Dans une anomie qui est celle de la Guinée, le CNRD veut faire l’Histoire pour entrer dans l’Histoire. Il lui faudrait éviter de faire les choses à moitié.
Parler d’entrer dans l’histoire, on ne peut pas oublier cette phrase de Nicolas Sarkozy : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire », une vérité qui traverse les temps jusqu’à nos jours. A l’époque des faits, cette vérité avait fait bondir d’éminents intellectuels et historiens africains. Dans l’émotion, ils ont produit un ouvrage pour une remise à niveau de Nicolas Sarkozy sur l’histoire africaine. Mais l’histoire contemporaine est loin de l’histoire du passé. Les hommes qui ont fait l’histoire de l’Afrique médiévale ne sont pas ceux qui dirigent l’Afrique contemporaine. Cette preuve ne tardera guère à se produire au Mali-même, dans un curieux scénario : ATT renverse Moussa Traoré en 1991 (« Donner le courant, Bamako n’est pas Conakry ! ») et remet le pouvoir à un civil, à un historien en 1992, et tenez-vous bien, cet historien a pour épouse une éminente historienne, en l’occurrence la tête de file des auteurs qui ont coupé le sifflet au pauvre Sarkozy. Après les deux mandats conventionnels d’Alpha Oumar Konaré, en 2002, ATT, qui était déjà entré dans l’histoire, sort pour refaire l’histoire, qu’il supposait inachevée. A une semaine de la fin de son deuxième mandat, en 2012, après avoir préparé en bonne et due forme son successeur, une sorte de confiscation tacite du pouvoir, il est chassé par un certain Sanogo, qui avait profité de la déliquescence de l’Etat sous ATT pour laisser les terroristes avancer jusqu’à Aguelhok. N’eût été l’intervention de la France de François Hollande, il n’y avait rien à dire… Sanogo sera arrêté dans ses dérives en rossant son Premier ministre, des élections seront organisées pour porter Ibrahima Boubacar Kéita, mais la gestion de IBK a été aussi calamiteuse et catastrophiques que ses précédents. Des tonnes de dossiers de corruption et de mauvaise gouvernance seront sur la place publique. L’opposition politique malienne avait crié sur tous les toits, cela n’a ému personne. Et comme Nicolas Sarkozy a cru que faire l’histoire, c’était d’éliminer Kadhafi, il a eu un super grand conseiller, qui l’a poussé à la gaffe sans service après-vente. Voilà la boîte de Pandore ouverte au Sahel.
Tous les acteurs qui voulaient faire l’histoire, et qui n’ont pas terminé la besogne en faisant les choses à moitié ou en les faisant biaisement, à commencer par les historiens et intellectuels en passant par les politiques de tous poils, l’histoire leur a tous coupé le sifflet. Et pendant tout ce temps, les Maliens piétinaient sur place avec le terrorisme, malgré les forces internationales…
Cet avatar malien, les Guinéens l’ont vu et vécu de loin et de près, et même de très près avec les différents changements qui ont tourné au vinaigre chez eux.
Si tous veulent éviter la répétition du même scénario, tous ne sont pas sur la même longueur d’onde avec les approches du CNRD. Or, pour un bon et durable départ, il faudrait nettoyer les écuries d’Augias. La refonte de l’Etat est une chose incontournable. L’administration est corrompue jusqu’à la moelle, c’est même peu dire. L’audit de cette gestion économique nécessite du temps. Concocter une constitution qui soit acceptée par tous, il faut du temps. Faire le recensement général de la population et élaborer un fichier électoral fiable, il faut du temps. La limitation du nombre de partis politiques est souhaitable pour ne pas favoriser l’éclatement des dissensions et surtout favoriser le clientélisme politique, mais il n’est pas souhaitable de limiter l’âge des candidats, cela ressemble à une élimination politique ciblée, et cela ne facilitera pas la réconciliation nationale, qui demande du temps.
Combien de temps la CEDEAO juge-t-elle nécessaire pour abattre tous ces travaux d’Hercule ? La même question peut être posée à Cellou Dalein et à Sydia Touré puisque rester pendant 36 mois à ronger son frein est une éternité pour ceux qui ont l’habitude de battre le pavé, à mettre les bâtons dans les roues des gouvernances. Ceux qui veulent brusquer les choses sont-ils conscients de la responsabilité historique des conséquences qui adviendraient si la Guinée ratait cet ultime changement pour revenir à la cage départ ? Veulent-ils confondre aveuglement vitesse et précipitation parce qu’ils ne sont pas aux commandes ?
Mais aussi, le CNRD ne doit pas favoriser un leader politique au détriment d’un autre, ou favoriser un groupe d’hommes politiques au détriment d’un autre. Le faisant, il crée forcément des contentieux inépuisables. Le mauvais exemple de ATT au Mali doit être évité à tout prix. Voir distinctement deux groupements de partis politiques, l’un qui soutient les approches du CNRD et l’autre qui les réfute et qui se chamaillent chaque jour sur l’échiquier national, fait appréhender d’ores et déjà ce mauvais augure pour le futur.
