Le coup de force militaire du 5 Septembre 2021 (CNRD) correspond au cinquième marqueur dans la vie politique tourmentée de la Guinée moderne. En effet, avant ce coup de force militaire, les Guinéens connurent :
– la déclaration de l’indépendance le 2 Octobre 1958 et l’exercice brutal du pouvoir par le Président Sékou TOURE après, il est vrai, une période de harcèlement par l’ancienne puissance coloniale, la France,
– la première prise de pouvoir par l’armée (CMRN) le 4 avril 1984 après la mort du Président Sékou Touré
– la seconde prise de pouvoir par l’armée (CNDD) le 23 Décembre 2008 après le décès du Président Lansana Conté et enfin,
– l’élection controversée après le vote du 7 Novembre 2010 du Président Alpha Condé qui, après une réélection tout aussi controversée en 2015, fera vivre aux Guinéens un vrai cauchemar. C’aurait été alors le pays des présidents à vie !
Le règne de chacun des régimes qui ont précédé celui du CNRD a été émaillé d’événements sociaux dramatiques qui ont affecté peu ou prou chaque famille. Nul doute que le coup d’Etat du 5 Septembre 2021 dirigé par le Colonel Mamadi DOUMBOUYA est intervenu à un moment où la Guinée avait renoué avec ses vieux démons que sont notamment la confiscation de l’État par un seul individu entouré de ses laudateurs-prédateurs corrompus, la volonté du chef de l’État de mourir à tout prix au pouvoir, la restriction progressive des libertés individuelles et collectives, l’ethno-stratégie des élites politiques, l’abandon de l’éducation nationale, l’abandon de la santé publique, l’abandon de la production nationale, le bradage des ressources minérales, halieutiques et sylvicoles au profit de complices extérieurs et d’une mafia locale, l’abandon des populations à leur misérable sort, la désagrégation des valeurs morales, la promotion de la médiocrité par le clanisme et les discours économiques et politiques creux à destination de populations épuisées par la quête quotidienne de la simple nourriture. Il est donc aisé de comprendre l’espoir justifiant l’accueil enthousiaste réservé aux nouveaux maîtres du pays. Les premiers actes techniques posés par le CNRD ont quasiment fait l’unanimité. Avec les décisions unilatérales mémorielles, l’armature commence à se fendiller et la société retrouve des motifs de fracture.
A l’aube de l’année 2022, je crois pouvoir affirmer sans crainte d’être contredit que chaque Guinéen aspire plus que jamais à la paix et à la réconciliation nationale. Mais exprimer un vœu ne le traduit pas en fait. Il faut poser des actes qui le confortent. A mon humble avis, la voie que doit emprunter le CNRD et le Gouvernement pour marquer leur passage d’une pierre blanche doit être construite sur les bases suivantes :
• Se conformer strictement à la déclaration faite dès la prise du pouvoir, de faire de la Justice la boussole de la Transition,
• Se hâter lentement pour tous les sujets touchant à la Mémoire car les blessures sont profondes, les situations juridiques, souvent complexes et l’Etat n’a encore posé aucun acte de pardon ou de réconciliation,
• Se dépêcher de mettre en place le CNT. Personne n’a cru (y compris le CNRD) que les parties concernées se mettraient spontanément d’accord sur les quotas alloués par la Charte de la Transition pour les 81 postes à pourvoir. Alors, Si le CNRD et le Gouvernement ne lèvent pas très rapidement cette hypothèque qui pèse sur la vie politique du pays, de fortes critiques affaiblissant leur image de redresseur de torts risquent de se faire jour.
• Rassurer les Guinéens et les partenaires extérieurs sur l’intention maintes fois affirmée de ne pas s’éterniser au pouvoir. La meilleure façon de le faire est de formuler une intention de délai avec justification à l’appui, à partir de l’installation du CNT. A mon humble avis, ce délai ne devrait en aucun cas dépasser 24 mois. Nous savons tous, par expérience ou par l’histoire, que tout pouvoir d’exception qui s’éternise se transforme en dictature à plus ou moins brève échéance,
• Se concentrer en priorité sur la traque des biens mal acquis et les enrichissements illicites des serviteurs de l’Etat et de leurs complices. En somme, engager une lutte sans merci contre les effets de la corruption et des conflits d’intérêts qui continuent de maintenir la Guinée dans le sous-développement structurel et les Guinéens dans une pauvreté-crasse,
• Engager les poursuites contre les auteurs supposés de détournements et laisser la Justice aller à son terme dans la transparence et dans l’impartialité, se fixer comme objectifs quotidiens, la consolidation des acquis et l’achèvement des chantiers en cours qui facilitent la vie des citoyens,
• Mettre en place une base de données des compétences disponibles des Guinéens de l’intérieur comme de l’extérieur et l’utiliser dans l’organisation de consultations pour les postes de l’Etat ou des recommandations de l’Etat à des postes dans les organismes nationaux ou internationaux. La liste pourrait être longue mais personne ne peut tout faire. C’est justement la raison pour laquelle la succession existe !
Je présente aux nouvelles Autorités ainsi qu’à tous mes concitoyens de Guinée et d’ailleurs, mes vœux d’une bonne santé, de bonheur et de réussite pour la nouvelle année 2022.
Kémoko Touré