Comme d’autres secteurs économiques en Guinée, la riziculture a souffert des restrictions liées au Covid-19. En Basse-Guinée, importante zone de production céréalière, des masses de paysans se sont reconverties en maraîchers pour survivre au choc. En attendant que l’orage passe.
Hier riziculteur, maraîcher et producteur de manioc en 2020, Aboubacar Camara a vécu une mutation imprévue. Entre deux saisons (2019-2020), ce paysan de la Basse Guinée a été contraint de changer de « métier » pour survivre aux contraintes du Covid-19. Sa production de 1,5 tonne de riz est tombée à…zéro kg car il n’a pu emblaver un seul mètre carré rizicole.
«L’arrêt de la subvention du gouvernement sur les semences, engrais et produits phytosanitaires, et l’absence de fonds propres chez la plupart des paysans ont porté un coup rude à la filière», regrette Fodé Bangoura, autre riziculteur victime du Covid-19.
Avec plus de veine, il a pu aménager quatre hectares rizicoles, contre huit avant la pandémie. Il en a récolté quatre tonnes de riz alors qu’il avait l’habitude d’enregistrer onze tonnes pour sept hectares.
Au moins 30% des paysans de la Basse Guinée ont recours aux engrais subventionnés par l’Etat, indique Aboubacar Conté, directeur exécutif de la Fédération des organisations paysannes des vivriers et saliculteurs de la Basse Guinée (Fop-vs). Quand cette subvention a été suspendue, des importateurs privés se sont engouffrés dans le marché, mais seulement pour tirer les prix vers le haut.
«Le sac de 50 kg à 135 000 francs guinéens (8 500 FCFA environ) avant la pandémie est désormais vendu entre 350 000 et 400 000 francs guinéens (22 000 à 25 000 FCFA)», regrette le responsable de la Fop-vs.
Selon un document du Bureau de stratégie et de développement du ministère de l’Agriculture consulté par Ouestaf News, la chaîne de valeur rizicole a été affaiblie par plusieurs facteurs dont la hausse généralisée du coût de l’engrais, la chute des prix au producteur bord champ, les restrictions à l’exportation vers les pays voisins, etc. Tout ceci, en raison du Covid-19, déclaré dans le pays début mars 2020, selon toujours le même document.
«En 2021, les centres de conditionnement des semences ont augmenté le prix du kilogramme de 7 000 francs guinéens à 10 000 francs guinéens soit une hausse de 30%», selon Aboubacar Conté.
S’adapter à la crise
Après une première année de crises et de restrictions dans la filière rizicole, le gouvernement guinéen affirme s’être inscrit dans une nouvelle dynamique visant à venir au secours des producteurs, notamment ceux de la Basse Guinée.
Beaucoup d’entre eux ont ainsi jeté leur dévolu sur des spéculations comme le maïs, le fonio où les tubercules. Une stratégie de survie qui demande le soutien de l’Etat et de ses services spécialisés, en particulier pour l’accès aux fonds et les modalités de remboursement.
«Avec une structure de microfinance, il est difficile de s’en sortir. Après remboursement de mes emprunts, il ne me reste plus rien. Je travaille pour eux en fin de compte», se plaint Fodé Bangoura, producteur à Forécariah, contacté par téléphone.
Le manque de fonds propres qui touche une bonne partie de producteurs, et des taux d’emprunt jugés élevés n’encouragent pas les paysans à investir plus et mieux dans leurs activités agricoles. « Je peine à trouver de l’argent pour financer l’aménagement de mes périmètres, cela se répercute sur la production. La vente du riz ne suffit pas à couvrir mes besoins pour la campagne suivante », déplore Aboubacar Camara responsable technique de la Fop-vs.
De la transformation du riz
La filière transformation (récolte, séchage, décorticage, triage et conditionnement) a eu aussi sa part d’effets négatifs. Selon Fodé Camara, en 2019, donc avant la survenue du Covid-19, les femmes (de toute la fédération des 8 préfectures) ont décortiqué 82,8 tonnes de riz et ont commercialisé 66,28 tonnes. Ces chiffres ont chuté de près de la moitié pour se situer respectivement à 43,69 tonnes et 35,50 tonnes en 2020.
«Financièrement, nous avons été affectés », résume Fodé Camara. Avec le confinement, «les femmes ont eu du mal à s’approvisionner quand le stock à étuver s’est épuisé. Aucun déplacement n’était permis dans le cadre des restrictions nées du Covid-19». Le peu de quantités déjà séchées était difficile à écouler.
«Il n’y avait pas de clients, elles ont donc vendu à perte. Beaucoup d’entre elles ont perdu leur fonds de commerce et jusqu’à présent, certaines n’ont pas encore fini de rembourser leur prêt», selon Fodé Camara.
Le troc comme solution
Contrairement en 2020, la situation s’est améliorée en 2021 pour Aboubacar Camara. Avec l’aide de sa fédération, le producteur de manioc et de fonio de circonstance revient au riz. Il a aménagé 4 hectares grâce à des partenariats divers. « Nous avons eu la semence avec le Centre semencier et le Centre agronomique. Après la campagne, on rembourse, c’est du troc : semence contre riz. Un kilo de semence contre 1,5 kilo de riz à la récolte », explique le paysan. Le reste de sa récolte lui est alors acheté par le Centre semencier.
« C’est un bureau composé de chefs paysans (chef des producteurs dans un périmètre donné) qui s’en charge ». Cette année, avec la flambée du prix des intrants, Aboubacar Camara espère un prix raisonnable lui permettant de préparer la campagne 2021-2022.
En 2020, selon Fodé Camara, le responsable technique de la fédération (Fop-vs), l’estagnon (12,5 kg) de riz paddy était vendu à 40 000 francs guinéens (2 500 FCFA). A ce prix, le kilo de riz net (prêt à la consommation) était vendu à 7 000 francs guinéens (438 FCFA).
En 2021, ce même estagnon sera vendu à 60.000 francs guinéens (3 750 FCFA). Ce qui ramènera le kilo du riz net à 9 000 francs guinéens (562 FCFA).
Pour permettre aux producteurs de tirer leur épingle du jeu face aux restrictions imposées par le Covid-19, Kerfala Camara, directeur exécutif de l’ONG Maison guinéenne de l’entrepreneur (MGE) souhaite que les producteurs réduisent le coût de la production en optant pour l’agro-écologie, utiliser le moins possible les engrais chimiques.
Cela réduirait le coût et donnerait des produits sains et de qualité. Puis former la main d’œuvre locale, ne pas avoir à faire venir des formateurs à chaque fois comme c’est le cas avec les agriculteurs bissau-guinéens, appelés pour former les producteurs guinéens aux techniques utilisées pour bonifier les récoltes sur la mangrove.
M. Camara demande que l’Etat supporte une partie du taux d’intérêt des prêts souscrits par les producteurs. Ceci, par la mise en place d’un fonds spécial qui prendrait en charge au moins les deux tiers du taux d’intérêt de 3% fixé par les banques.
Pour anticiper sur d’éventuels aléas susceptibles de déstabiliser la filière et d’appauvrir les producteurs, M. Camara demande à l’Etat de mécaniser l’agriculture, doter des moyens de transport pour les étuveuses, désenclaver les zones de productions. Aux partenaires techniques et financiers de soutenir les chaines de valeur riz.
Ouestaf et Le Lynx