Lundi 19 décembre, 30ème jour du procès du massacre du 28 septembre 2009, 3ème comparution de l’ancien président de la transition, Moussa Dadis Camara, qui s’est prêté aux questions du procureur à nouveau. Le procureur Algassimou Diallo a commencé par savoir le lien familial entre Marcel Guilavogui et lui Dadis. L’accusé répond que selon la tradition, les Tomas sont les neveux des Guerzés. Et le procureur de dire pourquoi Moussa Dadis n’avait pas dit que Marcel Guilavogui était au stade, lorsqu’il citait les noms de ceux qui s’y sont rendus ? « J’ai eu l’information dans cette salle, comme vous, que Marcel a été au stade ». Le procureur insiste : Pourquoi, il ne l’a pas cité parmi les gens qui ont été au stade ? «Je n’ai pas eu des éléments concordants qui confirment qu’il a été au stade. Ce jour, je me préoccupais des morts. Ce jour-là, je n’ai pas vu Marcel au camp. Si vous avez remarqué dans mon PV, je n’ai cité personne. Le seul élément que j’ai remarqué, c’est Toumba Diakité, parce qu’il a envoyé des gens pour m’empêcher de sortir ». A la question de savoir pourquoi il n’a pas arrêté le massacre ? «Imaginez dans le contexte réel, lorsque ton aide de camp vient vous dissuader et que je me rende à mon bureau. Et après, vous vous rendez compte que ce même aide de camp s’est rendu au stade. J’estime qu’aucun homme ne peut gérer cette situation. Au moment où j’ai reçu l’information qu’il y a eu des massacres, les faits étaient déjà accomplis ».

Pourquoi vous n’avez pas œuvré pour que les gens qui ont commis ce massacre soient arrêtés? L’ancien président de la transition répète qu’il voulait arrêter Toumba Diakité, mais que ce dernier était lourdement armé. Pour éviter les dégâts collatéraux, il a « fait appel à la communauté internationale » qui a envoyé une commission d’enquête internationale et une commission d’enquête nationale a été mise en place.

 Le procureur Algassimou lit un extrait du rapport de la commission d’enquête internationale où Moussa Dadis aurait dit que les cas similaires se sont produits dans le pays, les leaders politiques étaient responsables du massacre, ils ont envoyé les enfants des autres à l’abattoir. L’ancien président reconnaît les propos et explique qu’il a décrit la réalité du pays. Ce qui, selon lui, fait que le pays est encore instable. Le procureur continue la lecture des propos de Dadis dans le rapport de la commission d’enquête internationale. « Nous avons vécu la réaction des militaires dans les événements de 2007, les leaders savaient que l’armée allait répondre. » En 2009 l’armée avait tiré. Pourquoi ce parallèle ?

Non seulement, il réitère ses propos, mais aussi l’accusé estime que ce n’est pas méchant ce qu’il a dit. Et le procureur de s’intéresser aux questions liées à la fonction de l’ancien Président, notamment les titres « Chef de l’Etat, commandant en chef des forces armées, premier magistrat. » Moussa Dadis parle de titres honorifiques. « A l’époque, on me disait premier magistrat alors que je ne pouvais pas interférer. Il ne faut pas fuir sa responsabilité ». Le procureur rétorque que le titre premier magistrat n’est pas propre qu’à son pouvoir. Quiconque prend le pouvoir est appelé premier magistrat, puisqu’il préside automatiquement le Conseil supérieur de la magistrature. Le procureur voulait ainsi confondre l’accusé à sa fonction de Président, démontrer sa responsabilité. La réponse de Dadis ne s’est pas faite attendre. Il a indiqué qu’il a un ministre de la Défense,  un ministre de la Sécurité. Une façon de dire qu’on ne peut pas lui imputer seul la gestion de l’Etat. Le procureur Algassimou continue en demandant : Est-ce que le ministre de la Défense ne prenait pas des directives auprès de vous? « Bien sûr, il prenait des directives. Tous les Guinéens ont vu que j’ai partagé le pouvoir avec le ministre de la Défense ».  Par rapport à une interview qu’il avait accordée à la chaîne France24 qui est devenue virale, il avait dit que ce sont les leaders qui sont coupables des massacres ? L’ancien président du CNDD ne nie pas ses déclarations tenues dans ladite interview, toutefois il précise qu’il a nommément cité l’ancien président « Alpha Condé qui avait manipulé tout le monde à l’époque pour arriver à ses fins. «J’insiste et je réitère, les événements du 28 septembre ont été savamment orchestrés par le professeur Alpha Condé », martèle Dadis.

