Bientôt un trimestre que le CNRD est aux commandes en Guinée, trois mois mis à profit pour se doter des organes et outils indispensables pour le bon déroulement de la Transition et l’atteinte de ses objectifs. Pour ce faire, le CNRD doit, avant tout, faire rupture avec le passé et les mauvaises pratiques : ethnocentrisme d’Etat, gabegie, médiocratie, autoritarisme, improvisation, clientélisme politique, détournement de deniers publics, justice à 2 vitesses, incapacité de mener à terme les projets de développement.
Nous attendons bien évidemment que le quotidien du Guinéen moyen s’améliore. Cette appellation n’est pas très élégante mais elle apporte une précision de taille car nous savons tous que même en Enfer, des privilégiés s’aménagent un petit coin de paradis. Ceux-là ne sont pas concernés par la galère ! Ce phénomène est malheureusement observé dans bon nombre de pays africains là où les inégalités sociales sont criardes. Les fils des privilégiés fréquentent des écoles internationales privées, d’autres se retrouvent dans des écoles sans bancs sinon instituteurs/institutrices. Ceux-là sont pris en charge dans des cliniques spécialisées, bénéficient des évacuations sanitaires à l’étranger aux frais de l’Etat. Pour éviter les interminables bouchons de la circulation, ils forcent le passage avec l’aide d’escortes spéciales. Ils sont équipés de groupes électrogènes pour pallier l’absence de fournitures d’électricité, ils se font des forages pour avoir de l’eau. Pour enfoncer des portes ouvertes, ces rappels n’en permettent pas moins d’attirer l’attention des nouvelles autorités sur des faits qui constituent un frein au développement de notre pays. Ceux qui sont aux postes de décisions sont rarement affectés par les carences et insuffisances des projets et programmes de développement.
Nous sommes unanimes à reconnaître que les Guinéens, toutes ethnies et régions confondues, sont soulagés d’être débarrassés de ce Président qui était sur le point de s’installer à vie, de continuer à les diviser, d’ordonner à ses militaires de tirer sur des innocents et de mettre en prison tout citoyen qui a osé exprimer son opinion.
Au seuil des «cent premiers jours ». Il est peut-être prématuré de tirer un bilan, mais il n’est pas trop tôt de soulever certains points saillants qui ont ponctué l’après 5 septembre sous la houlette de Mamadi Doum-bouillant.
- Libération des prisonniers politiques honteusement détenus à la prison centrale de Conakry notamment,
2) Consultations présumée « des couches représentatives de la nation » pour recueillir les préoccupations des Guinéens,
3) Visites et recueillement au Camp Boiro, au stade du 28 Septembre, aux cimetières des victimes des forces de l’ordre,
4) Réhabilitation des zones jadis bannies et exclues par le régime d’Alpha Condé : « l’axe du mal ». Nous ne sommes plus dans la Guinée « voiture à trois roues »,
5) Nomination d’un Premier ministre et d’un Gouvernement sur la base des « compétences » avec bien sûr encore des imperfections surtout dans les cas des Ministères et Directions nationales clés attribuées à des personnalités jugées “pas assez clean” et ayant été trop proches de l’ancien régime,
6) Volonté affichée, suivie d’actions pour combattre les détournements et la récupération des biens mal acquis, le gel des comptes en banque des fonctionnaires qui se sont illustrés dans l’accumulation des biens puisés dans les caisses de l’Etat. On, on s’oriente vers la moralisation de la chose publique,
9) Décision de maintenir en résidence surveillée l’ancien locataire de Sékoutouréyah avant qu’il ne soit traduit en justice. Face aux pressions à l’international, vous devez tenir bon, l’impunité pourrait anéantir tous nos acquis,
10) les initiatives et actions prises pour achever un certain nombre de chantiers qui piétinaient ou étaient à l’arrêt. C’est le cas notamment des projets routiers pour soulager les usagers. On a souvent vu le ministre des Transports et son équipe sur le terrain s’arracher presque les cheveux pour réorganiser et la circulation à Conakry et à l’intérieur du pays,
11) La mise en scène hyper médiatisée faite du raout du gouvernement à Forécariah la semaine du 20 Novembre 2021 a été diversement accueillie. La chorégraphie presque parfaite a mis en évidence que le Colonel qui jusque-là était toujours apparu mesuré, modeste, courtois et ferme pouvait prendre des postures de “Super Président”. Si tel était l’objectif de cette communication, elle est réussie surtout aidée par la stature de basketteur NBA de notre Colonel national. Nous ne devons surtout pas nous acheminer vers un culte de « Super Président » qui écrase tout ce qui est en face de lui et qui ne supporte plus les contradictions. Ce show nous rappelle l’ambiance d’embrigadement des années Sékou, ainsi que le « Dadis Show » en plus intelligente. Les plus optimistes pensent qu’il s’agissait juste d’un exercice pour booster la cohésion et l’esprit d’équipe entre les Ministres d’une part et entre le Prési et son Gouvernement d’autre part.
