l’OUA à la retraite