Le gouvernement guinéen a déguerpi les habitants des quartiers Kaporo-Rails, Kipé 2 et Dimesse en février 2019 : 2 500 bâtiments démolis, plus de 1 200 familles jetées dans la rue, 3 000 enfants privés d’éducation. Trois ans après, avec le changement de régime, les victimes écrivent au Président de la Transition, le Colonel Mamadi Doumbouya, pour solliciter une réparation. Bonne lecture !
Collectif des victimes de Kaporo-Rails, Kipé 2 et Dimesse 2019
A l’attention de Son Excellence Colonel Mamadi Doumbouya
Président de la Transition, Chef de l’Etat, Chef Suprême des armées.
Palais Mohammed V, Conakry, République de Guinée.
Objet : Lettre ouverte
Monsieur le Président,
Le 05 septembre 2021, vous et vos hommes avez mis fin à la dictature imposée aux Guinéens par Monsieur Alpha Condé. Cette action libératrice a été saluée par la majorité de la population. Votre discours dans lequel vous avez déclaré que « la justice sera votre boussole » a remis de l’espoir dans les cœurs.
En outre, vous avez marqué les esprits en vous recueillant au cimetière de Bambéto et au stade du 28 septembre pour honorer la mémoire de certains de nos martyrs. Tout ceci rentre dans le cadre de la réconciliation nationale.
C’est à ce titre Monsieur le Président que les victimes de Kaporo-Rails, Kipé 2 et Dimesse, attendent elles aussi que vous manifestiez la même compassion à leur égard.
Savez-vous Excellence que nos maisons ont été détruites par Ibrahima Kourouma sur ordre d’Alpha Condé en violation flagrante de nos droits reconnus et protégés par toute la législation en vigueur dont le code foncier et domanial de la Guinée ?
Savez-vous que nous avons été spoliés et non expropriés pour cause d’utilité publique ?
Monsieur le Président de la République, l’Etat ne dispose d’aucun document de propriété de nos terres à part le décret 211 du 23 novembre 1989. Mais même ce document stipule en son article 4 ‘’ Les occupants de ces zones seront déguerpis au fur et à mesure des besoins d’aménagement de la puissance publique ; Ces occupants qui auraient mis en valeur leurs fonds avant la date du 20 avril 1988, ci-dessus indiquée ne sont déguerpis que si l’Etat s’engage à les recaser et à les indemniser de la valeur de leurs réalisation sur le fonds’’.
Pourtant c’est le contraire qui a été fait. Il y a trois ans, nos droits étaient violés ! Près de 2 500 bâtiments furent démolis et plus de 1 200 familles jetées dans la rue ! 3 000 enfants ont été privés d’éducation ! Bref, nous avons été transformés en réfugiés dans notre propre pays.
Monsieur le Président, cette situation dure depuis maintenant trois ans. Les personnes les plus âgées parmi nous sont en train de mourir. Les jeunes ayant perdu tout espoir se jettent à l’assaut du Sahara et de la Méditerranée dans l’ultime but de rejoindre l’Europe.
Monsieur le Président, comme vous avez affirmé que vous êtes venus rectifier les erreurs du passé, il est de votre responsabilité de rétablir les victimes de Kaporo-Rails, Kipé 2 et Dimesse dans leurs droits.
Pendant que le pouvoir d’Alpha Condé nous appauvrissait, il enrichissait des étrangers regroupés au sein de la société IMAAG-HOLDING chargée de céder nos terres à des multinationales et d’autres groupes mafieux.
Monsieur le Président de la République, depuis le 05 septembre, le Collectif des victimes de Kaporo-Rails, Kipé 2 et Dimesse 2019 vous a adressé trois demandes d’audience et un mémorandum (qui décrit la destruction de ces localités). Ces écrits sont restés sans suite.
Monsieur le Président, à la lecture de tout ce qui a été énoncé ici, vous comprendrez sans nul doute notre peine. Comme vous l’avez fait avec la famille du Président Sékou Touré, vous pouvez aussi rendre justice aux populations victimes de Kaporo-Rails, Kipé 2 et Dimesse.
Vous en souhaitant bonne réception de la présente, nous vous prions Excellence Monsieur le Président de recevoir nos salutations distinguées.
Les victimes
Conakry, le 26 février 2022