Par Thierno Barry Américain
Ce titre, un rien énigmatique, m’a été inspiré par une scène que j’ai vécue.
– Il y a exactement un demi-siècle après l’agression du 22 Novembre 1970 ou débarquement du 22 Novembre, ou encore opération «Mare el verde ».
– À la Place de l’Indépendance de Kankan située non loin de l’IPK, de nombreuses écoles primaires et du Lycée 3 Avril.
– La pendaison publique d’un Guinéen accusé d’être complice de l’agression.
Une mise en scène ni baroque, ni tragi-comique, plutôt tragique. Parodiquement, les « Révolutionnaires » qui ont commandité ces spectacles joués dans toutes les grandes villes du pays ont-ils été inspirés par les classiques et leur fameuse Règle des trois unités : «Qu’en un jour, qu’en un lieu, une pendaison accomplie tienne jusqu’à la fin le public horrifié ». Toutefois, ici nous n’étions plus dans le théâtre placé sous le signe de la raison, qui plait et instruit, mais dans le théâtre de la déraison, qui choque et détruit.
Un théâtre de mauvais goût, dirait l’autre ! Pourtant nous sommes au pays de Kéîta Fodéba qui a gratifié le monde des illustres «Ballets Africains de Guinée». Nous sommes au pays où la célébration de la déesse de la fécondité, Nimba, à la fin de saison des pluies, a inspiré un théâtre national florissant et un artisanat réputé. Ne nous perdons pas dans ces considérations de politique théâtralisée, revenons à la scène macabre de la Place de l’Indépendance. La sale besogne accomplie, le maître de cérémonie (j’oublie ses titre et fonction), de lancer à la foule de “gamins” que nous étions en indexant le pendu : «Cet énergumène ne nous inspire aucune pitié, tous les ennemis de la Révolution finiront comme lui».
Un demi-siècle, et ces mots résonnent encore en moi, d’autant plus fort que je connaissais personnellement la victime et que j’avais l’intime conviction qu’elle était innocente. Son seul crime avait été d’être un cadre de la Société nationale d’électricité et d’avoir été formé aux USA. Je ne sais pas si le maître de cérémonie, imprécateur était un « ennemi de la Révolution ». Je sais, par contre, que moins d’un an après son imprécation, il a été arrêté, a fini ses jours dans les geôles de Sékou Touré. Vous connaissez bien la spirale des complots permanents où les bourreaux finissent souvent par être anéantis parce qu’ils en savent trop, en témoins de mascarades, injustices, malversations et manipulations. Historiens et politistes se sont penchés sur la « vérité » de la nuit du 22 Novembre 1970. Il reste à dire. Il est avéré le débarquement de soldats portugais et d’opposants guinéens. Il y a bel et bien eu lieu des prisonniers libérés, nombre de personnes tuées. Il faudra faire la lumière sur le comment, les exécutants, les commanditaires et leurs objectifs, l’impact sur la Guinée et les Guinéens, la récupération qu’en a faite le régime Sékou, qui s’est radicalisé, l’a fait payer aux Guinéens : exode massif des Guinéens particulièrement des jeunes, paysans, étudiants et cadres vers les pays voisins comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal et la Sierra Leone. Traverser les frontières était risqué et périlleux, ordre était donné de tirer sur tout ce qui bouge.
Il faudrait des livres et des livres pour relater l’aventure de ces jeunes Guinéens partis de chez eux pour échapper à la prison, l’arbitraire et l’injustice. Le chemin parcouru ou à parcourir était semé d’embûches et d’obstacles. Ces jeunes sans expérience de la vie, sans papiers d’identité ou de diplôme devaient emprunter des routes inconnues pour bluffer les miliciens, forces très spéciales de défense & de sécurité fondues dans le populo, bandes d’espions, de cafteurs, de délateurs. Ceux qui réussissaient à traverser ne tardaient pas à se confronter à la dure réalité de l’exil : ni encadrement et soutien familial, ni de revenus, ni domicile fixe, ni job. Il est à saluer les généreux hébergeurs de la Cité Rouge et du campus de Cocody. Il est à remercier les peuples ivoirien et sénégalais pour leur soutien matériel et moral. Mais le nombre des nécessiteux augmentait à v, l’offre était de loin inférieure à la demande. Vous aviez faim ? la fontaine d’eau glacée était disponible et gratuite ; vous ne teniez plus debout de sommeil, vous deviez bousculer ceux qui avaient eu la chance de se coucher pour qu’ils libèrent les couchettes. La dèche et la souskine, mieux valait en entendre parler que les vivre. Bien des compatriotes peuvent relater mieux que moi cette époque, je pense à professeur Hassimiou d’Abidjan, Sidoux Barry, Tierno Monénembo, Touré Oumar Mickty, Sory Tairé, Yaya Popodara, Colonel Souleymane, Chouran Camara, Ciré Atlanta, Grand Mano Katty, Souleymane Maso, Banotic National, Djakouz MJ, Joe Barry, Potin Wann, Benga, Me Mathos, Sanoussy Montréal, Siradiou Kankalabé, Mick Dara, Bali Face d’Ange, J.P. Hollande, Barry Moussa, Boubacar Sadio, Barou Genève, Bah Prési, Souleymane Touny, Ousmane Noché, Mamadou Lockito, Souleymane FratMat (actuel Gros Lynx) et j’en oublie.
