Au sortir du conseil des ministres du 14 juillet, le colonel Doum-bouillant a ordonné à son gouvernement de toiletter la capitale prise en otage par les ordures. Cache-nez à la bouche, pelle, râteau et brouette en main, le PM Mohamed Béant et ses ministres se sont exécutés dare-dare. L’opération, symbolique et pragmatique pour le pouvoir, populiste selon les aigris, a beaucoup fait jaser. La ministre de l’Info et de la Com s’explique dans cette longue causerie qu’on a eue. Rose Pola Pricémou dresse également son bilan de huit mois à la tête de son département.

Le Lynx : le président de la transition et le gouvernement ont pris d’assaut Conakry et l’île de Kassa pour les assainir. Qu’est-ce qui a motivé cela ?

Rose Pola Pricémou : Merci de nous donner l’opportunité d’expliquer nos choix aux Guinéens. Face à l’urgence, cela a été décidé en conseil des ministres d’aller sur le terrain, de mettre la main à la pâte en appui aux services chargés de nettoyer la ville. La ville s’est agrandie, on n’a que les décharges de la Minière et de Kagbélen. Celles-ci sont de plus en plus saturées, les méthodes de transformation ne sont pas encore au point. Des projets existent, mais n’ont pas encore abouti. Faut-il le rappeler, le gouvernement n’a que huit mois. On nous a répartis dans les cinq communes de la capitale, en plus de Kassa. Conakry était très sale, il fallait sortir nettoyer et c’est ce que nous avons fait.

L’acte est diversement apprécié. Sachant que les ministres ne peuvent assainir en permanence Conakry, quel message vouliez-vous passer ?  

C’est une action citoyenne. La refondation de l’Etat voulue par le président Mamadi Doumbouya passera par la pédagogie, l’éducation pour changer les mentalités, les consciences. Nous voulons une synergie d’action avec le peuple de Guinée pour qu’il intègre que l’assainissement est l’affaire de tous. Il est vrai qu’un coup de balai sans un mécanisme d’appui et de suivi ne servirait pas à grand-chose. Mais devant l’urgence, il fallait agir. Il faut qu’on travaille ensemble. Je pense qu’il faut voir le problème d’insalubrité à plusieurs niveaux : il faut éduquer, disposer d’infrastructures de transformation…Il faut mettre en œuvre la politique nationale en matière d’assainissement.

Justement, quelle est la politique du gouvernement pour venir à bout du problème ?

Je laisse cette question aux voix les plus autorisées, à savoir le ministère de l’Administration du territoire, l’Agence nationale de salubrité publique et le ministère de l’Urbanisme qu’il faudrait songer peut-être à réunir.

Selon vous, ne serait-il pas temps de mettre fin à la production des plastiques qui constituent une part importante des déchets ?

Il faut y penser, ne serait-ce que pour des considérations environnementales. Nos cours d’eau, la mer, partout on trouve ces déchets plastiques. Faute de les bannir tout de suite, il faudrait les réduire au maximum et qu’on change les habitudes des populations. C’est arrivé ailleurs : au Québec, en France…On ne vous donne plus le plastique gratuitement. Il faut déjà commencer à préparer nos enfants dès l’école primaire, la maternelle, en leur disant qu’au lieu de venir tous les jours avec une nouvelle bouteille, ils peuvent utiliser une gourde.

Vous aviez, comme vos autres collègues, sillonné le pays. Quel acte avez-vous posé à l’occasion, quel enseignement en tirez-vous ?

Je n’avais, avant, visité que quelques villes. Ce fut une belle expérience de parcourir le pays, coins et recoins, rencontrer, écouter nos services déconcentrés et les bénéficiaires de nos politiques que sont les populations. Est-ce que les orientations au niveau de nos départements s’arriment à leurs préoccupations, est-ce qu’elles sont adaptées aux réalités locales ? J’ai visité 18 radios rurales, 14 radios privées, deux télévisions, onze sites de diffusion, cinq bureaux de poste (j’assurais l’intérim de la ministre des Télécommunications), les centres émetteurs de Nzérékoré et de Dianyaabhè (Labé)…

Constat : il y a un déficit d’infrastructures des médias publics, les privés s’en sortent mieux. Les équipements sont soit vétustes, soit détruits par le tonnerre. Il y a également un déficit d’électricité commun aux deux secteurs, même si les médias publics en souffrent le plus ne générant pas de ressources. Les sites de relai ne permettent de couvrir que 24 % du territoire pour la télévision nationale, contre 95 % pour les radios rurales quand-même ! Ces radios de proximité, qui synchronisent avec la radio nationale, n’émettent malheureusement qu’environ dix heures par jour. Nous voulons porter cette durée à au moins 16h par jour, à défaut de 24h. C’est la première réforme engagée dès mon retour. Avec le ministère de l’Agriculture, on a équipé les radios rurales de smartphones, dictaphones avant la fin de l’immersion. Par la suite, d’autres ont reçu des ordinateurs.

