Dans le sillage de la chute du mur de Berlin en 1989, l’Afrique a connu un vent de renouveau qui a soufflé sur tout le continent. C’est alors que conférences nationales, liberté d’expression, libéralisation des médias ont, entre autres, participé à la remise en cause de l’hégémonie des Partis Uniques – qui n’avait que trop duré – et à l’instauration du pluralisme politique. Cette nouvelle ère a remis au goût du jour la nécessité d’instauration de la démocratie dans les Etats africains. L’ouverture de cette nouvelle ère de l’histoire politique africaine a, de ce fait, créé les conditions favorables à l’organisation d’élections ouvertes et à l’arrivée à la tête de plusieurs pays de présidents qui ont fait des études universitaires à la place de militaires ayant accédé au pouvoir par coup d’Etat.
Toutefois si cette nouvelle ère a suscité plein d’espoir chez les citoyens, les derniers événements survenus dans plusieurs pays dont, entre autres, le Tchad, le Mali, le Burkina, la Guinée, le Soudan, laissent en revanche perplexe tout esprit éclairé sur l’avenir de l’Afrique. En effet, la stabilité politique d’un Etat et de ses institutions est le premier gage pour s’assurer un développement. A l’inverse, un coup d’Etat militaire participe toujours de l’instabilité politique d’un pays. La fragilisation du pouvoir ne rassurant personne, pendant ce temps, le pays n’attirera de ce fait aucun investisseur étranger. D’où l’inquiétude grandissante que soulève la résurgence de la tradition des coups d’Etat militaires inaugurée en Afrique dans la période postcoloniale, quelques années seulement après l’accession à l’indépendance des anciennes colonies.
Pour mémoire, le Burkina a déjà enregistré dans son histoire politique sept coups d’Etat militaires. Et si un changement de pouvoir suscite toujours beaucoup d’espoir chez les esprits superficiels, l’expérience a montré qu’il en faut beaucoup plus pour garantir la situation sociopolitique d’après car seul un changement en profondeur peut garantir l‘avenir d’un pays. Plus concrètement, il faut rompre avec les mauvaises habitudes de la mal-gouvernance et promouvoir plus de rationalité dans la manière de gérer les affaires. Mais ce qui arrive le plus souvent en Afrique, dans la période consécutive au changement de président, c’est plutôt la continuité des habitudes sédimentées au fil de plusieurs décennies depuis l’indépendance qui s’impose que de transformations qualitatives. Après le changement à la tête d’un pays, on revient toujours à la case de départ. C’est ainsi que les peuples africains sont perpétuellement désabusés par leurs gouvernants. Alors qu’ils se laissent emporter par de promesses vaines, à peine l’euphorie du changement contenue, les âpres de la vie quotidienne reprennent leur cours habituel avec le lot de malheurs qu’ils charrient. Telle une fumée de cigarette, les faux espoirs nés de promesses factuelles se volatilisent, comme si aucun changement n’était intervenu dans la vie politique.
A titre d’exemple, on peut constater que pour se hisser au premier plan des pays à revenus intermédiaires voire développés, les Etats asiatiques – à l’image des quatre dragons – ont créé toutes les conditions favorables à leur développement. On peut s’attarder ici sur deux aspects essentiellement : la stabilité et le travail. De la même manière, la plupart des pays d’Amérique latine s’en sortent de nos jours mieux que l’Afrique qui tire la queue du peloton des pays pauvres, toujours classés les derniers en indice de développement. Face à cette situation désastreuse, nombreux sont les Africains qui portent toujours un regard accusateur que sur les puissances européennes. Or au lieu de chercher des boucs émissaires, coupables idéaux, les Africains devraient prendre leur destin en main ; ainsi s’avère-t-il important d’être à pied d’œuvre en vue de mettre un peu plus d’ordre dans leurs Etats respectifs.
En observateur patient de la situation sociopolitique qui prévaut dans la plupart des pays africains, il m’est arrivé d’établir le constat que la plupart des gouvernants de notre continent n’ont aucune ambition pour leur pays. En revanche ils œuvrent pour accéder au pouvoir dans le seul but d’assouvir leurs ambitions personnelles. Ainsi, nul président ne se préoccupe de ce que l’histoire va colporter de son passage à tête de l’Etat. De ce fait, ils ne se préoccupent guère de la vie de leur peuple. A la place de projets visant à assurer l’amélioration des conditions du peuple, les chefs africains sont animés par un égoïsme débordant. Leur seule préoccupation est d’assouvir des ambitions personnelles, familiales et celles des hauts fonctionnaires affiliés et acquis à leur cause, dont le seul devoir est de créer toutes les conditions favorables au maintien du système en place en vue de leur pérennisation à la tête du pouvoir. Or toute société régie par les seuls motifs égoïstes de satisfaction des besoins personnels représente un danger corruptif. C’est cette fossilisation à la tête de l’Etat à l’œuvre dans les pays africains qui entraîne une sorte de léthargie car ceux qui tiennent les rênes du pouvoir reproduisent toujours les mêmes habitudes. Il s’agit là de la cause essentielle du retard de l’Afrique.
