Claquemuré dans un silence assourdissant depuis des mois, le procureur spécial près la CRIEF est sorti du bois le 9 novembre. Aly Touré a fait l’état des lieux des procédures pendantes devant cette juridiction spéciale.
Critiqué, donné pour partant de la Cour de répression des infections économiques et financières, Aly Touré, procureur spécial près la CRIEF, ne lâche pas prise. Le 9 novembre, il a soufflé sur la braise, en parlant de l’évolution des procédures judiciaires initiées par son parquet depuis janvier dernier. Le procureur spécial est revenu notamment sur les dossiers Cas-Sorry Fofana, Mohamed Diané, Oyé-oyé Guilavogui, Louncény Nabé, Souleymane Traoré, l’affaire Air-Guinée, Djoma-Groupe et bien d’autres.
Affaire Cas-Sorry, Oyé et Diané
Sur l’affaire Cas-Sorry Fofana, poursuivi au même titre que certains anciens dignitaires du régime déchu, pour « détournement de deniers publics, enrichissement illicite, blanchiment de capitaux, corruption et pour d’autres infractions assimilées», le procureur spécial a justifié ses multiples oppositions à ses demandes de mise en liberté : « Le parquet spécial a constaté qu’il y avait des pistes d’investigation qu’il fallait proposer aux magistrats instructeurs. C’est à cause de cela, et compte tenu de certaines spécificités, des pistes découvertes par le parquet spécial, nous avons sollicité la saisie, le gel des comptes bancaires de monsieur Ibrahima Kassory Fofana. Il a été entendu sur le fond depuis fin juin dernier». Pour ce qui est du renouvellement de son mandat de dépôt, Aly Touré dit craindre que le mis en cause n’en profite pour effacer des traces : « Nous n’étions pas d’accord, nous avons fait appel, parce que nous estimons que sa mise en liberté pourrait nuire à la procédure». Les avocats de l’ancien Premier ministre se sont néanmoins pourvus en cassation devant la Cour suprême, pour tenter d’obtenir la confirmation de son ordonnance de mise en liberté. En attendant, le Cas-Sorry attend son nouvel interrogatoire sur le fond.
Pour la procédure concernant Oyé Guilavogui, ancien ministre de l’Environnement, Aly Touré dit que « l’interrogatoire continue par rapport aux suites des investigations qui doivent être faites à ce niveau».
Pour l’ex ministre de la défense, Mohamed Diané, c’est pratiquement la même situation : « Le 8 juillet, l’interrogatoire de Mohamed Diané sur le fond a commencé devant la chambre de l’instruction. A la date du 18 juillet, il y a eu le second interrogatoire». Tout comme Cas-Sorry et Oyé Guilavogui, Mohamed Diané a lui aussi bénéficié d’une mise en liberté, mais le parquet spécial s’est opposé. Le dossier se trouve devant la Cour suprême.
S’agissant des anciens responsables de la SEG, la procédure en est aux réquisitions définitives. L’ouverture du procès serait imminente, selon le parquet spécial.
Mandats d’arrêt internationaux
Aly Touré a également révélé l’émission de mandats d’arrêt internationaux contre Aboubacar Makhissa Camara, ancien directeur des Impôts et Zénab Nabaya Dramé, ex-ministre de l’Enseignement technique : « Mais en attendant, nous sommes en train de prendre d’autres actes d’investigation allant dans le sens des saisies immobilières. Pour les mandats d’arrêt, Interpol est déjà saisi».
Détention de Kabinet Sylla dit Bill Gates
L’affaire qui défraie actuellement la chronique, c’est l’incarcération à l’hôtel cinq étoiles de Coronthie de Kabinet Sylla alias Bill Gates, ex intendant à la présidence de la République. La CRIEF le soupçonne de « Corruption dans le secteur privé, de détournements de deniers publics, faux et usage de faux en écriture publique, vol en bande organisée, recel de fonds publics, enrichissement illicite, concussion, abus d’autorité, blanchiment de capitaux et complicité». Le parquet spécial lui en veut notamment pour une transaction «douteuse d’un million de dollars américain entre lui et Mohamed Diané, ancien ministre de la Défense nationale», le lendemain du coup d’État.
Pour le parquet spécial, il n’est l’ombre d’aucun doute que Kabinet Sylla aurait amassé sa fortune après sa nomination au poste d’intendant à la Présidence de la République en 2014, où il n’avait qu’un salaire d’un peu plus de six millions de francs guinéens par mois : «Avant cette date, monsieur Sylla n’avait qu’une seule société… Les entités Djoma (Djoma SA, Djoma Logistic SA, Djoma Groupe SA) ont vu le jour après sa nomination. En tant qu’intendant, la loi ne lui permettait même pas de créer ces sociétés. Sur les comptes de ces sociétés, on retrouve de grosses sommes en dollars américains, en Euro et en francs guinéens. Elles ont fait l’objet de saisie conservatoire», explique Joséphine Loly Tinquiano, substitut du procureur. Mais depuis quelques jours, il se murmure que la procédure concernant Bill Gates est vide, que la décision de l’arrêter a été prise après une rencontre entre le Chef de la junte et les magistrats de la CRIEF, le 1er novembre. Faux, rétorque Aly Touré : « le Président de la République a le droit de nous rencontrer à tout moment, c’est normal. Par contre, dire qu’il nous a demandé de l’arrêter est totalement faux. Si les avocats de monsieur Sylla sont honnêtes, ils vont vous le dire. Il a été convoqué pour le 31 octobre, mais compte tenu du procès des évènements du 28 septembre 2009, ils ont sollicité un renvoi au jeudi 3 novembre, c’est ce qui a été fait. Je suis formel, voilà ce qui s’est passé».
Affaire Air-Guinée
Le procureur spécial a été questionné sur l’affaire Air-Guinée. Aly Touré avait annoncé avec fracas des poursuites judiciaires contre Mamadou Sylla, Cellou Dalein Diallo, Cheikh Amadou Camara, entre autres. Mais aujourd’hui, la procédure judiciaire enclenchée contre ces personnes que la CRIEF accuse d’être les responsables de la vente de la compagnie Air-Guinée semble totalement aux oubliettes : « Nous avons constaté qu’il y a matière à faire des investigations supplémentaires, cela a prévalu à la saisine de la chambre de l’instruction. Elle est en train de travailler. Des personnes ont été convoquées, entendues et inculpées, c’est notamment le cas de Mamadou Sylla. Plusieurs convocations ont été adressées à monsieur Cellou Dalein Diallo. Nous avons eu des difficultés à localiser son domicile. Lorsque son domicile a été localisé, les personnes qui s’y trouvaient ont refusé catégoriquement de prendre les convocations. Comme la loi permet de servir une convocation au niveau du conseil de quartier, l’huissier a servi la convocation au président du conseil de quartier de Kaporo-rails. Nous sommes accrochés aux lèvres de la Chambre de l’instruction qui va nous dicter les prochaines étapes de la procédure».
Depuis janvier dernier, la CRIEF a reçu 101 procédures, 78 dossiers ont été transmis à la Chambre de l’instruction, 14 dossiers orientés en citation directe, 1 dossier en opposition, 1 autre en flagrant délit et 7 procédures classées sans suite. Dans ces dossiers, 299 personnes physiques et 10 personnes morales ont été poursuivies, 11 personnes sont en détention.
Yacine Diallo