Un homme libre et un autre privé de liberté n’ont jamais la même lucidité. Le premier a peur. Le second, ayant perdu la chose la plus précieuse pour l’être humain, la liberté, devient téméraire voire suicidaire. C’est exactement ce qui s’est passé mercredi 14 septembre à la Maison centrale de Cona-cris, lorsque le ministre de la Justice s’y est rendu pour s’enquérir de l’état de santé des prisonniers politiques. Même si le gouvernement soutient mordicus qu’il n’en n’existe pas en Guinée.

Après le décès embarrassant de Louncény Camara en prison, ancien ministre et ancien président de la CENI, les nouvelles autorités sont plus qu’embarrassées. C’est ce qui expliquerait le déplacement du ministre  de la Justice à la Maison centrale après les informations faisant état de la souffrance d’Ibrahima Diallo, codétenu d’Oumar Sylla alias Foniké Mengué et Saïkou Yaya Barry, respectivement activiste de la société civile et responsable de l’UFR.

Une fois dans la cellule des deux militants pro-démocratie, le ministre se serait montré très préoccupé du sort de deux bagnards. Les nombreuses interrogations ont visiblement agacé Foniké Mengué. Lequel, mis dans tous ses états par cette visite qu’il juge hypocrite, aurait renvoyé le ministre comme un malpropre. Un véritable camouflet pour un homme qui passe pour l’un des ministres les plus puissants du gouvernement de la  transition.

Après cet incident, les commentaires vont bon train. Pour beaucoup d’observateurs, l’attitude d’Oumar Sylla est certes suicidaire dans la mesure où ses conditions carcérales pourraient être durcies, mais en même temps, il s’est montré digne. Car autant l’actuel ministre de la Justice avait œuvré pour sa libération lors de ses premiers ennuis judiciaires, autant Charles Wright en est pour quelque chose dans sa traversée du désert actuelle.

Le moins que l’on puisse dire est que l’activiste, incontestablement nouvel héros de la Guinée pour son combat pour la démocratie et l’Etat de droit, a, une fois de plus, fait preuve de bravoure. Le jeune aurait pu s’agenouiller devant le ministre pour demander pardon afin de recouvrer la liberté. A la limite, il aurait pu se montrer courtois face à un homme qui, selon ses proches, le narguait. Mais Oumar Sylla a préféré l’honneur. Au prix de sa liberté. Voire sa vie.

Cet incident n’est pas  sans rappeler le procès sur l’attaque du domicile d’Alpha Condé. S’exprimant devant le juge, l’officier, Alpha Oumar Boffa Diallo, dit AOB, qui était le principal accusé, avait rigolé au cours d’un interrogatoire. Cela mit le procureur dans tous ses états. Ce dernier promit l’enfer au bagnard. Disant en substance: «monsieur AOB, rira celui qui rira le dernier». Avec le recul, il est certain qu’AOB est fier de ne s’être pas plié en quatre pour demander pardon à des gens qui, de toute façon, étaient décidés de le condamner.

Reste à savoir si, après avoir défié le puissant ministre, celui-ci le fera payer Oumar Sylla ou si l’incident sera l’élément déclencheur du procès de trois détenus politiques. Connaissant l’embarras d’un régime dont le pouvoir commence à devenir une patate chaude entre les mains, la maladie d’un des détenus et le cri de cœur de son codétenu pourraient accélérer le procès. Lequel débouchera sans doute sur la relaxe pure et simple.

Car pour le commun des mortels, il est impensable que des hommes croupissent en prison pour avoir organisé une manifestation pendant que les auteurs et les commanditaires de tous les  crimes que le pays a connus ces dernières années se promènent librement. S’il est vrai que certains barons de l’ancien régime sont en prison ou sous contrôle judiciaire, il est tout aussi vrai qu’il n’y a un véritable paradoxe dans  cette affaire.

Entre les crimes de sang et les délits économiques, il n’y a pas  de comparaison possible. Si les nouvelles autorités voulaient mettre fin à l’impunité dans ce pays, elles devaient commencer par les crimes de sang. Visiblement la boussole est tombée en panne.

Habib  Yembering Diallo