Le Lynx naît seulement huit petites années après l’écroulement de la révolution et de la pensée unique qui ne toléraient guère la diversité d’opinions et la différence politique comme facteurs d’enrichissement et d’amélioration des efforts de construction de l’Etat et de la Nation. Le contexte socio-politique, voire économique, n’est pas favorable à la lecture, au foisonnement des idées. Loin s’en faut. L’idéologie et la pratique de l’initiative privée ne datent que de huit années, après vingt-six années d’autocratie politique et de collectivisme économique. Horoya et la Voix de la Révolution sont les seuls organes d’infirmations dont la seule fonction est de faire l’apologie de la Révolution, forger le culte de la personnalité pour déifier Sékou Touré et enfin diaboliser les opposants au PDG qui vivent presque tous hors de la Guinée, à travers le monde. Dans cet océan d’obscurantisme, créer un papelard, de surcroît satirique, moqueur, était bien une gageure. Sur quelle base estimer le lectorat ? Quel coût de production peut permettre de vendre son produit en engrangeant une marge bénéficiaire susceptible d’assurer la durabilité de l’initiative.
La conception d’un plan d’affaire est un véritable casse-tête chinois. Si les obstacles sont rédhibitoires pour certains, ils ne le sont pas pour Souleymane Diallo (qui n’est pas encore baptisé El Hadj !), Bah Mamadou Lamine, Kéïta Assan Abraham, « KAA), Diallo Alhassane « Diomandé », etc. qui osent l’aventure et se jettent dans l’Océan atlantique. Ils savent qu’il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. Certains, notamment Souleymane Diallo et Bah Mamadou Lamine ne sont pas des néophytes. A Abidjan où ils se sont exilés depuis plus d’une vingtaine d’années, ils y ont travaillé à Fraternité-Matin, le plus grand quotidien de la capitale ivoirienne et du pays. Ils possèdent de solides notions de gestion d’un organe de presse. Ce noyau a été joint par d’autres aventuriers, amateurs de sensations fortes tels que, pêle-mêle, Sékou Amadou, Prosper Doré, Youssouf Ben Barry « Oscar », Mohamed Baba Sylla, Amadou Diallo, Ben Pepito, Thierno Saïdou Diakité « Le Rossignol ». Ouf, on s’essouffle à vouloir citer tout le monde. Le groupe s’élargira au fil des ans, devenant un creuset où les cadets (stagiaires) côtoient les anciens. Sanou Kerfala Cissé « SKC », Abou Bakr, Azoka, y ont fait leur classe. Dans ce creuset, ont également grouillé, souvent en dilettantes des professionnels de la plume tels que Top Sylla, Tibou Kamara, Jean-Baptiste Kourouma, Sékouba Savané.
Tout ce beau monde, pendant des décades sur fond de plaisanterie, de moqueries, dans une ambiance bon enfant, où la convivialité rivalise avec le sanakouya, a contribué à la promotion et à l’enracinement de la démocratie et de la bonne gouvernance. Le Président de la République, les institutions républicaines, les hauts commis de l’Etat sont moqués, voire sévèrement tancés lorsqu’ils ont un comportement peu orthodoxe plutôt indélicat. Les politiques publiques préjudiciables aux intérêts du populo et de la société sont analysées et leur nocivité expliquée et étalée à la lumière crue de manière à dissuader leurs instigateurs de les mettre en œuvre. Des investigations ont permis de dévoiler et de dénoncer les scandales financiers et de clouer au pilori leurs auteurs. En écarquillant les yeux, Le Lynx à contribuer aux tentatives de nettoyage des écuries d’Augias. Ce qui lui a attiré la foudre de beaucoup de quidams sulfureux, victimes de son sarcasme et de ses « méchancetés ». Yala-Le-Gros-Lynx (l’Administrateur général) a même été à deux reprises hôte de l’Hôtel Cinq étoiles de Coronthie. Traqué par la police, Ben Pepito s’est réfugié en France. Des ripoux, nostalgiques du bon vieux temps de la révolution, ont voulu le réduire au silence de Yala-Le-Gros Lynx. Peine perdue. L’équipe garde le cap. Elle alterne les instants de bonheur et de cafard. Les visites des amis, les remerciements et les félicitations des lecteurs, des amis et des parents réconfortent et comblent d’aise les journaleux. La contribution du Lynx à l’émergence de la bonne gouvernance lui a valu des prix, à l’échelle internationale et des appuis de renforcement de capacités (fourniture d’équipements et formation) de la part des partenaires, en Guinée.
En trente années, Le Lynx dont le succès a entraîné la création de La Lance, l’hebo qui perce le cœur de l’évènement, a acquis ses lettres de noblesse et marqué de façon significative, l’univers médiatique guinéen. Bravo Le Lynx et félicitations au têtu Yala le Gros Lynx dont la persévérance a eu raison de tous les obstacles, notamment l’adversité du pouvoir et des concurrents.
Abraham Kayoko Doré