 Le procureur rappelle également l’interview avec la chaîne Télé Sud sur laquelle Dadis a dit que c’est avec un système machiavélique, ils se sont saisis des armes de guerre, ils sont allés à 8 km. A partir de là, tout le reste était inévitable ? « Je confirme, parce que les leaders politiques ont été embobinés, la marche n’a pas été faite comme il se doit. Je ne défends pas ceux qui ont tiré sur les gens, je voulais expliquer à la population ce qui s’est passé ». Le procureur rappelle qu’il parlait moins des gens qui sont morts ? « Ce n’est pas parce que je ne parlais  pas des cas des morts. C’est l’acte qui s’est passé qui m’a plutôt choqué. Il y a un leader qui voulait coûte que coûte avoir le pouvoir. » A la question de savoir s’il y avait eu une journée de deuil national, Dadis répond qu’il ne se souvient pas.

E vient le tour du procureur Sidiki Camara de poser des questions. Il demande de savoir la motivation de Dadis de prendre le pouvoir en 2008 après la mort de feu général Lansana Conté.  L’ancien président ne voulait pas répondre à la question, avant de dire que c’est grâce aux privilèges qu’il a eus auprès de feu général Lansana Conté. Le procureur qui voulait savoir si les propos de Toumba corroboraient avec ceux de Dadis, il a demandé où était-il à l’annonce de la mort de feu général Lansana Conté ?

Il répond qu’il était dans un lieu de réjouissance à Kaporo. A la question de savoir qui a été la toute première personne à l’informer ? Dadis bégaie, va hors sujet, mais avec l’insistance du président du tribunal, il dit que c’est Kélétigui Faro avec qui, il était au lieu de réjouissance qui a reçu un coup de téléphone.

Est-ce que Toumba était dans ce lieu de réjouissance? Encore bégaiement, et explication,  il a fallu encore l’insistance du tribunal pour qu’il réponde par la négative. Ensuite, le procureur rappelle qu’au cours de son interrogatoire, Pivi avait dit qu’il y avait des militaires incontrôlés dans l’armée ? L’ancien président le confirme. Le procureur Sidiki revient sur la bagarre entre des militaires et des éléments de Tiegboro Camara au camp Alpha Yaya. Moussa Dadis explique que ce sont les hommes de Toumba Diakité qui avaient attaqué le domicile de Cellou Dalein Diallo, que Tiegboro était allé les arrêter. «J’étais allé calmer cette situation ». Toumba Diakité avait affirmé à la barre qu’un certain Foromo, féticheur, aurait scellé un pacte entre eux les putschistes à la prise du pouvoir en décembre 2009, le procureur demande une explication. Moussa Dadis nie et déclare que cela n’engage que Toumba qui a avancé ces « allégations ».

