La démocratie est un système politique dans lequel la souveraineté appartient au peuple qui l’exerce directement ou indirectement par le biais des représentants qu’il a choisis librement. Il est fondé sur des principes comme la primauté du droit, l’exercice des libertés fondamentales, l’égalité des citoyens devant la loi, la participation citoyenne à la prise des décisions politiques, la défense des droits et libertés des citoyens, l’indépendance de la justice.

Alors que la gouvernance politique, dans la plupart des pays africains, au lendemain des indépendances, était assurée par des régimes politiques autoritaires à parti unique, au milieu des années 90 souffle un vent d’espoir et de liberté suite au conditionnement de toute aide au développement par la mise en place d’une démocratie afin de garantir la bonne gouvernance des affaires de l’Etat. Au même moment, on assiste à l’émergence et l’affirmation d’une nouvelle élite africaine de plus en plus exigeante appelant à davantage d’ouverture de l’espace public, à la redevabilité, au respect des principes démocratiques et des droits de l’Homme.

Face à cette exigence nouvelle, les dirigeants de certains États ont organisé des conférences nationales pour repenser leur système politique débouchant sur l’élaboration et l’adoption de nouvelles constitutions qui promeuvent les valeurs démocratiques et les droits de l’homme. Au cours des années qui ont suivi, ces pays ont fait l’expérience des élections multipartites quoique leur caractère libre et transparent n’ait pas toujours été respecté. De fait, cela a pu engendrer des contestations et de violentes répressions le plus souvent. Pour autant, l’autoritarisme n’a pas disparu, dans la plupart des pays ouest-africains la répression des contestations en période électorale, la confiscation des libertés publiques et les violations des droits humains sont monnaie courante.

Toutefois, en dépit de ces soubresauts qu’enregistre la marche démocratique du Continent, les pays de l’Afrique de l’Ouest se distinguent par le fait que la pratique démocratique ait connu un certain ancrage en raison de l’engagement citoyen qui a permis d’influencer positivement les politiques des Etats. Ces efforts dans la marche démocratique sont renforcés par l’adoption du protocole additionnel sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance au Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la Paix et de la sécurité adopté à Dakar le 21 décembre 2001.

Dans son préambule, ce protocole vise à apporter des réponses aux situations conflictuelles entraînant de graves violations des droits de l’Homme résultant de la non-transparence des processus électoraux, la marginalisation politique et de l’intolérance religieuse dans la plupart des Etats de la CEDEAO. Le protocole institue des principes de convergence constitutionnelle devant être obéis par l’ensemble des Etats membres de la CEDEAO afin de renforcer le processus démocratique et l’État de droit. Ces principes sont, entre autres, «la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice, la transparence des processus électoraux, l’interdiction de la prise du pouvoir par un moyen anti-démocratique, le respect des droits du Parlement et de ses membres, le principe de la laïcité, la non-participation des forces défense et de sécurité aux processus politiques, le libre exercice des activités politiques, la liberté de la presse, la liberté d’association, de réunion et de manifestation ».

Le même protocole en son article 33 précise que l’État de droit implique non seulement une bonne législation conforme aux prescriptions des droits de la personne, mais également une bonne justice, une bonne administration publique et une bonne et saine gestion de l’appareil de l’État.

