L’étau se resserre sur Mamady Doumbouya et ses compagnons, déjà dans le viseur de la CPI. Alors que les récentes manifestations pacifiques à l’appel de l’opposition contre la « gestion unilatérale » de la transition ont été réprimées faisant plusieurs morts, des blessés graves, l’arrestation et la maltraitance de jeunes adolescents, le chef de l’Etat français a exprimé sa vive préoccupation, appelant les putschistes au respect de la liberté de manifester chez les Guinéens ; un droit de l’Homme inaliénable.
Depuis la prise du pouvoir par les armes le 5 septembre 2021, le Colonel Mamady Doumbouya a interdit toute manifestation publique dans le pays. Il n’hésite pas à chaque fois, à déployer les moyens militaires, pour dissuader, disperser, interpeller, emprisonner, blesser et tuer des manifestants qui essaient de le défier en se retrouvant dans la rue pour s’exprimer.
A l’exemple des manifestions du mois de juin, juillet et août, de nombreux opposants se sont vus interpelés et jetés en prison, pendant que d’autres voyaient leurs biens attaqués et détruits par des agents de sécurité déployés par le régime. D’autres ont à chaque manifestation, tout simplement vu mourir des proches civils, à l’exemple du jeune Ibrahima Baldé, dont les images ont fait le tour du monde depuis le 17 août.
Au cours des mêmes manifestations, les opposants réunis au sein du FNDC (Front National pour la Défense de la Constitution), déplorent aussi la maltraitance infligée aux jeunes civiles interpellés dans les quartiers, par les gendarmes, policiers et militaires. C’est face à ces crimes à répétition, qui ne laissent aucun pays ami de la Guinée indifférent, que le chef de l’Etat français appelle à respecter les droits de l’Homme en Guinée Conakry. Il met par ailleurs en garde le régime de Mamady Doumbouya, contre des crimes contre l’humanité qui pourraient être bientôt actés dans le pays, alors que la CPI avait déjà alerté Mamady Doumbouya et ses hommes, pour les mêmes raisons.
Le chef de l’Etat français annonce qu’il devra rencontrer le Secrétaire général de l’ONU, en marge de la 77è session l’Assemblée générale des Nations unies, qui s’ouvre le 13 septembre prochain. Emmanuel Macron et Antonio Guterres discuteront des mesures à prendre pour stopper la dérive autoritaire qui prend corps en Guinée, faisant des morts parmi les populations civiles car, le régime fait la sourde-oreille face à toutes les interpellations l’exhortant à respecter les droits de l’Homme.
L’on se rappelle que, réunis à Accra au Ghana, vendredi 25 mars 2022, en sommet extraordinaire à huis clos pour examiner la situation en Guinée, les chefs d’États de la Cédéao avaient donné des ultimatums aux militaires au pouvoir. La Cédéao demandait la finalisation d’un chronogramme acceptable de la transition au plus tard le 25 avril 2022. « Passé ce délai, des sanctions économiques et financières entreront immédiatement en vigueur », prévenait l’organisation. En réponse, le pouvoir guinéen haussait le ton. Le porte-parole du gouvernement guinéen, Ousmane Gaoual Diallo, soulignait que les Guinéens étaient « déçus » en lisant le communiqué des chefs d’États de la Cédéao. « On n’évolue pas vers la démocratie sous le diktat », soulignait-t-il avant d’inviter cette organisation à « ne pas considérer la Guinée comme un pays en guerre ou un pays en crise ».
Concernant les sanctions économiques et financières brandies par l’organisation à l’endroit de la Guinée, si le calendrier n’est pas présenté, Conakry y voyait alors un complot contre la population. « Le seul effet que cela représente, c’est d’asphyxier la population. Est-ce la mission de la Cédéao de créer des conditions de précarité et de pauvreté pour les peuples de la sous-région ? Donc nous, nous continuons à travailler dans le sens et dans rythme dictés par le contexte de notre pays », insistait Ousmane Diallo.
Par ailleurs, face aux risques de répression des manifestations en Guinée, les avocats du FNDC avaient décidé le 26 juillet 2022, de saisir la Haut-commissaire des Nations unies aux Droits de l’Homme, Michel Bachelet et le Procureur de la Cour Pénale Internationale, Karim Khan. Dans une note intitulée : « Situation alarmante des droits humains en Guinée, instrumentalisation de la justice pour intimider les acteurs de la société civile et des partis politiques, arrestations arbitraires de membres du FNDC, confiscation des droits et libertés des citoyens », Me William Bourdon et Me Vincent Brengarth alertait la CPI et l’ONU sur les menaces de répression qui pesaient en Guinée alors que des manifestations étaient projetées dès le jeudi 28 juillet dans le pays.
En réponse, le pouvoir militaire a de nouveau commis des morts lors des manifestations des 28 juillet et 29 juillet. La CPI a annoncé une enquête préliminaire sur les massacres perpétrés fin juillet et mis une fois de plus en garde le colonel Doumbouya contre d’éventuels massacres. Le bilan faisait état de 5 morts. Une fois de plus, le régime a tout botté en touche.
Le 17 août, plusieurs morts, dont des adolescents, ont été signalés lors des manifestations dans plusieurs régions du pays ; des centaines de personnes dont des enfants, ont fait l’objet d’interpellations et de tortures, par des forces de sécurité et de maintien de l’ordre. Force est donc de constater que le pouvoir militaire en Guinée ne recule devant rien et est prêt à continuer d’user de la force disproportionnée, y compris contre les civils pour maintenir son autorité.
Dans cette logique meurtrière, celui-ci doit tout au moins se souvenir des régimes et des hommes qui furent plus puissants mais qui ont fini par être traduits devant la CPI. Depuis sa constitution en 1998, au moins 15 principaux dignitaires africains ont été poursuivis par la CPI. Si les uns ont simplement fait l’objet de machinations orchestrées pour éliminer quelques obstacles à leurs intérêts, il n’en demeure pas moins vrai que d’autres par contre, ont été effectivement auteurs des faits qui leurs étaient reprochés ; à savoir des crimes contre l’humanité, schéma dans lequel le pouvoir guinéen est en train de s’inscrire en causant la mort de civils lors de manifestations pacifiques, entre autres.
Le cas de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo et son ministre de la Jeunesse, Charles Blé Goudé, dont les charges de crimes contre l’humanité avaient été confirmées à son encontre avant d’être finalement abandonnées et lui-même purement et simplement libéré, est l’une des exceptions en raison du caractère quelque peu kafkaïen du procès. D’autres ressortissants de pays africains comme la Libye, la RDC, la République Centrafricaine, le Soudan, le Kenya, le Mali… ont eu mailles des démêlées avec le Procureur de la CPI. Le cas du 28 septembre 2009, bien que pendant devant les tribunaux, devrait mieux inspirer la junte du colonel Doumbouya.
Avec le Courrier Diplomatique