Qui a fait élire Telli en 1964 et qui l’a fait réélire en 1968 ? Pendant que Diallo Telli s’afférait aux Nations Unies, il ignorait qu’il se trouvait au cœur des débats autour de la question de l’avenir de l’O.U.A. Au cours de leur réunion du 23 mai 1963 à Addis-Abeba, les chefs d’État procédèrent à la sélection des candidats. Le Maroc et l’Algérie présentèrent une motion qui désigna Diallo Telli, et que le Ghana et l’Egypte soutinrent. Sékou Touré la rejeta et proposa son frère Ismaël Touré. Ce choix fut rejeté. Sékou Touré proposa Lansana Béavogui, ou encore N’Faly Sangaré, son beau-frère. Leurs candidatures furent rejetées. Sékou Touré accepta, mais continua de manœuvrer en coulisse, car il voulait empêcher Telli d’accéder à ce poste. Au début juillet 1964, Sékou Touré demanda à celui-ci de participer à deux rencontres. La première qui réunirait les pays non-alignés et qui se tiendrait à Rabat (Maroc) tandis que la deuxième, sur l’élection du secrétaire général et la mise sur pied des organes de l’O.U.A., aurait lieu au Caire. Pendant que Telli se préparait pour rejoindre la délégation guinéenne, il reçut un autre message du président Sékou Touré qui lui ordonnait d’envoyer son adjoint, Achkar Marof, au Caire. Lui devait venir en Guinée où l’attendait un poste de ministre des Affaires africaines. Quand Telli apprit la nouvelle, il s’effondra. Son médecin l’envoya dans une maison de repos. Il n’avait droit qu’à un appel par jour, qu’il utilisait pour communiquer avec sa famille. Du dix-sept au vingt-et-un juillet 1964, eut donc lieu au Caire le vote qui mit fin aux tergiversations autour de la gouvernance de l’O.U.A. Diallo Telli obtint vingt-trois voix sur trente-trois, soit plus de la majorité des deux tiers requis. Il fut donc élu in absentia ! Vers cinq heures du matin, le téléphone retentit chez les Telli. «Je suis le représentant de l’Algérie. Diallo Telli vient d’être élu secrétaire général de l’O.U.A, puis-je lui parler ?» Kadiatou répond : «Non, il n’est pas là pour le moment. Je lui donnerai votre message».

Pourquoi les autorités guinéennes ne s’étaient-elles pas encore manifestées alors que la nomination de Telli constituait un honneur immense pour le pays ? Aussi, une confirmation officielle demeurait indispensable pour leur permettre de commencer les formalités de transition. Ils téléphonèrent au Caire. Vu les réponses vagues et brèves de Barry Diawadou, représentant de la Guinée en Égypte, le couple Telli conclut que toute la délégation guinéenne, y compris le chef de l’État, se trouvait avec lui. Ce refus de communiquer prouvait que la propulsion de son époux à la tête de cette prestigieuse organisation ne plaisait pas du tout à Sékou Touré et à son entourage, sinon, ils se seraient empressés de contacter Telli. Un voyage en Guinée s’avéra inévitable. Telli rencontra le président Sékou Touré lors d’une rencontre à Kindia sur convocation de ce dernier.

Cette version est confirmée par Hassimiou Soumaré qui précise que depuis la création de l’OUA à Addis-Abeba, capitale de l’Éthiopie, s’est posé le problème de l’élection du premier Secrétaire Général.  Sékou Touré a voulu faire élire son frère Ismaël Touré que personne ne connaissait en dehors de la Guinée. La candidature d’Ismaël Touré a donc été rejetée par la majorité des membres. Les 32 États alors indépendants décidèrent de surseoir à l’élection du Secrétaire Général jusqu’au sommet suivant, et ont élu un Secrétaire Général par intérim en la personne de l’éthiopien Kifle Wodajo. Telli a été pour la première fois Secrétaire Général Administratif au Caire en 1964. Depuis Dakar, les États membres étaient à la recherche d’une candidature apte à assumer les fonctions de premier Secrétaire Général Administratif de l’O.U.A. Le sommet de 1964 devant se tenir au Caire, capitale de l’Égypte, son président Gamal Abdel Nasser, était le plus actif à cet égard car il voulait absolument que le premier Secrétaire de l’O.U.A. soit élu au Caire.

En 1968 à Alger, Sékou Touré tenta à nouveau vainement d’imposer la candidature de Ismaël Touré au poste de Secrétaire Général de l’O.U.A.  Le ministre Alpha Abdoulaye dit « Portos », qui conduisait la délégation guinéenne, avait reçu l’instruction ferme de tout faire pour empêcher la réélection de Diallo Telli. Mais il réalise que la Côte d’Ivoire tente également de faire barrage à la réélection de Telli. Vu la tension qui régnait alors entre la Guinée et le pays d’Houphouët-Boigny, la délégation guinéenne décide alors de s’abstenir plutôt que de partager la même lutte que la Côte d’Ivoire. Telli fut élu de justesse en 1968, grâce au soutien notamment de l’empereur Hailé Sélassié. Il fut aussi soutenu par Ahmadou Ahidjo du Cameroun.