Après 1970, 2021. Revenons à Kankan, joignons Landréah, de la résidence «privée» de Hadja Djéné Kaba. C’est là que le CNRD a choisi de transférer l’ex-prési Alpha Grimpeur.
Voyage dans le temps et dans l’espace !
Nous nous savons impuissants devant le temps mais pouvons influer sur l’espace. Le temps, lui, déroule son chrono à sa guise, nous ne pouvons que l’implorer ou le célébrer, de temps en temps. «Ô temps suspends ton vol» (Lamartine) illustre fort cette impuissance. En Guinée, nous demeurons malheureusement impuissants devant l’espace aussi, le trajet Kankan-Conakry-Landréah le confirme, l’état des routes et des ponts, quel cauchemar ! Pas une seule autoroute qui relie deux villes. Ailleurs on parle de 3ème Highway, de 4ème et 5ème pont à construire. Notre pont colonial-national de Linsan à une voie est souvent impraticable, le pays est coupé en deux. Il faut près de 4 h pour parcourir les 135 km de Kindia à Conakry. A ce jour, il n’y a pas d’autres possibilités que la voie terrestre pour rallier Conakry, en partant de Kankan, Labé ou Nzérékoré. Le chemin de fer Conakry-Niger “légué” par les Colons a été tout bonnement démantelé et le fer et l’acier revendus ! Vous nous direz que le Sénégal et le Mali eux non plus n’ont pu assurer la continuité/circulation du train Dakar-Bamako. Le Dakar-Ouaga a survécu aux dix années de guerre pour le bonheur des populations riveraines. Que dire de la voie aérienne ? Que dalle ! Alpha Condé nous avait pourtant annoncé en grande pompe la création d’une compagnie aérienne qui allait desservir les aéroports inexistants de l’intérieur du pays. Comme d’hab, des mots, rien de concret, de la poudre aux yeux. Après le Bac, en 1968, je faisais mon baptême de l’air : Kankan-Labé par Air-Guinée. Demba, repose en paix, mais sache que nous ne pouvons plus écouter la chanson «Vitesse, Confort, Sécurité, Air-Guinée!». Merci mon cher papa de m’avoir donné cette chance ! D’autres promotionnaires avaient pris le train à Mamou pour Kankan distant d’environ 400 km. Panne du train, la suite effectuée à pied et en camion, le tout ponctué par des nuits à la belle étoile et par des exercices d’auto-ingénierie de ponts et chaussées. Les plus chanceux parviendront à Kankan 3 semaines plus tard. Il y a peu, le plus jeune de cette épopée, un certain Lamine Sow me relatait ce voyage mémorable. Feu Chérif Poréko Ringo nous avait relaté en long et en large cette aventure. Sûr, s’il avait écrit ses mémoires, l’expédition aurait eu la part belle.
Mais nous sommes à Landréah, dimanche 28 novembre (encore un dimanche !) Le Cid (Corneille) qui m’inspire :
Ô rage, Ô désespoir, n’ai-je donc tant vécu que pour voir ma Guinée sombrer, empirer de régime en régime ?
