Monsieur le Président,

C’est un citoyen guinéen ordinaire qui s’adresse à vous. Non pas en tant que victime de Sékou Touré et de sa révolution qu’il a été du 9 décembre 1961 au 2 octobre 1967 au camp de la garde républicaine de Camayenne et à la prison civile de Guéckédou. Je vous rassure, je m’adresse à vous sans aucun sentiment de revanche mais surtout dans une disponibilité totale à la refondation de l’Etat et à la réconciliation nationale dans l’intérêt de la Guinée qui semble votre intention.

Monsieur le Président,

Je voudrais que vous sachiez que la réhabilitation de Sékou Touré et de sa révolution est une affaire de la Guinée tout entière. Une affaire suffisamment grave et complexe qui doit être menée de manière entière, responsable et consensuelle pour être acceptable et acceptée de tous.

Monsieur le Président,

Un décret pris même par un Président ne peut, à mon avis, suffire dans une telle entreprise. Il y faudrait un large débat national et au minimum une loi de l’Assemblée nationale. Au maximum, un référendum.

Monsieur le Président,

L’histoire de la Guinée reste encore à écrire. Très peu de gens, même au sommet de l’Etat et de la nation, connaissent cette histoire. La plupart des acteurs politiques l’ignorent ou feignent de l’ignorer. De cette histoire, on a voulu ne retenir, le plus souvent, que la page glorieuse fabriquée pour et par la propagande. La page sombre, douloureuse, hideuse a tendance à être cachée, effacée.

Monsieur le Président,

Nous devons connaître et assumer toute l’histoire. Aussi bien la « glorieuse » que la « hideuse ».

Monsieur le Président,

La plupart des Guinéens ne retiennent de Sékou Touré que son rôle supposé dans l’accession à l’indépendance. Ce rôle de père de l’indépendance doit être vu avec beaucoup de circonspection. De mon humble point de vue, les vrais pères de l’indépendance guinéenne et africaine sont les élèves et étudiants guinéens et la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France (FEANF) qui, les premiers, ont lancé le mot d’ordre d’indépendance.

D’un autre côté, dans l’ordre chronologique, le premier mouvement politique guinéen à appeler à voter pour le non est le Parti du Regroupement Africain (P.R.A).

Sékou Touré et le PDG ne se sont prononcés pour le non qu’au congrès de Mamou, soit un mois avant le référendum.

Sékou Touré et le PDG n’ont de mérite que d’être au pouvoir à Conakry au moment de l’indépendance. D’autre part, l’hommage qui doit être rendu à un Président ne doit l’être qu’en fonction de son action positive à la tête de l’Etat. Il ne faut pas perdre de vue non plus la nature du système qui nous a gouvernés depuis 1958. C’est un système non démocratique. Un système de pouvoir personnel. Un système dictatorial. Un système prédateur et mafieux. Ce système a été instauré et pérennisé par Sékou Touré. Et nous continuons à ce jour à en payer les conséquences néfastes.

Pour terminer, Monsieur le Président, je m’en voudrais de ne pas attirer votre attention sur le fait que vous venez de mettre en branle une réhabilitation qui risque de vous aliéner la sympathie de millions de Guinéennes et de Guinéens qui se sentent frustrés, à juste raison, parce que leurs parents, amis ou de simples citoyens, ont été des victimes innocentes d’un régime qui les a broyées, anéanties, sans aucune raison et sans aucune forme de justice.

En effet, Monsieur le Président, aucun des prétendus comploteurs contre le régime de Sékou Touré n’a eu droit à la moindre présomption d’innocence, ni au moindre procès équitable, contradictoire et juste qu’exige la justice.

Monsieur le Président, veuillez croire, à l’expression de mes sentiments patriotiques et de mon profond respect.

El Hadj Mamadou Kolon Diallo, citoyen guinéen