12) Le dépôt des candidatures pour les postes de Délégués du CNT a été une foire d’empoigne; la cacophonie observée et le décalage entre ce qui est sur papier et ce qui se passe sur le terrain a dérouté bon nombre de prétendants qui n’ont ainsi pas pu compléter ni déposer leurs dossiers.
La réussite de la Transition, puisque c’est de cela qu’il s’agit ne dépendra pas uniquement du leadership (CNRD, Gouvernement, CNT), nous avons chacun un rôle crucial à jouer.
Dans les dérives et dérapages des différents régimes qui se sont succédé en Guinée, nous avons notre part de responsabilité individuelle et collective. Que nous soyons intellectuels, cadres de l’administration, fonctionnaire, politiciens, commerçants, agriculteurs, artisans, industriels, chefs religieux, nous avons tous pêché quelque part par manque d’intégrité. Depuis l’indépendance en 1958 au règne du Président Alpha Condé, nous avons été opportunistes, malhonnêtes, nous avons perdu le sens de l’honneur et de la dignité, l’amour de la Patrie et le sens du devoir. Nous avons cautionné ouvertement ou hypocritement les atrocités et injustices commises par ces différents régimes.
Ressaisissons-nous ! Souvenez-vous, il n’y a pas longtemps, toutes les ethnies et régions cohabitaient et vivaient en harmonie dans le respect mutuel, la solidarité et la fraternité. Durant mon enfance à Labé et à Dalaba, mon premier cercle d’amis et alliés était composé des Bangoura, Soumah, Barry Kaba, Keita, Kassé, Kanté, bah, Kouyaté, Kénéma, Guilavogui, Kamano, Doumbouya, Diallo Camara, Sow, Najem, Hayek, Zaiter. Il en était de même chez des jeunes de ma génération. Nous avons juste suivi les pas de nos parents qui ont toujours cohabité pacifiquement et dans le respect mutuel. Pour illustrer cette vie en symbiose qui faisant fi de l’appartenance ethnique ou régionale, je ne citerai que la sélection de Basket Ball de la Haute-Guinée à laquelle j’ai eu le bonheur de participer : Diallo Thierno Mamoudou Koung, Barry Thierno Abdoulaye Costa, Barry Thierno Ibrahima Américain, Souaré Ousmane Os, Sankon Youla Mohamed Chamberlain, Douno Djedama, Bah Lemon Goos, Condé Kandas, Fory Gaillard. Lors d’un match opposant la sélection de la Haute-Guinée à celle de la Moyenne-Guinée, un auditeur a pensé que le commentateur confondait les 2 équipes tellement il y avait de joueurs ayant des noms à consonance peuhle dans la sélection de la Haute Guinée. Comment comprendre que la manipulation «Mandeng Djallon» faite par le système Alpha Condé ait pu diviser et installer la haine entre toutes ces populations qui vivaient en bonne entente au Fouta Djallon? Pour qui a connu Mamou la cosmopolite qui était caractérisée par la cohabitation harmonieuse entre toutes les composantes nationales, le déchirement intervenu au sein de la cité ces dernières années est très choquant. Eh, les anciens, prière me confirmer si Mamou a eu par le passé la palme de ville la plus fleurie de l’ex AOF !
Puissions-nous, nous arrêter un moment et nous dire que plus jamais une composante nationale ne cautionnera ou n’applaudira l’anéantissement ou l’exclusion d’une autre.
Dans tous les cas, le dialogue et la reconnaissance de la vérité sur ce qui s’est passé notamment les dérives et exactions sont indispensables à la réconciliation nationale.
Frères des forces de Défense et Sécurité,
Maintenant que vous avez un organe représentatif le CNSD (le Conseil National Supérieur de la Défense), c’est le moment où jamais. Vous devez retrouver la noblesse de votre devoir, vous faire pardonner pour toutes les exactions commises à l’encontre de vos frères guinéens innocents, mieux vaut tard que jamais. Vous avez la possibilité de jouer enfin la mission qui est la vôtre, à savoir défendre la Guinée et les Guinéens et non défendre un régime au pouvoir. Il ne faudrait plus empêcher la population de s’exprimer sur son adhésion, sa désapprobation voire son rejet du système en charge de gérer son avenir. Ne vous laissez pas manipuler.
La réconciliation passe par la reconnaissance de nos erreurs, nos failles, nos faiblesses, nos dérives, notre opportunisme, notre égoïsme, notre cynisme. À tout moment, nous devons desceller et combattre les amalgames et mascarades que nous servent les assoiffés de biens et de pouvoir !
Thierno Ibrahima Barry Américain