Elle n’avait que 3 ans. Sa vie a été écourtée violemment vendredi, 26 novembre dernier au quartier Madina, dans la commune urbaine de Labé, en Moyenne-Guinée. Ce jour-là, Néné Oumou a été enlevée au domicile familial en milieu de journée. Inquiets, ses parents se lancent à sa recherche jusqu’à la tombée de la nuit. Un témoin affirme l’avoir vue avec un jeune homme bien connu dans le secteur. Le suspect est appréhendé par la gendarmerie, passe aux aveux : lui et sa bande avaient violé la fillette jusqu’à ce que mort s’en suive ! Le corps inerte est découvert dans l’heure qui suit, dans une maison en chantier. L’indignation s’empare de la ville et du pays.

Ce n’est pas le premier viol que connaît le Foutah, mais celui-là se singularise par l’âge de la victime et son côté funeste.

Depuis un certain temps, la région de Labé s’est taillé une triste réputation : le nombre de viols affole les statistiques au niveau national. L’Inspection régionale de l’Action sociale, de janvier à octobre 2021, fait état de 41 cas de viols, la moitié en est enregistrée dans la commune urbaine, selon Mme Fatoumata Diakité. Et ce n’est pas tout. Du 26 novembre au 2 décembre, la presse a dénombré 5 cas de viols ou de tentatives de viol sur mineures à Labé.

A Labé et dans le pays, l’indignation le cède à l’incompréhension et l’impuissance face au phénomène du viol.

Même pendant les 16 jours d’activisme contre les violences à l’égard des femmes, celles-ci ne sont pas épargnées. S’y ajoute, l’impuissance face à l’explosion des cas de viols et d’agressions sexuelles en Guinée et dans la région de Labé.

A l’échelle majeure, des statistiques de la police à travers l’Office de protection du genre, de l’enfance et des mœurs font état de 199 cas répertoriés uniquement par ce service, entre janvier et septembre 2021. Des chiffres, sans doute sous-évalués. L’âge des victimes dans la plupart des cas est en dessous de 18 ans.

Profil des violeurs

La psychopathologie des auteurs d’agressions sexuelles est peu documentée. Un groupe de médecins légistes sous la houlette du Professeur Hassane Bah a interrogé un échantillon à propos des aspects médicolégaux et psychiatriques des auteurs d’agressions sexuelles sur mineures à Conakry.

Pendant six mois (de mars à septembre 2019), 101 présumés auteurs d’agressions sexuelles ont été interrogés auprès des services de police et de gendarmerie ainsi qu’à la prison centrale. Il ressort que la tranche d’âge de 20 à 29 ans était la plus représentée avec 45,54% ; 98% étaient de sexe masculin, célibataires dans la majorité des cas. Les ouvriers représentent 50,50% et les élèves/étudiants, 12,87% des cas. Dans 95,05%, des cas, le lien extrafamilial était représenté avec une prédominance des voisins à 41,67%.

Sur l’état mental des agresseurs, 51,49% étaient indemnes de tous troubles psychopathologiques. 14,85% souffraient d’addiction à de substances psychoactives. Le reste, ce sont des hommes souffrant de troubles maniaques de stress post-traumatique.

Sur le type d’agression sexuelles, le viol était la principale citée au cours de l’étude avec un taux de 72,10%, suivi des attouchements 27,00%.

Les ressorts sociologiques du phénomène restent encore méconnus. Toutefois, des acteurs de la lutte contre les agressions sexuelles appellent à la réalisation d’enquêtes socio-anthropologiques à dimension nationale, afin de mieux comprendre les causes. En attendant, le Pr Bano Barry sociologue, pense que la réaction des acteurs de lutte face au fléau du viol « c’est de l’agitation ». Il dit que pour connaître les ressorts profonds du viol, il faut l’étudier. Lui qui a été ministre de l’Education nationale reproche au gouvernement guinéen de ne pas lancer d’études d’envergure, pour mieux cerner le sujet. «Si ce ne sont pas les partenaires de la Guinée qui financent, le gouvernement ne le fera pas», déplore-t-il.

Que faire ?

Que faut-il faire pour mettre un terme à ce cycle infernal de viols et agressions sexuelles ? Sur les réseaux sociaux, chacun y va de son commentaire. D’aucuns, sous le coup de l’émotion, n’hésitent pas à proposer des solutions extrêmes, comme la castration des violeurs reconnus.

Plus sérieusement, les ONG de défense des droits de l’Homme prônent la sensibilisation avec l’implication des religieux, notamment les imams pour passer le message dans les sermons du vendredi. «Que les religieux s’impliquent, c’est déjà bien. Avec une maîtrise des éléments de langage, il y a espoir que leur message passe», commente Mme Sylla Djeinabou de l’ONG Mon Enfant, Ma Vie.

Justement, le vendredi 3 décembre, le sermon portait sur les viols et agressions sexuelles à l’égard des femmes. Mais est-ce suffisant ?

Pour prévenir le viol, Mme Sylla suggère l’introduction dans les programmes scolaires des notions de défense et de protection contre les agressions sexuelles. «Les jeunes, filles et garçons, doivent comprendre c’est quoi le viol, c’est quoi une violence sexuelle, comment se protéger, quelle conduite à tenir si on est victime ou témoin».

Quid de la justice ?

Selon l’étude citée précédemment, sur les 101 accusés de violences sexuelles enquêtés, seuls 8 ont été jugés et condamnés à des peines d’emprisonnement allant de 3 à 10 ans. Un chiffre qui montre toute la défaillance du système pénal en matière de prise en charge judiciaire des viols en Guinée. La plupart des cas de viols qui arrivent en justice sont classés sans suite pour diverses raisons.

De l’avis d’une avocate, sur la chaine pénale, ce qui freine la gestion des agressions sexuelles, c’est le problème de formation et de spécialisation. «Lorsqu’il y a des spécialistes en la matière, la prise en charge se fait beaucoup plus rapidement», estime Me Halimatou Camara. Même que les services de police et de gendarmerie dédiés à cette lutte (l’OPROGEM et la BPPV), doivent être mieux outillés. «Pour que les enquêtes préliminaires apportent de preuves irréfutables, il faut qu’on ait de solides dossiers à fournir au juge», soutient-elle.

L’obtention de ces preuves passe par la mise en place d’un laboratoire de police technique et scientifique pour des examens plus approfondis sur les victimes et ou les accusés. «Qu’on puisse faire des prélèvements de spermes sur la victime et d’empreintes sur l’accusé, afin de confronter les ADN. C’est ce qui permettra aux magistrats de juger les affaires d’agressions sexuelles avec plus de conviction et de rendre de décisions sans tergiverser», préconise le Pr Hassane Bah, chef de la médecine-légale du CHU de Ignace Deen.

Gageons que l’indignation suscitée par les viols récents servira d’électrochoc réveillera les autorités et la société.

Asmaou Barry