On aura tout vu en Guinée : falsification éhontée de la Constitution adoptée par les électeurs, et maintenant devinez quoi. Décidément, la culture de l’humiliation, la pulsion destructrice sont bien enracinées dans l’État guinéen, pour ne pas dire qu’elles font partie de son ADN. Les transitions se succèdent et ne diffèrent : récupération des domaines de l’État, le cheval de bataille des transitions guinéennes, le serpent de mer de nos derniers régimes, mêmes méthodes : mépris de la justice, mépris de la sécurité juridique, loi de la force au détriment de la force de la loi. Mais rien de choquant : le système survit au putsch du 5 septembre dernier. Alpha Condé n’a-t-il pas fait raser des maisons et des magasins ? Dadis et la junte du CNDD ont marqué de croix des concessions aussi bien à Conakry qu’à l’intérieur, soi-disant du domaine de l’État. Conté a fait démolir Kaporal-Rails. Le pire est que toutes ces opérations dites de récupération des domaines de l’État se réalisent sans indemnisation des personnes expropriées. C’est à se demander si les trois dernières décennies, ce ne sont pas les mêmes commis de l’État peu imaginatifs qui conseillent à nos dirigeants les mêmes pratiques malsaines.

S’il y a récupération des domaines de l’État c’est parce que le même État s’est compromis auparavant dans des transactions immobilières peu orthodoxes. Il ne doit s’en prendre qu’à lui-même et ne doit pas se prévaloir de sa propre turpitude. Justiciable, il doit ester devant les tribunaux compétents. On comprend mieux maintenant l’arnaque du concept : Refondation de l’État. Pourtant la Guinée n’a pas tant besoin de boussole, le Guinéen lambda connaît la qibla et la voie du développement. La Guinée a besoin d’un capitaine clairvoyant au gouvernail. Détrompez-vous pour de bon : la justice-boussole n’est qu’un slogan charmeur. Sinon comment expliquer les deux poids deux mesures : d’un côté, restituer des domaines publics à une famille sans décision de justice, de l’autre côté, déguerpir et démolir des maisons sans respect des procédures ?

Notre pays regorge autant de gravats, de décombres et de fosses communes que de richesses minières. Quand l’État ne porte pas atteinte à la vie humaine, il s’en prend aux biens, à la propriété privée des citoyens. Voyons le mauvais timing de ces démolitions, pendant que les assises nationales débutent à peine, avec ses vœux pieux de vérité et de pardon, l’État alourdit son passif de violations des droits avec les récentes démolitions. Cette période est censée marquer une trêve de paix. Est-ce pour faire payer cher à l’UFDG et son leader son boycott des assises qu’ils ont mis en branle les bulldozers? On espère que les membres de ces assises auront le culot de dire la vérité et le pardon à ce sujet également. Peu importe, on est face à l’injustice ou déni de justice : déni de justice quand le juge se déclare incompétent ; C’est de l’injustice que l’État démolit une maison avant toute décision judiciaire. Dans un État normal, on attend l’épuisement des voies de recours internes avant la démolition de l’endroit litigieux.

Suivez mon regard : voie de fait ou fait du prince. À quoi bon invoquer le privilège du préalable si au final c’est pour prendre de court et mettre hors-jeu la justice? Dans la conception de cette junte et ses partisans, c’est plutôt l’alibi. Nous-sommes-en-période d’exception qui sert de base légale. Pour les crétins en tenue de camouflage et leurs suiveurs, en période de transition, tout est permis.

 Dans un pays normal, on sait conserver et reconvertir un édifice exproprié à d’autres usages d’intérêt public. De surcroît, on sait reloger et accompagner les expropriés. Mais l’État animé de pulsions destructrices ne sait pas (re)construire. Après le passage des bulldozers, la désolation d’une maison hantée ou d’une ville fantôme règne, les herbes sauvages recouvrent les premières pierres des éléphants blancs. Est-ce que la zone démolie de Kaporo-Rails est mise en valeur ? Sa haine est si viscérale que cet Etat voudra écraser toute plaque commémorative posée à ces endroits démolis. Mais les faits sont têtus, subsistera la présente épitaphe : « En ces lieux vécut un tel… »

I.D