Les auteurs de putschs qui ont secoué l’Afrique de l’Ouest prétendaient rectifier une situation de crise imputée aux dérives des régimes précédents. Deux ans après leur arrivée au pouvoir, on est loin du compte…
Il y a deux ans l’Afrique de l’Ouest, que l’on pensait suffisamment engagée sur la voie de la démocratie après de très nombreuses alternances et des élections devenues la routine, renouait subitement avec le temps des colonels et des coups d’État. Premier épisode au Mali, le 18 aout 2020 avec la chute d’Ibrahim Boubacar Keita. Le 5 septembre 2021, en Guinée, c’est le tour d’Alpha Condé. Et, enfin, le 24 janvier 2022 au Burkina, celui de Roch Marc Christian Kaboré. La Guinée-Bissau, elle, a échappé de peu au même sort.
Ces putschs, qualifiés un peu vite de « coups d’État nouvelle génération », alors qu’ils ressemblaient furieusement à ceux qui ont émaillé l’histoire contemporaine africaine entre les années 1960 et le début des années 1990, avaient pour objectif supposé, selon leurs auteurs, de rectifier une situation de crise imputée aux dérives de pouvoirs issus des urnes.
Plusieurs dénominateurs communs
Ces trois pays étant confrontés à des problématiques sécuritaires, les militaires ont en outre eu beau jeu de dénoncer et de prétendre pallier l’incurie des régimes en matière de lutte contre le terrorisme. Des dénominateurs communs : tous ont été menés par des officiers, colonels ou lieutenant-colonel quadragénaires, et donc relativement jeunes, aux profils étrangement similaires. Assimi Goita, Mamadi Doumbouya et Paul-Henri Sandaogo Damiba ont été formés à l’étranger et ont dirigé les forces d’élite dans leurs pays respectifs.
Des prises de pouvoir par la force, la plupart des temps acclamées par la population (en tout cas personne ne regrette la chute des présidents en question), qui révèlent au grand jour un bien triste constat : le sentiment largement partagé que les élections, et par association la démocratie, ne servent à rien et ne reflètent même pas la volonté réelle des citoyens. Dans des pays où le quotidien rime avec chômage, flambée des prix, difficultés d’approvisionnement en eau et délestages récurrents, on peut comprendre la défiance générale à l’encontre des dirigeant censés résoudre ces problèmes. Alors quand aucune solution ne pointe à l’horizon, on ouvre la boite de Pandore, et donc les bras à ceux qui enfilent le costume, en l’occurrence un simple treillis de sauveur. Lesquels savent très bien comment faire passer la pilule : promesse tous azimuts, populisme débridé, exacerbation de la fierté nationale, désignation de boucs émissaires (généralement l’ancienne puissance coloniale), etc.
Promesses sans lendemain
Nos présidents en Kaki bandent les muscles, serinent que leurs pays n’ont de leçon à recevoir de personne et qu’il ne se soucie que du bonheur du peuple. Tous utilisent la même antienne pour jouer les prolongations et faire durer leurs transitions au-delà du raisonnable. « Il faut refonder l’État », clament-ils en chœur. Tout revoir de fond en comble : les constitutions, les institutions, les lois. Consulter les forces vives de la nation, soigneusement triées sur le volet bien entendu. Avec eux, l’avenir ne peut être que radieux…
La loi du plus fort
Ces juntes ne rendent aucun compte, accaparent tous les leviers de l’État, fixent la durée de leur « mandat » à leur guise, ne prennent aucun engagement, usent et abusent de la loi du plus fort. On se croirait revenu au temps des partis uniques… Sur le plan économique comme sur celui de la lutte contre la corruption, aucun progrès notable, pour rester poli. On devait s’y attendre, ils n’ont aucune compétence ni formation en la matière, n’ont jamais rien prouvé ni réglé dans leur pays. Pis, ils se révèlent incapables de mener à bien leur mission première, ce pour quoi ils étaient payés et ont été formés : assurer la sécurité de leur pays et combattre les jihadistes. Bref, à l’heure du bilan d’étape, il n’y a guère de raison de pavoiser.
Deux ans après la chute d’IBK, les fruits ont-ils passé la promesse des fleurs ? Évidemment, non. Plutôt que de lutter efficacement contre l’insécurité ou de se préoccuper de développement, les militaires se cantonnent à prolonger leur présence aux commandes des États, en prétendant engager des réformes aux long cours. Primo, c’est faux. En tout cas rien ne l’atteste. Et secundo, ce n’est pas le rôle dévolu à des autorités de la transition. Bénéficiant d’une certaine popularité, liée surtout au rejet des pouvoirs qu’ils ont défaits, les juntes en place ne laissent en outre guère entrevoir une volonté de remettre sur les rails la démocratie. Bien au contraire : le plus souvent, la classe politique est mise à l’écart, la liberté d’expression confisquée, les journalistes menacés, les manifestations sur la voie publique interdites et la justice dévoyée pour mettre hors d’état de nuire d’anciens caciques des régimes précédents, voire les opposants les plus influents. Boubou Cissé et Tiéman Hubert au Mali, Cellou Dalein Diallo ou Sidya Touré en Guinée en sont les exemples les plus flagrants.
Détestable habitude, donc, des hommes en treillis sous nos latitudes, qui n’hésitent jamais à investir par la force le champ politique, prétextant à chaque fois, la main sur le cœur, vouloir sauver le pays, ou ce qu’il en reste. Le constat d’échec des dirigeants (et des classes politiques en général) étant posé, et le débat sur les carences démocratiques ou institutionnelles en Afrique étant ouvert depuis l’époque des conférences nationales, est-ce une raison suffisante de ne pas s’interroger sur ces transitions dévoyées ?
Un remède pire que le mal
Le remède n’est-il pas pire que le mal ? Ceux qui applaudissent à tout rompre la chute d’un tel, prêts à lécher les godillots du nouvel homme providentiel et à se nourrir de promesses sans lendemain feraient bien d’y réfléchir à deux fois. Et de se préparer au pire. Moussa Dadis Camara et Sékouba Konaté (Guinée), Amadou Haya Sanogo (Mali), Salou Djibo (Niger), Mohamed Ould Abdelaziz (Mauritanie), pour ne citer qu’eux, ont-ils démontré leur capacité à gouverner dans l’intérêt général, leur leadership ou leur probité ? A trop rêver d’un Thomas Sankara, on risque surtout de se retrouver avec un vulgaire Yahya Jammeh…
Par Marwane Ben Yahmed (Jeune Afrique)