Ce texte fut renforcé plus tard par la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance adoptée le 30 janvier 2007. Cette Charte reprend l’essentiel des préoccupations relevées par le protocole additionnel de la CEDEAO sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance de 2001 que sont, entre autres, les changements anti constitutionnels, la non transparence des processus électoraux, le manque d’indépendance de la Justice et des organes électoraux, les violations continues des droits de l’Homme, autant de menaces pour la sécurité et contre la paix dans le continent. Et la charte de réaffirmer la volonté collective des Etats membres de l’Union Africaine d’œuvrer sans relâche pour l’approfondissement de la consolidation de la démocratie, l’État de droit, de la paix, de la sécurité et du développement. A ce titre, le Protocole rappelle les principes suivants en son « article 3 : le respect des droits de l’homme et des principes démocratiques, l’accès au pouvoir et son exercice, conformément à la Constitution de l’État partie et au principe de l’État de droit ; la promotion d’un système de gouvernement représentatif ; la tenue régulière d’élections transparentes, libres et justes ; la séparation des pouvoirs , la promotion de l’équilibre entre les hommes et les femmes dans les institutions publiques et privées, la participation effective des citoyens aux processus démocratiques et de développement et à la gestion des affaires publiques : la transparence et la justice dans la gestion des affaires publiques ; la condamnation et la répression des actes de corruption, des infractions et de l’impunité y sont liées ; le rejet et la condamnation des changements anticonstitutionnels de gouvernement, le renforcement du pluralisme politique, notamment la reconnaissance du rôle, des droits et des obligations des partis politiques légalement constitués, y compris les partis politiques d’opposition, qui doivent bénéficier d’un statut sous la loi nationale ».

L’adoption de ces différents instruments juridiques a contribué à soutenir les efforts des dirigeants et de la société civile pour faire reculer la prise du pouvoir par des moyens anti-démocratiques notamment par les armes, une pratique courante dans la plupart des Etats de la sous-région. Certains Etats comme le Ghana ou encore le Sénégal sont devenus des modèles en termes d’alternance démocratique, où le transfert du pouvoir suivant les principes constitutionnels est devenu une réalité.

17-02-2022 El teniente coronel Paul Henri Sandaogo Damiba, líder de la junta y presidente de Burkina Faso POLITICA AFRICA AFRICA BURKINA FASO INTERNACIONAL XINHUA / XINHUA NEWS / CONTACTOPHOTO

Dans la dernière décennie, la dynamique de l’alternance démocratique est menacée par le retour des pratiques anticonstitutionnelles qui commencent à prendre des proportions inquiétantes dans la sous-région ouest africaine. En effet, l’échec des politiques de développement et sécuritaire instituées par plusieurs dirigeants de cette sous-région dont la quasi majorité des populations vivent dans une pauvreté sans précédent en dépit des potentialités économiques dont regorgent leurs pays. Le refus de l’alternance démocratique consacrée conformément aux lois nationales et internationales au profit des coups d’État constitutionnels ainsi que l’absence des réponses adéquates aux crises intérieures des Etats par la CEDEAO et l’Union Africaine, ont favorisé le retour progressif de la prise du pouvoir par les armes dans plusieurs pays ouest africains. Ce qui entraîne un recul inquiétant de la marche démocratique dans la sous-région.

La Guinée, le Mali et le Burkina Faso où des transitions militaires sont en cours ont connu cinq coups d’Etat militaires en moins de 10 ans (2012-2022) pour soit, l’échec des politiques sécuritaires, soit, le refus d’alternance démocratique consacrée par la loi suprême de leurs pays se traduisant des tripatouillages constitutionnel des régimes en place. Cette situation est d’autant plus inquiétante que ces militaires au pouvoir ont été dans la plupart des cas le bouclier des régimes déchus accusés d’avoir bafoué les principes démocratiques et commis plusieurs violations des droits de l’homme ou des crimes. Le plus inquiétant avec ces nouveaux putschistes qui ne disposent pas de mandat légal du peuple, est leur nouveau mode d’opération dans la conduite des transitions : les putschistes élaborent et imposent des normes juridiques (Charte de transition) leur conférant des prérogatives qui sont en principe réservées à un régime politique qui dispose d’un mandat du peuple, ensuite ils s’arrogent des périodes de transition de longue durée faisant de facto de l’exception la règle en matière de démocratie.

Cette situation qui prend de l’ampleur doit interpeller au-delà des pays où ces transitions se passent, car à cette allure, l’on est en droit de se demander à qui le prochain tour ! Les dirigeants politiques épris des valeurs démocratiques, de justice et de paix ainsi que la société civile, fer de lance de la lutte démocratique, doivent se réveiller et lutter pour préserver les acquis démocratiques obtenus de haute lutte.

Alseny Sall

Juriste et activiste de la société civile guinéenne