Le Colonel Mamadi Doumbouya et la junte vont-ils vaincre la fatalité d’un éternel recommencement en Guinée ? Notre pays vit un tournant décisif de sa tumultueuse évolution vers un État-Nation à travers cette 3e transition après celles de 1984 et de 2008. Tous les Guinéens ont fondé leur espoir en ce Comité National de Rassemblement pour le Développement (CNRD, junte) afin que celle-ci soit la bonne et la dernière. Cet espoir repose notamment sur la volonté du CNRD de refonder l’État par le biais d’une administration publique efficace, efficiente et performante et de créer enfin une nation réconciliée, orientée vers un destin commun pour garantir le progrès du pays.

Cependant, on craint que cette refondation s’oriente plutôt vers une refonte totale de l’État, tant les signaux envoyés ces derniers temps suscitent interrogations et inquiétudes.

Voici un aperçu des causes endogènes et exogènes de ce mélimélo que traverse la Guinée à l’instar du Mali et du Burkina Faso également plongés plus dans une sorte de transit qu’une transition.

Erreur de casting ?

La première faille du CNRD est liée à une erreur de casting de départ que nous pourrions qualifier de « syndrome de Mugabe du Zimbabwe ». L’ancien président de ce pays d’Afrique australe, Robert Mugabe, après une lutte acharnée contre l’oppression de la population noire, a permis à ce petit pays jadis grenier de l’Afrique australe d’accéder à l’indépendance en 1980. Dans l’optique de mieux redistribuer les ressources du pays, les nouvelles autorités d’alors ont retiré les terres aux fermiers blancs au profit des Noirs (terres de leurs ancêtres) sans expertise ni expérience. La suite est connue:

une économie en chute libre, des inégalités accrues, un niveau de paupérisation rarement atteint dans l’histoire de l’humanité.

La Guinée dans tout ça ?

Le CNRD avec à sa tête le Colonel Mamadi Doumbouya veut certes mieux faire en termes de moralisation et de gestion des affaires publiques, mais les méthodes et la démarche peuvent laisser dubitatifs certains esprits plus éclairés que pessimistes. Le Colonel Doumbouya a affirmé qu’il n’y a pas une école pour l’expérience ! Cependant le changement systématique et structurel au sein de la haute administration comporte des risques:

-l’inadéquation des profils aux postes ;

-l’inexpérience pour certains dans la gestion publique guinéenne, etc.

-la perte de la mémoire institutionnelle dans l’administration.

Cela ne signifie point de garder des commis et hauts commis de l’État à leurs postes ad vitam aeternam mais de trier selon les expertises et l’intégrité intrinsèque de chacun et de tous.

Dans bien des pays, pour occuper un poste à haute responsabilité une période d’observation et d’apprentissage est nécessaire. À titre d’exemple, tout ambassadeur américain, avant de prendre officiellement fonction, suit une formation afin de mieux connaître l’environnement social, politique, économique, historique, sociologique, anthropologique… du pays d’affectation. En France les grands corps de l’État définissent et encadrent les carrières des hauts commis de l’État. Une administration ne se gère pas comme une équipe de football où l’on peut changer d’entraineur et des joueurs au gré des défaites ou des victoires. Là il s’agit d’un processus latent mais avec des impacts multidimensionnels et intemporels.

Faut pas jeter l’anathème sur les recrues issues essentiellement de la diaspora, certaines ont surement la volonté et les compétences d’apporter quelque chose à la patrie. Mais les résultats mitigés laissent perplexes même le Président de la transition, à en croire certaines indiscrétions venant du Palais Mohamed V. Connaissant la place et le rôle de l’administration dans la vie des Guinéens, et par voie de fait sur l’économie guinéenne, n’y a-t-il pas des choses à améliorer ?

Des consultations peu inclusives !

L’un des points de discorde est sans doute l’absence de dialogue entre le CNRD et les principaux leaders politiques, tout au moins le déficit de confiance et le manque de consensus notamment sur la durée de la transition. Espérons que la nouvelle main enfin tendue par le Premier ministre augure des lendemains meilleurs. Tout au début, la relation entre la junte et les acteurs politiques était idyllique. L’histoire nous enseigne que les pouvoirs publics ont plus intérêt à ce qu’il y ait la paix dans la cité. Alpha Condé et son régime en savent quelque chose.

Dans un contexte économique et international extrêmement difficile, il faut surtout redouter le cycle infernal: la crise économique engendre la crise sociale qui dégénère en crise politique.

La crise en Ukraine aidant, les politiques ou politiciens pourraient s’approprier le slogan de Léon Blum: Pain, Paix et Liberté, tout est lié comme dans une suite logique.

Tout porte à croire que Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré ont compris que les urnes seules ne suffisent pas, que les choses peuvent se jouer à l’international et inverser la tendance. Suivent-ils les pas d’un certain Alpha Condé après 11 ans pratiquement de confrontation, teintés d’intrigues à la Je t’aime, moi non plus ? A croire qu’ils avaient fini par trouver davantage l’équilibre de Nash que le dilemme du prisonnier.

Recommandations

Pour améliorer la situation, voici quelques ingrédients non-exhaustifs… Élaborer un Programme diversifié de Nation Building/ State Building

Restaurer la confiance entre la junte et les forces vives

Créer un cadre formel et régulier de dialogue inclusif afin de connaitre les priorités, opportunités et craintes des acteurs du dialogue

Créer une équipe conjointe pour le suivi

Eduquer et sensibiliser les populations à travers des symboles forts

Rétablir la transparence dans la gestion

Saisir l’opportunité des crises externes pour renforcer l’unité nationale pour atténuer les effets des crises économique, financière et alimentaire qui se profilent à l’horizon;

Mettre en place un plan d’appui à la relance économique à travers les Entreprises Industrielles, PME/PMI et les Groupements d’Intérêt Économique déjà fortement éprouvés par la pandémie COVID- 19 et aujourd’hui par la crise internationale liée à la guerre en Ukraine

Restaurer l’image d’un pays en marche pour retenir les investisseurs et les bailleurs de fonds à défaut de les attirer.

Rassurer des partenaires bi et multilatéraux.

Bien que la junte tienne à faire 3 ans (à compter de quand ?) tous les acteurs politiques doivent privilégier le dialogue et apprendre réellement de nos erreurs passées. L’inclusion plus que l’exclusion, compromis sans compromission afin que cette transition soit la dernière vers la démocratie et non un transit de plus vers un voyage à destination inconnue.

Aliou Souaré

Consultant, Spécialiste en Élaboration, Conduite et

Évaluation des Politiques Publiques de Développement