On a environ un financement de huit milliards de francs guinéens, pour améliorer la couverture radio et télé du territoire, renouveler les équipements dont les émetteurs, les encodeurs. L’appel d’offres est lancé et tout sera disponible d’ici à la fin de l’année.

Il y a un besoin de formation tant pour les médias publics que privés de l’intérieur du pays. On a une ligne budgétaire importante dédiée à ce volet qui sera exécuté à partir de septembre. Des rencontres ont eu lieu au département entre patrons de presse et syndicat de journalistes, pour faire avancer le dossier de l’élaboration d’une convention collective. Avec l’appui du président de la République, les administrateurs territoriaux et le patrimoine bâti public, on a pu doter les régions de Nzérékoré, Kankan, Mamou et Kindia de maisons de la presse. A Labé, on n’a pas encore eu un bâtiment disponible.

Nous en avons également profité pour installer des directeurs régionaux de l’information, ce qui permet d’avoir une gouvernance de proximité, un interlocuteur aux acteurs de plus en plus nombreux à l’intérieur. L’objectif est d’avoir à la base l’ensemble des services du département, telles que les délivrances des licences, l’administration des centres de diffusion…Pour le moment, ces services déconcentrés vont servir de courroie de transmission.

Les autres réformes sont structurelles. Elles portent sur l’élaboration ou la réactualisation des textes réglementaires pour les directions et EPA (Etablissements publics administratifs) comme l’INA (Institut national de l’audiovisuel) qui s’occupe des archives audiovisuels notamment des médias publics, l’Agence guinéenne de presse, l’Office guinéen de publicité…Il fallait également un suivi des actions au niveau du ministère. On est à 60 % de taux d’exécution. Tous les agents ont un objectif. Chacun en venant le matin sait sur quoi il doit travailler. Nous sommes avancés sur le projet de transition numérique. Nous avons prévu de construire des studios régionaux pour la RTG.

Il y a un chantier qui ne finit pas dans l’enceinte de la RTG. Il risque de tomber si rien n’est fait…

On a besoin d’espace pour caser nos 1235 travailleurs, y compris ceux de la RTG, l’OGP, l’AGP, la Radio rurale…Le chantier à Koloma comprend le siège du ministère et de l’INA. Les travaux vont reprendre ces jours-ci. Le prestataire n’avait pas reçu ses avances, il y a eu assez de problèmes concernant ce chantier.

Quel a été le bilan de votre organisation de la Journée de la liberté de la presse en mai dernier ?  

Nous avions au préalable organisé les Journées de réflexion, avec pour objectif de structurer et orienter la cadence de la formation dans le secteur. Elles ont débouché sur l’élaboration d’un document stratégique qui nous permet d’avoir une idée des besoins en formation. Le Fonds de développement des médias a été créé, doté d’un Conseil d’administration, d’une direction. Son opérationnalisation va prendre un peu de temps, mais l’idée est déjà un grand pas.

L’organisation de la Journée sur la liberté de la presse a été un succès, une réussite. Je pense que c’est la première fois que les associations de presse et le département ont agi en synergie pour célébrer cet événement. C’est une expérience à renouveler.

Que pensez-vous de l’avenir de la presse écrite guinéenne ?   

Je pense qu’il faut suivre la cadence de la technologie. Faut-il rappeler que le thème de la Journée sur la liberté de la presse a été « Le journalisme sous l’emprise du numérique ». Cela nous interpelle : est-ce qu’on va rester focus sur le classique ? Nos enfants naissent carrément avec les smartphones, les tablettes. Est-ce que le papier reste le meilleur support pour l’écriture ou faut-il que la presse papier se réinvente ? Il faut trouver des moyens d’attraction, car les lecteurs ont tendance à aller beaucoup plus vers l’audiovisuel qui est plus accessible. Or, la presse écrite est très importe, il faut emmener nos enfants vers elle.

Nous bouclons cette interview par les accidents qui ont beaucoup endeuillé la Guinée ces derniers temps. On vous a vu communiquer là-dessus alors que ce n’est pas votre secteur…

Notre département a un rôle transversal. Je ne pouvais pas rester insensible ou laisser les médias privés de côté, pour ce qui est de la sensibilisation. Après ma nomination, le président de la transition avait reçu tous les médias pour leur demander de jouer leur partition, leur rôle de communicant, d’éducateur…J’ai donc voulu inviter les médias à s’activer pour qu’on puisse réussir le pari de l’information tant à Conakry qu’à l’intérieur du pays.

Interview réalisée par

Diawo Labboyah