Déjà dans l’Antiquité, Cicéron dans La République écrivait. «Le plus grand danger de la République est la poursuite désordonnée des appétits personnels, le non-respect de la loi, la subordination des intérêts collectifs aux ambitions personnelles ». D’où la nécessité de mettre en place un Etat régi par un ordre social bien organisé qui protège les individus des dangers de la société naturelle. C’est ainsi que la conception de la gouvernance de l’Etat doit reposer essentiellement sur le jeu de confiance entre citoyens d’abord, entre citoyens et gouvernants ensuite. Malheureusement, le constat montre qu’en Guinée, il n’y a ni confiance entre les composantes communautaires du pays, ni confiance entre le peuple et ceux qui ont exercé ou qui exercent le pouvoir. Bien au contraire, la faiblesse de la Nation sciemment entretenue de tout temps par les pouvoirs successifs a participé à geler cette confiance. L’instrumentalisation de la question ethnique rend aujourd’hui impossible tout dialogue constructif entre les communautés guinéennes. La manipulation d’idéologèmes tribaux rime de tout temps avec le communautarisme politique et la malgouvernance. Ainsi tout débat politique se communautarise car en lieu et place de celui des idées sur les préoccupations sociales des Guinéens, les acteurs défendent plutôt une prise de position tribale. Dans ce contexte, l’onde courante où devraient s’abreuver tous les Guinéens est constamment troublée par des âmes bien intentionnées plus préoccupées par la part du gâteau de leurs racines que par celle de la défense du bien-être collectif.
Instaurer un Etat de droit garant de la sécurité des biens et
des personnes, de la stabilité et de la paix sociale en Guinée
Trouver la réponse à une telle question revient, d’une certaine manière, à dresser la carte d’un territoire inconnu. L’emploi de cette formule laisse présager toutes les difficultés qui se dressent sur le chemin car à y regarder de près, eu égard au contexte sociopolitique qui prévaut en Guinée, tout se passe comme si on envisageait de se jeter dans un fleuve en crue sans avoir jaugé au préalable sa profondeur. Certes les difficultés s’avèrent énormes voire incommensurables pour toute personne qui nourrit le rêve de faire de la Guinée une Nation forte et prospère, pour autant aucune entreprise humaine n’est aisée. Les Guinéens en citoyens responsables doivent donc retrousser leurs manches, nouer solidement la ceinture autour de leur taille et affronter les problèmes qui accablent leur patrie.
Pour y arriver, il est une condition essentielle à remplir ; poser le diagnostic suivant : « En Guinée, il n’y a ni paradis pour telle communauté ethnique ni enfer pour telle autre. Le constat est que tous les Guinéens souffrent du manque d’hôpitaux dignes de ce nom, galèrent à cause de l’état des routes, pataugent dans des montagnes d’ordures, entre autres. Ce constat s’appuie sur le fait qu’il n’y a pas eu davantage de construction de routes, d’écoles, d’hôpitaux, etc. en Basse-Guinée, en Haute-Guinée, en Guinée-Forestière ou en Moyenne-Guinée, parce que c’est le fief électoral de tel ou tel autre président, tel ou tel autre ministre. Sur cette base, on peut inférer que ceux qui ont conquis et exercé le pouvoir ont instrumentalisé banalement les citoyens de leur village, de leur préfecture et de leur région à l’aide d’idéologèmes communautaristes dans le seul but d’assouvir le besoin de se hisser à la tête du pays ; mais qu’en retour, ils n’ont jamais rien fait de consistant pour leur fief électoral. Parfois d’ailleurs, ils n’ont même pas hésité d’exercer une violence inouïe dans des préfectures acquises à leur cause. Il n’est point besoin d’en donner des exemples.
Tout Guinéen susceptible de mener une telle analyse est capable de fédérer autour de lui d’autres Guinéens en vue d’engager la difficile bataille visant à sortir notre pays des maux qui l’accablent. En homme averti, on peut se dire à quoi bon que le président ou tel ou tel ministre soit de mon village, de ma préfecture, de ma région, si cela n’a aucune incidence sur la qualité de vie de l’ensemble. Une nouvelle génération d’acteurs politiques guinéens pourra-elle se libérer du carcan du communautarisme pour former un front solide de lutte en vue de sortir la Guinée du bourbier dans lequel elle est empêtrée ? Voilà un rêve grandeur nature que tout patriote éclairé souhaite vivement voir se réaliser dans un avenir proche.
Alpha Ousmane Barry
Professeur des Universités