De la naissance des mouvements d’émancipation dans les colonies (1940 et 1950) à nos jours, l’histoire de la Guinée a connu de multiples violences politiques et sociales entraînant de nombreux morts et d’importantes destructions de biens privés et publics. Les joutes oratoires inhérentes au combat politique ont fréquemment tourné en violentes confrontations souvent meurtrières, lors des campagnes électorales.
On note que les vicissitudes politiques et sociales ont tracé dans la chair des uns et des autres des sillons si profonds et si béants qu’ils ne peuvent se refermer et se cicatriser que difficilement. Mais, fort heureusement, l’histoire empile nombre d’exemples qui peuvent inspirer les Guinéens à se pardonner, se réconcilier et reconstruire un nouveau type de rapports fondés sur la confiance, l’amour et la fraternité.
La mise en place d’un cadre de dialogue, en cette période de transition, permet d’enrayer cette situation et de créer un environnement social plus serein propice à l’exercice convivial de la démocratie et au développement économique. La réussite d’une telle dynamique est liée à la volonté et à la détermination des Guinéennes et des Guinéens de s’accepter, de se tolérer.
L’Allemagne, la France et le Royaume Uni se sont depuis longtemps débarrassés des réminiscences de la deuxième guerre mondiale et reconstruit des rapports politiques, économiques et sociaux de confiance qui ont contribué à l’édification de l’Union européenne. A l’intérieur même de ces pays, les résistants ont depuis longtemps pardonné à ceux des leurs qui ont collaboré avec l’ennemi, leur forfaiture. Les Ivoiriens qui se sont battus les uns contre les autres durant une décennie s’attèlent à refonder leurs liens séculaires afin d’en faire un levier du développement économique, social et culturel. Les présidents Ouattara, Bédié et Gbagbo qui ont constamment eu les uns avec les autres des relations scabreuses, se rencontrent parfois et évoquent les problèmes de leur pays, la Côte d’Ivoire. Il est superflu d’évoquer l’épatant cas de figure de l’Afrique du Sud.
L’antagonisme qui oppose les Guinéens est-il plus sévère que celui qui a opposé ces peuples qui ont pu vaincre leurs pulsions par la volonté et la détermination de se réconcilier avec eux-mêmes ? Comme eux, les Guinéens doivent, au risque de se faire violence, se réconcilier les uns avec les autres. L’une des voies les plus efficaces pour atteindre cet objectif n’est–elle pas celle du pardon des coupables aux victimes ?
Seule la conclusion d’une paix des braves où il n’y a ni vainqueurs ni vaincus, aidera les Guinéennes et les Guinéens à recoudre le tissu social suffisamment effiloché. C’est l’ultime intérêt de la mise en place d’un cadre national de dialogue qui permet de se situer dans la perspective de la refondation des rapports qui soudent les Guinéens en une nation, car ces rapports n’ont pas cessé de se détériorer depuis des années pendant que la solidarité communautaire se consolide. L’élection présidentielle de 2010 a été un moment fort d’exacerbation de cette tendance. Elle a davantage distendu le tissu social déjà suffisamment éprouvé par les multiples tensions évoquées plus haut.
Les violences qui ont émaillé l’organisation des élections montrent que la société guinéenne ne fonctionne plus sur le modèle d’une société apaisée. Il est impératif d’inverser cette tendance dont l’impact négatif sur la problématique du développement socio-économique du pays est certain. Une société tourmentée, en agitation politique et sociale récurrente parce que ses composantes ethniques sont sans cesse dans une relation conflictuelle, ne peut attirer d’importants investissements directs étrangers (IDE) qui sont le véritable levier de la croissance et de la création de richesse. Pour réussir le pari du changement qui ne peut s’opérer sans capitaux massifs, il faut favoriser à travers le pardon l’émergence d’une société guinéenne apaisée et solidaire qui représente, par ailleurs, un cadre incubateur (une nidation) propice à l’épanouissement et à l’enracinement de la démocratie.
A n’en pas douter, cette initiative est porteuse d’un inestimable gain partagé au profit de tous les acteurs de la Transition et, plus tard, de toute la classe politique, majorité et opposition confondues. Elle est certes ardue, mais il n’y a aucun obstacle rédhibitoire qui s’y oppose. De toute façon, ‘’Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer’’, nous enseigne le vieil adage.
Abraham Kayoko Doré