Le transfèrement ou le transfert (les Autorités doivent nous situer) de l’ex-Président Alpha Condé du Palais Mohamed V à la Résidence privée de l’ex Première Dame Hadja DjénèKaba sise à Landréah suscite moult interrogations et réactions. Certains ont été soulagés et voient dans ce “move” les premiers pas vers la libération prochaine de leur champion. D’autres, de loin les plus nombreux, vivent cet événement comme une injustice. Pour ma part, je m’attendais à une réaction de taille qui aurait indiqué clairement que nous ne sommes plus à l’ère de la mamaya gouvernementale habituelle et que nous entamons une nouvelle ère, celle d’une transition qui va poser les bases de l’Etat de droit rêvé des Guinéens. M. le ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat & porte-parole du gouvernement ; la récupération des domaines et biens publics, me semble-t-il, fait bel et bien partie de vos priorités, non ? Faire une exception pour le couple ex-présidentiel décrédibilisera fortement le Gouvernement, ouvrira la porte aux dérives. Par ailleurs, le transfert ou transfèrement de l’ex-Président, les événements d’enjeu national, le CNRD et le Gouvernement doivent mieux communiquer ; ca y faillir peut être perçu comme un mépris pour le peuple, cela susciterait des interprétations ou explications fallacieuses. Au-delà du transfert ou du transfèrement de l’ex-Président, c’est le débat sur l’impunité qui est relancé. Alpha, les comptables de cette décennie de vols et de tueries doivent répondre de leurs forfaitures.
Colonel Doumbouya, CNRD, Gouvernement, vous n’allez quand-même pas vous arrêter en si bon chemin juste pour faire plaisir à une camarilla de Présidents et d’hommes d’affaires tapis derrière des organisations internationales comme la CEDEAO. Ni chantage ni pression, Alpha « le fossoyeur de la Guinée et du Panafricanisme » n’échappera pas à la justice. Nous ne connaissons pas toutes les motivations de tout ce petit monde qui pousse pour que l’ex-Président soit libre de ses mouvements. Ce qui est certain, ils ne sont pas mus par humanisme ou respect de la dignité humaine. A maintes occasions, ils ont montré qu’ils s’inscrivent dans ce registre des profits et du pillage des ressources des pays africains. Nous ne devons pas prendre le risque de voir Alpha se volatiliser dans la nature. Ils doiventnous laisser sereinement gérer notre Transition. Ne prenons pas le risque de voir Alpha échapper à la justice.
M. Alpha Condé a refusé à des prisonniers innocents de se soigner, régné en divisant les Guinéens, ordonné de tirer sur des enfants, ordonné de traquer des citoyens jusque dans les cimetières, de violenter et de gazer les sages réunis en conclave à Dubréka. Il a flagramment modifié la Constitution pour s’octroyer un illégal 3ème mandat, il n’a pas hésité à marcher sur des dizaines de cadavres d’innocents pour y arriver. La cerise sur le gâteau constitutionnel, vous connaissez : la version de la Constitution proposée au référendum est différente de celle présentée pour adoption… Mon Colonel, personne ne vous fera l’offense de vouloir vous édifier sur la personnalité et les agissements de l’ex-Président Alpha Condé. Dans une livraison précédente du Lynx n° 1537 datée du 27 septembre 2021, je suggérai, pour vous voir sortir par la grande porte de l’Histoire : « Tout ce que je dirai ou ferai doit aller dans le sens de l’équité et viser le bonheur du peuple. Désormais, je n’appartiens plus à une famille ou à un clan, j’appartiens à un pays et à l’Histoire ».
L’apaisement, la sérénité, la confiance et la réconciliation nationale ne sont pas compatibles avec l’impunité. M. Alpha Condé, s’il est libre, brûlera la «case Guinée», contribuera à déstabiliser la sous-région. Cette déstabilisationne préoccupe pas les «gérants de la CEDEAO», ils se soucient du confort et du sort d’un Président qui, dix ans durant, a tué et volé pour se maintenir au pouvoir.
Colonel Doumbouya, CNRD, les Guinéens souhaitent voir réussir notre Transition et cette expérience inspirer d’autres pays en Afrique. Un leader dont vous avez parlé dans votre premier discours vous dirait : «Non mon frère, tu ne peux pas libérer M. Alpha Condé sans le juger, Bro, you have to lead by example ». Repose en paix vaillant soldat du peuple, bro Rawlings, je maudis le Covid-19 qui ignore que des hommes comme toi ne meurent pas.
Quant à l’énergumène d’Alpha Condé, il ne nous inspire aucune fierté, il nous inspire plutôt, la mal gouvernance et l’injustice. Tous les ennemis de la Nation comme lui doivent être jugés et répondre de leurs crimes.
Sans haine et sans rancune ! Pour que la Guinée avance !
Thierno Ibrahima Barry Américain