Que l’on me permette d’user de ce vieux slogan des soixante-huitards français pour aborder une manie bien guinéenne : celle de condamner, de bannir ou d’empêcher. Dans notre pays, le réflexe despotique est si répandu qu’il n’est pas exagéré de dire que notre peuple est le plus frustré de la planète-terre. Non seulement on le consulte rarement mais sur les sujets les plus graves, les plus déterminants, il y a toujours un individu ou un groupuscule d’individus pour s’arroger le droit de décider à sa place ; pour crier haut et fort, en tapant du poing sur la table : il faut ceci, il faut cela, il faut prohiber ceci, il faut imposer cela !
Cette drôle d’engeance qui se prend pour la propriétaire exclusive du pays a redoublé d’arrogance depuis qu’un certain lieutenant-colonel s’est emparé du pouvoir. A longueur de journée, on l’entend pérorer à tort et à travers, dicter sa volonté sur les sujets les plus divers, foulant au pied la suprématie du peuple. Il faut limiter le nombre de partis politiques ! Il faut limiter l’âge des candidats à la présidence ! Il faut ceci, il ne faut pas cela !
S’agissant du premier cas cité, ces professionnels de la démagogie donnent en exemple les USA et la Grande-Bretagne où selon eux, les partis politiques seraient limités à deux. Ce qui est faux, absolument faux ! Chez les Américains comme chez les Britanniques, rien n’interdit la création d’un parti politique, rien n’interdit à un citoyen de se porter candidat à l’élection présidentielle.
En Grande-Bretagne, en dehors des Conservateurs et des Travaillistes, il existe une troisième force, les Libéraux-démocrates dirigée aujourd’hui par Edward Davey. Sans compter des partis régionalistes ou minoritaires comme les Workers Fight, la Left Unity ou le Scottish National Party. Pareil pour les Etats-Unis où des petits partis côtoient les vieux dinosaures que sont les Démocrates et les Républicains : Parti Libertarien, Parti Vert, Parti de la Constitution etc.
Dans ces deux pays, le bipartisme ne relève ni de la Constitution ni du diktat, mais simplement de l’usage électoral. Au fil du temps, deux partis ont réussi à se tailler la part du lion, reléguant les autres au rang de simples figurants. Ce qui pourrait parfaitement changer dans l’avenir. C’est d’ailleurs exactement la même chose qui est en train de se produire en Guinée. Sur la foultitude de formations politiques officiellement reconnus, seul, trois bénéficient d’une existence réelle : le RPG, l’UFDG et l’UFR. Le reste pourrait aisément réunir sa coalition dans une cabine téléphonique. Ici comme ailleurs, nul besoin du fusil des despotes ou du stylo des censeurs, la souveraineté et la grande intelligence du peuple suffisent amplement à la régulation de la vie politique.
Et puis, de toute façon, moi je préfère de loin un million de partis à un seul !
S’agissant de l’âge du capitaine, là non plus, il n’appartient ni aux soudards, ni aux évêques, ni aux marabouts ni aux pisse-copies ni aux saltimbanques de décider. C’est au peuple, uniquement au peuple ! C’est à lui et à lui seul de savoir s’il veut la folie de la jeunesse ou le bon sens de la vieillesse ; le dynamisme de l’une ou la nonchalance de l’autre. Ici comme ailleurs, un certificat médical en bonne et due forme nous éviterait bien de débats inutiles. Qui est jeune, qui est vieux ? Voilà une question à laquelle seuls les médecins peuvent répondre. Car, la jeunesse n’est pas un métier, ce n’est qu’un pauvre état physiologique.
Tierno Monénembo