C’est avec le cœur serré que l’on fait cette remarque, peut-être futile pour les uns, mais importante pour les autres. C’est un secret de polichinelle que l’une des plaies béantes que le régime Alpha Grimpeur a laissées est la transformation de l’administration publique guinéenne en une administration sympathisante et militante du RPG-arc-en-ciel. Malheureusement, le département ministériel qui a été la cheville ouvrière de cette pratique néfaste est l’Administration du territoire et de la décentralisation.
Voilà onze ans que ce ministère est géré par l’aile dure du RPG. Curieusement, par des anciens bourreaux du RPG, devenus militants zélés et extrémistes. D’abord Alhassane alias Sana Condé, ancien secrétaire d’Etat à l’Administration du territoire et de la décentralisation, qui avait envoyé les flics anti-gangs à la trousse d’un certain Alpha Condé au stade de Coléah en 1992.
Alpha a été obligé de recourir à une nouvelle jouvence pour grimper les murs du stade, d’où son surnom Alpha Grimpeur que le satirique Le Lynx lui collera pour de bon. Toute rancune bue, Alpha Grimpeur élu en 2010, fait appel au même Alhassane Condé, pour exercer le même zèle, cette fois-ci, contre ses opposants. Il le nomme alors ministre de l’Administration du territoire et des Affaires politiques le 4 janvier 2011. Son principal bilan est la création des «Roundés» au Fouta pour assouvir la soif de destruction de la base politique de l’opposant à son nouveau maître, Alpha Grimpeur. Il restera en poste jusqu’au 24 février 2015.
Fidèle à sa philosophie de tourner en bourriques des anciens bourreaux de son parti, Alpha Grimpeur nommera un autre ancien bourreau, le Général Bouréma Condé, comme ministre de l’Administration du territoire et de la décentralisation. Ce décret avait eu la particularité d’être lu par Kaba Condé, DG de la radio nationale, pour limoger un Condé Alhassane et nommer un Condé Bouréma, avec la signature du Prési Condé Alpha. Une succession de Condé du début jusqu’à la fin. Cet ancien bidasse de Fory Coco qui, en tant que sous-préfet à Bananköro (Kérouané), a fait boire d’énormes couleuvres aux militants du RPG dans cette sous-préfecture. Durant six ans, il a roulé l’opposition dans la farine comme voulait son bienfaiteur Alpha Grimpeur, achevé la transformation de l’administration du territoire, entamée par son prédécesseur Alhassane Condé, en une administration sympathisante et militante du RPG. Ce parti qu’il avait longtemps martyrisé sous le règne de Fory Coco. Depuis le 5 septembre dernier, l’intérim du ministre est assuré par le secrétaire général, Dr Yamori Condé. Le 27 octobre dernier, son successeur a été nommé en la personne du jeune Mory Condé. Encore un autre Condé. Le Colonel Doum-bouillant respecte ainsi la «Condéisation» du MATD. Ouf !
Place à une vraie administration publique !
S’il y a un chantier sur lequel le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) est vraiment attendu, est la dépolitisation de l’administration publique en Guinée. L’ancien Prési Alpha Grimpeur a passé onze ans à obliger les administrateurs territoriaux, les responsables des services déconcentrés, à être des militants du RPG-arc-en-ciel. Au début de son régime en 2011, le Grimpeur avait argué qu’aux Etats-Unis d’Amérique on parle d’administration démocrate ou d’administration républicaine. Sauf que cette façon de faire est déjà ancrée dans les habitudes démocratiques américaines.
En Guinée, après le parti-Etat (PDG-RDA) de Sékou Tyran et le PUP, né du multipartisme intégral, de Fory Coco, les Guinéens ne s’attendaient pas à ce que ces mêmes pratiques se poursuivent avec un président «démocratiquement élu». Jusqu’au 4 septembre dernier, toute l’administration publique était militante. Un citoyen dont le militantisme dans un autre parti politique était avéré, était brimé dans ses droits élémentaires dans les services censés être publics. C’est pourquoi, en entendant le 27 octobre dernier le nom de Mory Condé, comme nouveau ministre l’Administration du territoire et de la décentralisation, certains citoyens sont devenus perplexes. On serait tenté de dire que ce ministère est devenu la chasse gardée des «Condé». Tout simplement parce que la gestion de ses deux prédécesseurs sont encore vivaces dans les esprits. Puisque les habitudes ont la peau dure, il y a de quoi s’inquiéter. Le patronyme «Condé» fait peur et fait croire que les mêmes pratiques vont continuer. D’autant que l’ancien Prési Alpha Grimpeur s’est appuyé sur ce ministère pour gagner les sélections euh…élections durant son règne. Malgré le fait que ce département ait été dépouillé de l’organisation des élections depuis 2010, il a continué à jouer un rôle important dans la dépendance de la CENI à l’administration, contrairement aux textes juridiques. Elle a toujours été bafouée par le gouvernement à travers les ministres de l’Administration du territoire et de la décentralisation. Pourtant, le patronyme de ce jeune ministre ne devrait pas être vu d’un mauvais œil. Il doit jouir du bénéfice du doute qu’on accorde à tout nouveau responsable d’une entité.
Le MATD va-t-il organiser les élections ?
Depuis quelques semaines, des voix s’élèvent pour solliciter le retour de l’organisation des élections au ministère de l’Administration du territoire et de la décentralisation. Le premier discours de Mory Condé semble aller dans ce sens : «Cette cérémonie intervient dans un contexte très particulier pour notre pays qui s’est engagé dans une transition depuis le 5 septembre qui doit nous mener vers le rétablissement d’un ordre constitutionnel avec le concours de tous les Guinéens, débouchant sur l’organisation d’élections libres, crédibles et transparentes. L’organisation de ces futures élections suscite d’énormes attentes. L’esprit d’équipe doit prévaloir pour y arriver. L’engagement et la mobilisation de mes futurs collaborateurs constitueront pour moi une force de progrès et un gage de réussite». Et toc ! Ce n’est pas mauvais en soi. Mais le passif de ce ministère, même dépouillé de ce rôle au profit de la CENI, ne plaide pas en sa faveur. Surtout que cette transition a l’air d’une révolution de palais. Le Colonel Doum-bouillant fait des dénonciations sans citer nommément les personnes responsables des maux dénoncés, parce qu’il ne veut pas contrarier les dignitaires du régime déchu. Une preuve suffisante encore que cette administration publique actuelle est pour le moment au service de l’ancien régime. Les communicants du RPG-arc-en-ciel ne se gênent pas de jurer que si les élections se tenaient aujourd’hui qu’ils les gagneraient haut la main.
Pour rassurer tous les acteurs politiques, le Colonel Laye-M’a-dit Doumbouya doit prouver qu’il n’est pas au service d’une aile du RPG qui aurait eu raison de l’autre aile, pour la succession à Alpha Grimpeur. La CENI peut toujours exister avec de nouvelles règles pour sa composition et montrer sa vraie indépendance vis-à-vis du président de la Transition, mais aussi du gouvernement et des autres organes de la transition. Sûr que le temps édifiera les Guinéens.
Abdoulaye S. Camara