La Révolution contre le peuple.
– Nature des relations : Duperie et répression.
Objectif : Façonner l’homme de type nouveau. Ce dernier devant servir de rempart face à toutes les épreuves auxquelles la Révolution pouvait être confrontée.
– Deux mots d’ordre : « Nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage » et « la Révolution ou la mort ». Le peuple devait oser la pauvreté, accepter la pauvreté, supporter la pauvreté et se complaire dans la pauvreté. Tout ceci devait aboutir à la création de l’homme de type nouveau. Pendant 26 « petites années » les Guinéens ont eu droit aux privations de tous genres dans la misère.
Une fois les blancs chassés par le non massif, les portes du territoire se sont fermées sur eux, faisant ainsi de la Guinée une large prison à ciel ouvert.
C’est dans cette prison que les Guinéens ont vécu en applaudissant, en chantant et en dansant pour la Révolution. Ce, en résistant à tous les calvaires inimaginables.
Voici les grandes étapes et événements qui ont jalonné cette longue, lente et douloureuse procession.
1. Loi cadre du 8 novembre 1964. Finies la bourgeoisie naissante et les initiatives privées dans les affaires. Construire une habitation moderne pour son bien-être et celui de sa famille devient un délit contre-révolutionnaire. Importer ou circuler dans une voiture fabriquée en Occident, sans être membre ou protégé de certaines familles devient un acte contre-révolutionnaire. S’habiller en permanence, à l’occidentale devient un affront à l’uniforme « blanc » de la Révolution. Le coupable du fait est un réactionnaire, un saboteur du système.
2. Le système de ravitaillement. L’État providence était seul à servir les denrées alimentaires aux familles sur la base d’un carnet de ravitaillement. Ce dernier devait être validé par le Président du Comité de base devenu plus tard Pouvoir Révolutionnaire Local (PRL). La validation par le président local se faisait à deux conditions : la présence familiale aux réunions du vendredi et aux manifestations populaires. La milice populaire était chargée d’en contrôler les exécutions par les familles. Le père de famille est sommé de répondre à des convocations en cas d’absence familiale à ces événements révolutionnaires.
3. Le système des bons : les matériaux de construction se gagnaient grâce aux bons.
C’était la forme de récompense des révolutionnaires les plus engagés. Le même système de bons représentait une véritable épée de Damoclès sur la tête des personnes qui dirigeaient ces entreprises de matériaux. Plusieurs parmi eux se sont retrouvés en prison, par des faits de délation.
4. La crise économique des années 70. Elle a réduit les populations guinéennes à une situation de pauvreté et de souffrance la plus profonde et la plus grave humainement imaginable. C’est l’époque où les populations se sont nourries de maïs et de mangues.
C’est l’époque où les menuisiers fabriquaient des semelles en bois pour servir de chaussures aux Guinéens : les crobottes.
5. Les normes en nature. Conséquences de la crise économique, les impôts devaient être payés en nature. La méthode consistait à faire payer les impôts avec des céréales et autres produits agricoles, par les populations. Collectés par l’État, ces produits servaient aux ravitaillements d’une part ; à nourrir les combattants pour les indépendances de la Guinée-Bissau et de l’Angola de l’autre.
6. Un salaire loin d’en être un. L’État faisait semblant de payer des salaires et les travailleurs faisaient semblant de travailler. C’est à partir de ce moment que le fonctionnaire guinéen va faire l’apprentissage du vol. Ce vol était bien toléré pour les personnes protégées, notamment les révolutionnaires engagés et les membres de certaines familles. Ainsi, l’État révolutionnaire disposait de moyens pour écarter n’importe quel fonctionnaire insoumis, à tout moment.
7. La pensée unique : celle du guide et de la Révolution. Adaptation du système scolaire aux objectifs de la Révolution. L’école devient l’outil principal de façonnage des hommes d’avant-garde révolutionnaire. Soutenu et rigoureusement encadré par le Parti Unique.
8. La Délation : elle devient un véritable métier sous la Révolution. Ses pratiquants l’utilisaient très souvent pour nuire à autrui. Beaucoup de Guinéens ont subi les conséquences de ces comportements malveillants. Le fils pouvait dénoncer le père et beaucoup de femmes ne se sont pas gênées de dénoncer leurs maris. Jaloux de son voisin ou de son ami, ces derniers pouvaient disparaître du jour au lendemain par le fait de la calomnie.
9. La Surveillance des mouvements des hommes et de leurs biens. Séjourner dans un pays occidental, au Sénégal ou en Côte d’Ivoire sans être membre ou protégé de certaines familles était un délit grave. Recevoir chez soi, sans déclarer au PRL, un proche en provenance d’un pays occidental, du Sénégal ou de la Côte d’Ivoire pouvait faire de vous un complice d’un éventuel complot. Bien évidemment, vers la fin des années 70, les populations guinéennes, dans leur globalité, avaient fini par comprendre le système, mais ne disposaient d’aucun moyen ni d’aucune voie pour en sortir ; Quoique les événements du 27 août 1977 aient sonné l’alerte. Ainsi, le seul objectif atteint par le Parti-État aura été le formatage de l’homme de type nouveau.
L’homme de type nouveau est celui qui en veut à l’État de son pays pour l’avoir trahi et réduit à l’état de misère. C’est celui qui, sachant qu’il est mal payé, profite de la moindre occasion pour vider les caisses publiques qui lui sont accessibles.C’est celui qui est rompu au mensonge pour obtenir un bon de matériaux ou de denrée.
C’est celui qui, jaloux de son voisin ou de son propre ami, va faire de la délation pour détruire l’autre. Finalement, en plus de la profonde crise de confiance entre les populations et l’État, s’installe et se développe une vaste crise de confiance entre les Guinéens. Il a fallu la mort du Guide pour mettre fin à la procession. L’euphorie et les manifestations de tous genres, le 3 avril 1984, ont montré à quel point les populations étaient fatiguées du système. Partout, à travers le pays, résonnait un seul slogan : « Vive la liberté ».
Malheureusement, c’est dans les mains de ces Guinéens de type nouveau que la Guinée s’est retrouvée du 3 avril 1984 au 04 septembre 2021. Tout le monde en connaît les suites.
Doyen Fodé Caba