Le narcissisme de la CEDEAO
La CEDEAO doit se regarder dans le miroir, comme le cerf de La Fontaine qui se voyait trop beau dans l’eau avec son bois encombrant sur la tête (comme Embalo qui se voit trop beau comme président en exercice de la CEDEAO, fatuité !). Cette CEDEAO qui avait pris acte du changement de la constitution qui permettait au « Mandela guinéen » de briguer un troisième mandat dans une élection déroulée avec un fichier inédit dans les conditions les plus embrouillées et les plus irrégulières. (Dans la commune de Matam, les urnes ont été ramenées à la centralisation vers 15-16 heures, bien avant 18 heures, faute d’électeurs). Dans ces conditions, le troisième mandat allait se dérouler avec les pires difficultés, s’il ne conduisait à un autre massacre de masse comme celui du 28 Septembre 2009. On se souvient aussi que le dossier en justice du FNDC contre les exactions et les irrégularités lors de cette élection, dossier qui devait être examiné par la justice de la CEDEAO en février 2021, c’est-à-dire après la prestation de serment d’Alpha Condé en Janvier 2021 (médecin après la mort), est toujours en attente dans les tiroirs. C’était au grand dam de ceux qui s’insurgent aujourd’hui pour demander une autre justice à la même CEDEAO. Le ridicule ne tue pas…
Blocus contre la Guinée ?
Quant à Umaru Sissoco Embalo, le président de la Guinée-Bissau, ce n’est pas un guignol politique, c’est un ectoplasme sans aucune consistance politique. On ne sait pas où et de qui il a entendu que la transition en Guinée ne dure que 24 mois, pour aller flouer le président français. Cela est un manque de respect à la diplomatie. Il a voulu forcer le CNRD à accepter un fait accompli décidé unilatéralement par lui pour se prévaloir d’un triomphe politique imaginaire devant la face du monde. Mais en faisant les choses ainsi, il perd en crédibilité chez les Guinéens, chez Emmanuel Macron et aussi chez ses pairs de la CEDEAO. Un président en exercice, qui fout de la poudre aux yeux à tout le monde, peut être nocif pour une organisation à la recherche du temps perdu d’une crédibilité ternie, même s’il joue faux-jeu pour complaire à ses maîtres.
Il a bien ses raisons de perdre la raison d’être plus expéditif et plus pragmatique que ses pairs de la CEDEAO, qui avaient mis du temps pour trancher en sa faveur, quand il était en ballotage avec le candidat du PAIGC soutenu par la Guinée de Alpha Condé, et lui, Embalo, était soutenu par le Sénégal de Macky Sall. Il a raison de lapider la Guinée pour complaire à son maître. La dualité entre la Guinée et le Sénégal prendra fin quand, quand on sait que le Sénégal a toujours été le réceptacle des opposants guinéens ?
Autre chose, le président en exercice actuel de la CEDEAO est ignorant de ce que les Guinéens ont vécu en faisant un combat d’arrière-garde pour sa propre survie dans son propre pays. S’il se montre si follement ferme contre les renversements de régime par les militaires, c’est pour mettre en garde ses ennemis potentiels de son pays, et il en a à ramasser à la pelle.
Quand le général Lansana Conté avait qualifié la CEDEAO « de syndicat des chefs d’Etat », ce n’était pas fortuit. Le coup d’Etat de Diarra Traoré en 1985 a été fomenté et organisé par la CEDEAO de l’époque, qui l’avait convoqué à Lomé pour permettre à Diarra Traoré de faire son coup foiré. Félix Houphouët Boigny et Etienne Gnassingbé Eyadema en étaient les barons. Plus tard, Kadhafi et Charles Taylor viendront grossir le rang pour permettre à Blaise Compaoré d’éliminer Thomas Sankara. Lansana Conté doutait encore fort de Blaise Compaoré d’être l’instigateur du coup manqué contre lui en 2005, sur les rails d’ENCO-5. Et cette grande amitié soudaine, née de toutes pièces, entre Alpha Condé et Blaise Compaoré, elle n’a surpris personne, mais où se sont-ils connus auparavant, pas à la FEANF, en tout cas. La CEDEAO n’avait pas bougé lors de la guerre civile au Libéria et en Sierra Leone parce que Houphouët et Eyadema soutenaient la prise du pouvoir par Charles Taylor. Cette guerre avait fait ramification jusqu’en Guinée. Le départ de ce feu était à la frontière ivoirienne. Alpha Condé avait cavalé jusqu’à Piné, encore à la frontière ivoirienne. Alassane Ouattara avait aussi fermé les yeux sur le ‘’solo de violon’’ de son « élève en économie et son maître en politique », il se fait bien discret dans les sanctions préconisées par Embalo, mais pour autant, est-il oie blanche dans ce qui plane au-dessus de la Guinée ?
Si Embalo appelle au blocus contre la Guinée (sanctions lourdes) et que les gars du CNRD veulent vraiment tenir à leur orgueil et à leur honneur, il y aura forcément un bras de fer sans précédent dans la sous-région qui risquerait de provoquer une ‘’balkanisation’’ au sein de la CEDEAO. Est-il exclu que d’autres pays soient aussi à croupetons contre certains diktats du syndicat des chefs d’Etat ? Si un tel scénario se produisait, personne ne saura d’où partirait l’incendie et dans quelle direction. Qu’en serait-il aussi de l’avenir politique de ceux qui veulent confondre vitesse et précipitation, actuellement en exil volontaire ?
Pour éviter de tomber dans l’inconnu, n’ayons pas peur des mots, la CEDEAO doit être invitée avec cette tête fêlée de Embalo à venir voir ce que la junte préconise de faire en Guinée, et dans quel délai possible, à leur entendement. Il n’est pas un tabou d’associer Cellou et Sydia à la détermination du chronogramme, pour l’apaisement.
Après ce préambule, le CNRD doit tout faire promptement et proprement sans offusquer ni frustrer, sans prendre parti pour les uns contre les autres et sans donner l’impression de chercher à perdre du temps pour se la couler douce. C’est en tout cas l’impression d’une frange de Guinéens assoiffés de changement et qui ont courbé l’échine sous le joug de trois juntes qu’ils ont acclamées et ovationnées comme jamais. La suspicion est à fleur de peau.
Chat échaudé craint l’eau froide, dit-on.
Moïse Sidibé