Le procureur lui demande le nombre de militaires qui constituaient la garde présidentielle. Incapable de répondre à la question, Moussa Dadis Camara se décharge sur Toumba. «C’est Toumba Diakité qui connaît ». Même le commandant du salon, Mohamed Condé, l’ancien président ne le reconnaît pas. « Si je le vois, je peux le reconnaître. Monsieur Toumba ne peut pas inventer des noms et que vous m’obligez à les reconnaître ». La question de commandant du régiment revient. Mais capitaine Dadis est formel, c’est Toumba Diakité qui était le commandant du régiment. Et son adjoint ? lui demande le procureur. D’un revers de main, l’ancien président affirme qu’il ne sait pas. Le procureur lui demande alors qui détenait la clé des armements ? Moussa Dadis fait des explications. Il dit dans un premier temps que c’est Toumba qui détenait la clé et après, il dit qu’il suppose, mais le tribunal demande une déclaration claire. « Je pense que c’était Toumba », rétorque-t-il. Finalement, il se résout à confirmer que c’est Toumba Diakité qui détenait la clé des armements. Le procureur de poursuivre : les camps Camayenne et Koundara relevaient-ils de la Présidence ? Qui en étaient les commandants ?

« Ce que je sais,  c’est Beugré (feu Mohamed Camara Ndlr) que je connais qui était au camp Koundara. Pour l’autre, je ne connais pas, parce que je ne m’occupais pas de cela. J’avais des hommes de confiance… »

Colonel Claude Pivi a dit que c’est vous qui avez envoyé Tiegboro au stade, avance le procureur ? «Ce n’est pas vrai, je n’ai jamais envoyé Tiegboro Camara au stade. C’est un officier de police judiciaire qui avait pour rôle le maintien d’ordre ». Des citoyens étaient souvent arrêtés, séquestrés au camp Alpha Yaya, étiez-vous au courant ?

«Je n’en sais rien. Je suis un chef d’Etat, ce n’est pas mon problème ». Parlant du camp Kaléya, Moussa Dadis s’enflamme. Il laisse entendre qu’il ne parlerait pas du camp Kaléya tant que le général Sékouba Konaté qui était le ministre de la Défense n’est pas présent à la barre.  D’où la question de 10 milliards de francs guinéens qu’on l’accuse d’avoir ordonné le décaissement, pour entretenir les recrues de Kaléya. «Cela ne me ressemble pas. Je n’ai jamais ordonné. Il y avait un ministre de la Défense, c’est lui qui avait géré ce recrutement. »

Par rapport aux corps qui avaient été déposés au camp Samory, capitaine Moussa Dadis nie avoir été informé. «Je n’ai pas vu de corps… »

Moussa Dadis Camara se fâche

Et vient le moment où Moussa Dadis Camara va s’enflammer. La procureure Djénè Cissé commence par demander si l’accusé croyait qu’il y a eu des morts, des pillages, des tortures,  séquestrations, agressions sexuelles, viols. «Il  faut être cruel  pour dire qu’il n’y a pas eu de morts le 28 septembre 2009 ». La question qui fâche, c’est quand Mme Cissé lui demande : « Est-ce que vous savez qu’on qualifie votre régime de dictatorial, que pensez-vous ? Avant de le dire autrement ? « C’est mon patriotisme qui a fait que je suis devant la justice aujourd’hui. Ce que j’ai fait en 11 mois, personne ne l’a fait ». La procureure continue : c’était votre manière de faire que les magistrats étaient révoltés contre vous ? Le président Dadis s’emporte encore. « Le temps m’a donné raison, l’histoire me donne raison. C’est ma réaction au Palais qui a fait de vous ce que vous êtes aujourd’hui ».

Le président du tribunal précise que ce n’est pas lui qui a fait d’eux ce qu’ils sont aujourd’hui. «Nous étions déjà des auditeurs de justice en 2007, nous avions terminé notre formation pour devenir magistrats. » Avant de rassurer que le régime de Dadis n’a rien fait à la justice guinéenne.  « Le tribunal ne tiendra pas compte de quoi que ce concernant cela. »

La procureure Cissé poursuit en prenant l’exemple sur un maire mais en réalité, elle expliquait le déroulement des événements du massacre du 28 septembre 2009. Dadis répond que ce n’est pas professionnel, cette question.

A la demande du procureur Algassimou Diallo, l’audience est suspendue. Après la pause, elle a repris avec la poursuite des questions du parquet.

Ibn Adama