Chez moi, le mot pays se conjugue au féminin. Guinée signifie femme en langue nationale soussou. Cela pourrait faire croire qu’il s’agit là du paradis réservé à celle-ci. Il n’en est rien, hélas ! Si l’on en croit les organismes spécialisés, ce serait plutôt son enfer. La Guinée détient le deuxième taux d’excision du monde (96%) immédiatement après la Somalie où celui-ci avoisine les 100%.La polygamie, les mariages précoces et les mariages forcés y sont encore la norme. C’est la société patriarcale portée à son plus haut degré. Et la coutume l’emportant presque toujours sur la loi, la fillette, jusqu’à sa mort, est confrontée à la possibilité de violences de toutes sortes, de violences sans limites.
Une enquête officielle menée en 2009 montre, que question misogynie, mon pays ne bat pas des records que sur le chapitre des mutilations génitales féminines. Le mariage précoce y est le taux le plus élevé de l’Afrique de l’Ouest : 3 filles sur 5 sont contraintes de se mettre la corde au cou avant 17 ans. Qu’elles passent devant le maire ou qu’elles vivent en union libre, 85% des Guinéennes subissent des violences conjugales. En milieu scolaire, ce taux avoisine 77% dont 30% de violences sexuelles, la majorité concernant des filles de moins de 12 ans.
La création en 2009 de l’Office National pour la Protection du genre et de l’Enfance et des Mœurs ainsi que celle en 2011 de l’Observatoire National de la Lutte contre les violences basées sur le genre n’a pas réussi à endiguer le mal. Et pour cause, si le sursaut de l’Etat commence à se manifester, il règne encore sur bien de points, un vide juridique qui ne dissuade personne et la loi quand elle existe, a beaucoup de mal à s’appliquer. Par exemple, la polygamie n’a jamais cessé malgré son interdiction officielle votée par les députés en 1968. D’ailleurs, elle a été légalement rétablie en 2019, histoire sans doute, de concilier la loi et les faits.
Le viol est devenu le cas le plus préoccupant de ce qu’il est convenu d’appeler les VBG (Violences Basées sur le Genre). Il connaît une croissance exceptionnelle, traverse toutes les couches sociales et sévit particulièrement chez les mineures. Il y a moins de deux ans, on a surpris un respectable imam en train d’abuser d’une fille de 14 ans. Rien qu’en 2021, on a dénombré près de 500 plaintes pour agression sexuelle, un chiffre largement sous-estimé compte tenu de la pression sociale. Et sur ces 500 braves dames, rares sont celles qui verront leur plainte aboutir : les articles 295 à 298 du code civil suspendent les poursuites et annulent la condamnation dès que la victime accorde son pardon, pardon d’autant facile à obtenir qu’il ne vient pas toujours d’elle.
En ce moment-même, treize ans après les faits, on juge à Conakry les crimes du Stade du 28 Septembre. On se souvient qu’en 2009, sous le régime du Capitaine Dadis Camara, l’armée guinéenne avait massacré des opposants et violé plus de 150 femmes. Mais les victimes savent déjà qu’elles ne peuvent rien en attendre. Directement retransmis à la télévision, le procès tient plus du folklore médiatique (un méga-Dadis-Show, diraient les méchantes langues de Conakry !) que d’une respectable séance de Cour d’assises. Elles savent les pauvres que la justice, c’est jamais pour elles, que le code soit civil ou coutumier ! Il y a un an, alerté par un article de notre confrère, Africaguinee, consacré à Aïssata D., une dame violée au stade et immédiatement répudiée par son mari, j’ai fait ma petite enquête. La majorité des victimes ont subi le même sort que Aïssata D. Sans que cela ne choque personne : ni l’Etat ni les citoyens ni les prêtres ni les marabouts.
Normal, dans la société qui est la mienne, une femme violée est une femme impure.
Tierno Monénembo
Source: Le Point