Voilà bientôt six mois que le Colonel Mamadi Doum-bouillant et ses gars des Forces spéciales sont allés, le 5 septembre, prier gentiment mais bruyamment Kôrô Alpha de leur céder son Kibanyi conquis et conservé laborieusement, dans des conditions sulfureuses. Le populo les a applaudis et adoubés. Les politiques, malmenés et avachis par leur ancien compagnon d’infortune, retrouvant leur liberté de manœuvres et de paroles, jubilent. La tchatche du Colonel plaît, émoustille. Il faut améliorer la gouvernance, souder davantage les communautés qui constituent la nation, refonder l’Etat, améliorer les conditions de vie des Guinéens. La justice doit désormais être la boussole de l’action gouvernementale. On rêve à robin des bois ! Pour atteindre ce cap, il est indispensable d’écouter toutes les franges de la population qui, à la queue leu-leu se succèdent au palais du peuple pour disserter avec les nouveaux hommes forts du pays. De multiples initiatives actent ces grands principes. De nombreux militaires (dont plusieurs officiers généraux) et civils sont priés de faire valoir leur droit à la retraite.

La CRIEF (Cour de Répression des Infractions Economiques et Financières) émerge pour moraliser la gestion de nos pitances anémiées et apeurer autant que faire se peut, les argentiers qui tiennent les cordons de la bourse de la république. Concomitamment, Doum-bouillant multiplie les gestes populistes. Il va de mausolées en mausolées, du cimetière de Bambéto à la résidence de Andrée Touré à laquelle il restitue la villa de Bellevue qui était devenu propriété de l’Etat guinéen. Il rebaptise l’aéro-hangar de Gbessia du nom de «Ahmed Sékou Touré». Subrepticement !

Les observateurs avisés s’interrogent, deviennent dubitatifs. La rhétorique du Colonel ressemble à un tas de bonnes graines et d’ivresses qu’il faut donc tamiser. Les problèmes qui ont marqué la mise en place du CNT renforcent la méfiance des sceptiques pour lesquels il n’y a plus de grille de lecture limpide de la stratégie et des tactiques du colonel et de ses amis du CNRD. Et vlan, voilà la chape de plomb de la récupération des biens de l’Etat qui s’abat des cieux sur le monde ! Quel Guinéen normal, pourrait-il s’offusquer que l’Etat (c’est-à-dire nous tous) se réapproprie ce qui lui appartient ? A César ce qui est à César ! Mais ceux qui sont investis de la charge d’organiser l’Etat sur la base des lois, doivent s’imposer les effets de ces lois. S’agissant du retour du patrimoine bâti ou nu de l’Etat dans la scarcelle publique, la procédure devrait être de toute évidence, judiciaire. N’est-ce pas les tribunaux, dans un régime qui fait de la justice, la boussole de ses actions, qui auraient dû être saisis pour ordonner la saisie des domaines bâtis de l’Etat vendus légalement à des privés (cas des résidences du Sid de l’UFR et de la Petite Cellule Dalein, de la Résidence 2000, de Petit Bateau, du domicile de Diallo Telli, etc. ) ? La démarche de Doum-bouillant qui revient à mettre la charrue devant les bœufs, devient bouillante d’autant qu’elle réveille de vieux démons tels que la vente du dernier Boeing d’Air Guinée. Les lièvres levés sont trop nombreux pour être, à terme, pris. Qui trop embrasse, mal étreint.

Les colonels qui personnifient le CRND ont ouvert avec la récupération des biens de l’Etat, la boîte de Pandore. Les biens privés, voire publics de l’Etat, cédés par les régimes légitimes et légaux précédents, sont extrêmement nombreux. Les cas de figure le sont aussi. Comment les récupérer tout en préservant la paix et la cohésion sociale ? Mais les priorités des organes de transition ne devraient-elles pas être l’élaboration de la constitution, la préparation et l’organisation des élections au terme de la période transitoire ?

Abraham Kayoko Doré