Quelle est l’immense contribution de Telli Diallo à la reconnaissance de la Guinée et l’Afrique ?

L’homme était un croyant, musulman et pratiquant. Il aimait travailler en équipe et attachait beaucoup d’importance à ses collaborateurs. Il était d’une intelligence rare, d’une gentillesse et d’une générosité démesurées. Son passage aux Nations-Unies l’avait déjà rendu populaire sur les plans africain et international. Il était patriote, panafricain et dévoué à la lutte de libération des peuples colonisés. Il était admiré par les leaders des mouvements de libération et des chefs d’État africains considérés comme révolutionnaires.
Trois grandes réussites sont à mettre au compte de Telli Diallo : l’admission de la Guinée à l’ONU, la structuration de l’OUA, enfin et surtout l’immense coup de pouce aux luttes pour l’indépendance sur le continent.

L’admission de la Guinée à l’O.N.U. Quand il a fallu faire admettre la Guinée à l’O.N.U., Sékou Touré a fait appel à Telli. Ce dernier devait se battre pour forcer les portes de l’Institution malgré l’opposition de la France, membre permanent du Conseil de Sécurité. Il semble que les États-Unis ont joué un grand rôle pour convaincre la France de ne pas opposer un véto à l’admission de la Guinée. Après l’admission de la Guinée à l’O.N.U., Telli a été nommé représentant et concomitamment Ambassadeur de la Guinée à Washington. Au début, il a géré les deux postes.

La structuration de l’O.U.A. Quand l’O.U.A. a été créée, il n’y avait rien. C’est Telli qui a mis en place toute l’infrastructure administrative : le recrutement, les procédures. Il n’a rien trouvé en place et c’est ça qui existe jusqu’aujourd’hui. A l’époque, il y avait trois bâtiments principaux. C’était auparavant la direction centrale de la police éthiopienne qui a été réaménagée en siège de l’O.U.A.

Telli en qualité de représentant de l’organisation, a été une courroie de transmission entre les différents États membres. Il fallait tout d’abord gérer le personnel et s’assurer que cette lourde administration fonctionnait correctement. Il était impliqué à ce titre dans toute l’action de l’O.U.A. : la préparation et la tenue des deux sessions annuelles du Conseil des ministres et la préparation et la tenue de la Conférence au sommet annuelle des Chefs d’États et/ou de gouvernements. Sur invitation de certains chefs d’États, la Conférence au sommet se tenait quelques fois hors du siège ; ce qui impliquait un surcroit de travail extraordinaire.
Pourtant au départ, il y eut un conflit entre Telli et les chefs d’États du fait que certains d’entre eux ont eu l’impression que Telli se comportait en super chef d’État, prenant plusieurs initiatives, notamment qui relevaient, selon eux, de leur compétence exclusive. Désormais, il devait prêter serment en qualité de Secrétaire Général Administratif. Tous les ans, il y a un président en exercice tournant. Il s’agissait du président de l’Etat où se tenait le sommet. Cela ne l’a pas empêché de marquer profondément et durablement l’institution. Les États membres, suivant le devoir statutaire, contribuent au fonctionnement de l’organisation, notamment celui du siège et des bureaux régionaux dont le « Comité de coordination pour la libération de l’Afrique » basé à Dar Es Salam, le bureau régional de Lagos, et celui de Yaoundé. La bonne gestion de tout ce complexe par Telli et son équipe a permis à l’O.U.A. d’avoir une action cohérente.
Pendant les deux mandatures de Telli de 1964 à 1972, il a su avec son équipe donner à l’O.U.A. une stature internationale respectable et faire du Secrétaire Général la fierté de l’Afrique. A l’époque, il existait une solidarité et une position communes entre les chefs d’État et la position défendue par le secrétariat. Tous les chefs d’État se respectaient mutuellement contrairement à maintenant où on parle de chefs d’État forts et de «doyens».

L’O.U.A. était toujours consultée dans la résolution des problèmes économiques et politiques de l’heure.

 Les grandes luttes de décolonisation. Pendant ses deux mandats, il a joué des rôles importants dans les crises qui ont secoué l’Afrique. Telli a été d’un apport décisif pour résoudre plusieurs conflits de l’époque : les luttes de libération des différentes colonies portugaises et espagnoles (Guinée équatoriale, Sahara occidental, Angola, Mozambique), la guerre du Biafra, le conflit palestinien, les différends entre la Somalie et l’Ethiopie. Son intelligence, sa diplomatie, sa détermination, sa force de persuasion et le bon orateur qu’il était pour la cause et la défense des peuples colonisés ont été ses points forts, qui en plus de la défense du peuple palestinien, le rendirent populaire au sein de la jeunesse africaine.

Dans la résolution des crises et des conflits, Telli était toujours incontournable. Au Congo il est arrivé à faire traduire les mercenaires devant les tribunaux. Au Biafra, les États qui soutenaient la position française, du Vatican et certains pays occidentaux ont été mis en minorité grâce à la détermination du Général Gowon du Nigéria, de la diplomatie du Secrétariat Général de l’O.U.A. et celle des Nations Unies. Au Sahara occidental, le Maroc et l’Algérie ont été amenés par Telli notamment, à accepter de passer par le biais des Nations Unies pour la résolution du conflit du Sahara Occidental.

