C’est hier soir en revenant des funérailles de ma cousine que la nouvelle est brutalement tombée sur mon smartphone (comme l’argent de Pamélo Mounka, la mort appelle la mort) : Le saxophoniste Maître Barry a tiré sa révérence. On était bien le 26 juillet, je devais accuser le coup, ce ne pouvait être un poisson d’avril. N’empêche, j’ai beau faire, je n’arrive pas à réaliser la mort de ce  bon vivant, de cet amoureux de la fête, de ce complice jovial de la vie sur terre. Maître Barry, c’était d’abord et avant tout, les éclats de rire, les  bonnes blagues, les tapes amicales à l’épaule, la bonne bouffe, la bonne bouteille et bien entendu la bonne musique.

Formé à la bonne école des Antillais comme la plupart de nos joueurs d’instruments à vent, Maître Barry a traversé de long en large l’épopée musicale de ce pays et joué avec les plus grands de nos virtuoses. Ce monsieur était bourré de talent. Mais en musique comme dans le reste, le talent ne suffit. Il faut aussi la passion et l’endurance, la volonté surdimensionnée de  toujours mieux faire. L’amour sans borne qu’il nourrissait pour son saxo ou plutôt pour son fidèle compagnon et son expérience de plus d’un demi-siècle font de ce merveilleux chef d’orchestre, de cet arrangeur hors pair,  une valeur sûre de la musique nationale.

Il faut dire qu’il avait de qui tenir. Son père lui-même était musicien et comme tous les vrais musiciens, polyvalent : il a joué de l’accordéon, de la percussion et de la clarinette dans le Doura Band, le mythique orchestre de Kindia. Maître Barry est né dans la musique et très jeune, appris à tâter de tout en commençant bien bas, par la troupe folklorique de son quartier : percussion (savez-vous que les Ballets Africains l’avaient recruté comme percussionniste et que c’est sa mère qui s’y est opposée ?), clarinette, flûte, saxo, trompette ;  etc.  Le célèbre salsero dominicain, Johnny Pacheco a suivi exactement le même parcours, le même chemin initiatique. C’est en voyant notre monumental Kélétigui Traoré à l’œuvre, qu’il a fini par opter pour le saxo. Il fait ses débuts au Gbassikolo Jazz puis crée Le Kaloum, ensuite Le Gombo Jazz et enfin l’African Groove tout en offrant occasionnellement ses services aussi bien à Camayenne Sofa qu’à Syli Authentique, au Bembeya Jazz qu’à Kélétigui et ses Tambourinis

J’ai beaucoup de chance : Ce colosse  du patrimoine national était aussi mon ami. C’est en 1999 que je l’ai vu pour la première fois Chez Yolande, ce fabuleux bar de Dixinn où venaient se produire tous ceux que j’aime, tous ceux qui ont bercé ma jeunesse : mes amis Kémo Kouyaté et Fodé Conté dit René Joly, entre autres. Plus tard, on a échangé un mot au Loft et au MLS. Mais c’est à mon retour d’exil en 2012 lors des mythiques soirées de samedi, chez Justin Morel que notre amitié a pris corps. Nous nous sommes rendu compte que nous avions beaucoup de points communs : la musique (je suis un indécrottable mélomane), la littérature, les voyages. Comme tous les instituteurs de la vieille école, Maître Barry était un passionné de livres et de lecture, c’était aussi un passionné de géographie. Il avait comme moi pratiquement fait le tour du monde. Nous parlions souvent de Cuba et de San Francisco, deux lieux magiques que  tous les deux, nous chérissions particulièrement. D’ailleurs, Sam Saxo, le personnage central de mon roman, Les Coqs cubains chantent à minuit, n’est autre que l’avatar de Maître Barry. Il le rappelait souvent en se fendant d’un ricanement qui faisait penser à celui inoubliable de Satchmo, de son vrai nom, Louis Arstrong.

Il nous a quittés Maître Barry. Mais dans l’au-delà, il sera en bonne compagnie : pensez donc, il y rejoindra Charlie Parker, John Coltrane, Coleman Hawkins, Sonny Rollins, Dexter Gordon, Julian Connonball, Lester Young, Manu Dibango et bien sûr, nos inoubliables compatriotes Momo Wandel et Kélétigui Traoré.

Ça va chauffer au paradis ! 

Tierno Monénembo