L’Aéroport international de Conakry-Gbessia est devenu l’Aéroport international Ahmed Sékou Touré, le 16 décembre, ce qui fait couler beaucoup d’encre et de salive. Les victimes du régime de Sékou Touré, réunies en collectif, s’indignent et désapprouvent la rebaptisation, tandis que ses partisans jubilent et saluent l’initiative du Président de la Transition, Mamadi Doumbouya.

Interrogé par Espace FM, le 20 décembre, Ousmane Kaba, le leader du Pades (Parti des démocrates pour l’espoir), a invité les Guinéens à faire face à leur histoire. «Nous sommes avec les blessures de l’histoire qui font des convulsions de temps en temps. Elles font aussi que les gens perdent complètement la boussole. Est-ce qu’il y a de plus naturel que de nommer un aéroport au nom du président qui a donné l’indépendance au pays, comme au Mali, au Sénégal, en France. Je pense qu’on a trop retardé pour le faire. Pourquoi il y a tant de réactions ? Cela veut dire que le pays est mal guéri de ses blessures, c’est tout. C’est la réalité», explique-t-il.

Le passé politique et social de la Guinée est chargé de crimes et de violences d’Etat, impunis pour la plupart. Difficile de parler d’une mémoire collective, du fait que victimes et bourreaux de différents régimes politiques ne s’entendent pas. Ousmane Kaba estime que les Guinéens sont en train de fuir leur histoire depuis l’indépendance. «Nous ne l’assumons pas, nous ne rétablissons pas la vérité. Il n’y a jamais eu de jugement, alors que la Guinée a été blessée tout le temps. En 1970, on se rappelle cette fameuse agression portugaise, pour laquelle il n’y a pas eu de jugement objectif. Pas aussi de jugement concernant les meurtres de 2007 au Pont 8 novembre (échangeur de Moussodougou, Ndlr), non plus pour les massacres du 28 septembre 2009 au Stade du même nom, à Conakry. Il faut qu’on arrête ! Il faut que les Guinéens acceptent la vérité ! Tout le problème est de situer les responsabilités, car nous avons toujours enterré les dossiers et cela nous rattrape toujours », a déclaré le président du Pades.

Ousmane Kaba appelle le peuple à assumer son histoire, à accepter « les évidences ». Que l’Aéroport international de Conakry-Gbessia soit rebaptisé Aéroport international Ahmed Sékou Touré ou qu’un boulevard immortalise Diallo Telli, ne devraient pas « nous empêcher d’assumer » notre histoire. Le politicien exhorte le gouvernement de rouvrir tous les dossiers afin de révéler « la vérité » sur les évènements douloureux marquant l’histoire de la Guinée. Il estime que « tant que » cela ne sera pas fait, la Guinée « ne restera pas en paix avec son passé ». Aussi déplore-t-il que « chacun déforme l’histoire à sa guise, la racontant à son enfant en tirant la couverture à soi. »

Plus de victimes Malinkés que Peuls ?

Ahmed Sékou Touré qui aurait déclaré la guerre aux Peuls, demeure une figure controversée au sein de celle-ci, d’où son sobriquet ‘’anti-Peuls’’. Pour Ousmane Kaba, le ‘’révolutionnaire’’ ne l’a jamais été, que c’est un « gros mensonge historique » qui est distillé par beaucoup de gens. « Il y a deux faces : l’une a donné l’indépendance à la Guinée ; elle symbolise la dignité de l’Afrique et le combat que Sékou Touré a mené pour l’émancipation de la Guinée et de l’Afrique ; l’autre est que la Guinée a subi des privations, des embargos, des naufrages diplomatiques qui ont entraîné une répression », ajoute Ousmane Kaba. Pour lui, la Guinée « a toujours fui » les procès qu’elle aurait organisés. Mais, poursuit-il, si cela demeure, le mal gangrènera davantage la société. 

«Ayons le courage de regarder notre histoire en face. On parle de Sékou Touré, savez-vous qu’il a tué plus de Malinkés que de Peuls ? Combien de jeunes guinéens le savent ? Ne pas rendre justice aux victimes est absolument insensé. Je comprends bien qu’il y ait des frustrés, mais c’est parce que justice n’est pas rendue. C’est un fait. Mais on ouvrira les pages de l’histoire afin que la vérité soit dite», renchérit Ousmane Kaba.  

Yaya Doumbouya