Pourquoi la non-réélection de Diallo Telli au secrétariat général de l’O.U.A. en 1972

Selon Barry Bassirou, Telli n’a pas été réélu pour un troisième mandat du fait de son soutien sans réserve au régime suite à l’agression du vingt-deux novembre 1970. Un piège que lui a tendu Sékou Touré. Quand il y a eu le 22 novembre 1970, Telli s’est battu pour rassembler la majorité qualifiée et convoquer un sommet extraordinaire à Lagos à cet effet. Il y fit preuve d’un zèle extraordinaire dans le soutien à la position guinéenne. Hassimiou Soumaré précise qu’à cette session extraordinaire du Conseil des ministres qui s’est tenue à Lagos en décembre 1970, Diallo Portos et Ismaël Touré étaient dans la délégation guinéenne. Ismaël dirigeait la délégation. Telli et Portos ont tous deux pris une part active dans la formulation de la résolution : ils ont donné un poids à la Guinée sur le plan international. Tous ceux qui ont contribué directement à la formulation de la résolution sont morts ou ont fait la prison. Telli a suivi le mouvement de la Guinée. Il s’agissait d’une agression et il y avait des forces étrangères : sa position se défendait. Avant la réunion de Lagos, selon Hassimiou Soumaré, Telli a réuni dans sa chambre : Édouard Benjamin, (chef de cabinet de Telli), son épouse Kadiatou, Barry Bassirou, Hassimiou Soumaré (Chef de la division politique de l’O.U.A. et chef du personnel), et Michel Théa, secrétaire de Telli. Celui-ci avait convoqué cette réunion des Guinéens de confiance autour de lui car il souhaitait avoir leur opinion sur l’opportunité d’écrire une lettre de soutien à Sékou Touré. Hassimiou a dit : « écrire serait une faute et une erreur, car dès que tu écris, c’est que tu te justifies. Donc ce n’est pas la peine ». Les avis étaient partagés. Quant à Barry Bassirou, selon Hassimiou Soumaré, il a commencé à parler de ses frères détenus au camp Boiro. Lui-même, dans ce témoignage, indiquera le contenu de son propos en ces termes, s’adressant à Telli : « vis-à-vis de la Guinée, tu n’as rien de plus que nous. Si quelqu’un veut exprimer son opinion, il le fait à titre personnel. Si tu exprimes une opinion au nom des Guinéens d’Addis-Abeba, je te démentirai. Je te rappelle qu’au moment où je dois rentrer, mes frères Diawadou, Yaya et Amadou sont en prison. Je ne peux pas être solidaire d’un tel gouvernement. Tu n’es pas au service de la Guinée, tu es au service de l’Afrique. Tu sais les conditions de ta réélection à Alger. Tous ceux qui se sont exprimés disaient ne pas vouloir que Telli écrive. Telli semblait pencher pour ne pas écrire. Mais c’est à partir de Bonn où son beau-frère Koma Béavogui était ambassadeur, qu’il a écrit la lettre de soutien à Sékou Touré. Soumaré s’est dit que Telli s’était mis la corde autour du cou et s’était donné à Sékou Touré.

Selon Barry Bassirou, Telli a écrit que certains lui en voulaient parce que tout le monde sait que depuis qu’il est à la tête de l’O.U.A. il était au service de la Révolution guinéenne. Selon lui, cette lettre a énormément contribué à la non-réélection de Telli en 1972. En effet, après la publication du courrier, Barry Bassirou a été assailli de coups de fils, de gens qui demandaient ce qui arrivait au Secrétaire Général. Un ami de Hassimiou Soumaré et ambassadeur du Cameroun à l’époque, lui a demandé : « qu’est ce qui lui est arrivé ? La prochaine fois, c’est la Révolution guinéenne qui va le réélire ». En soutenant si ouvertement Sékou Touré, alors qu’il était au service de toute l’Afrique, Telli s’est aliéné de ses soutiens et a compromis sa réélection en 1972.

Telli avait un respect pour le président Sékou Touré en ce qui concernait ses idées de décolonisation et de libération, et sa vision panafricaine, mais avait des inquiétudes sur la personnalité du président. Au Conseil extraordinaire des Ministres de l’O.U.A., suite à l’agression du vingt-deux novembre 1970, Diallo Telli a donné un gros coup de pouce à la délégation guinéenne dans la rédaction de la résolution, qui sera approuvée, et a été un élément majeur en faisant intervenir le système des Nations Unies à la condamnation du Portugal et à l’envoi d’une mission en Guinée. On ne peut pas nier que Telli, en sa qualité de Secrétaire Général de l’O.U.A. a eu l’occasion de fustiger les colonisateurs portugais et l’Occident et de faire valoir les droits des peuples africains. Telli n’avait aucune ambition de devenir chef d’Etat car son objectif primordial est qu’après l’O.U.A., il devienne le premier Secrétaire Général africain de l’Organisation des Nations Unies.

Baba Hady Margea, (AVCB)