Le 25 janvier mérite d’être déclaré le jour le plus maudit de l’histoire de la Guinée. Pour avoir marqué le début des pendaisons du régime fasciste du Président Ahmed Sékou Touré, qu’une fraction de l’opposition en exil, incontestablement soutenue par le colonialisme portugais, a voulu renverser le 22 novembre 1970. De président de la République légalement installé après le départ du méchant colon, Sékou s’est insidieusement érigé en Saturne pour dévorer ses compatriotes. Le 25 janvier 1971, il est sorti de l’ombre pour organiser les premières pendaisons de masse à Cona-cris.
Je comptais exactement deux mois et trois semaines de service à Horoya, l’unique journal du Part-État, le PDG-RDA. La Guinée avait déjà basculé le 22 novembre 1970 quand, faute de courage, les assaillants d’origine guinéenne ont laissé les Portugais seuls signer l’acte. A leur corps défendant. L’ONU envoie « une mission d’enquête » pour confirmer la véracité « de l’attaque portugaise. » La voie s’ouvre à Sékou Touré pour liquider qui il veut, quand il veut, au nom de la défense contre « la 5è colonne. »
L’enquête prend deux mois, du 25 novembre 1970 au 23 janvier 1971. L’Assemblée nationale est érigée d’office en tribunal populaire pour désigner la première fournée des coupables. Le 24 janvier en fin de matinée, tombent les décisions, annoncées « au peuple, » à l’esplanade du stade du 28 Septembre. Beaucoup de condamnations à mort parmi « les complices de l’agression, » mais aucune idée du lieu, de la date, de la manière dont la sentence sera exécutée. On quitte les lieux dans le calme et la sérénité.
De retour au bureau, situé dans l’enceinte de l’Imprimerie Lumumba, à Coléah, je tombe sur un émissaire du Chef du Protocole de la Présidence, un certain Ali Bangoura. L’ordre n’est pas discutable : je dois passer la nuit à Kankan, en compagnie de la presse étrangère venue « couvrir » le procès. Air Guinée nous attend. Il nous déposera le lendemain à Labé. Le reste du voyage se fera par la route.
La jeep russe de Horoya m’embarque pour Dixinn pour prendre un minimum de bagage et, à la 6, 4, 2, me voici à l’aéroport national de Gbessia. Les journalistes internationaux sont là, triés sur le volet : en particulier, le petit fils de Marcus Garvey, le célèbre africaniste des Caraïbes et Robert Lambotte, rédacteur-en-chef de l’Humanité, le journal du Parti Communiste français. Tout ce beau monde passe la nuit du 24 janvier 1971 au Buffet de la Gare de Kankan. Tôt le matin, nous sommes à Labé. Quelques danses folkloriques à la Permanence du Parti à Thiendel, offertes par la section locale de la JRDA, la Jeunesse du Rassemblement Démocratique Africain ; puis cap sur Dalaba pour un déjeuner en plein air dans la verdure, sous des eucalyptus bien entretenus, à quelques encablures de Sébory.
Patatras ! Surgit le chef de mission, M. Kassory Bangoura, Secrétaire Fédéral du PDG de Kaloum. Pour annoncer la pendaison au Pont -Tombo, de quatre « réactionnaires : Barry III, Baldé Ousmane, Magassouba Moriba et Kéita Kara de Soufiana. » Cuillères et fourchettes arrêtent de cliqueter. Nous rentrons à Conakry presque muets. Les journalistes reprennent l’avion le lendemain sans avoir vu un seul pendu. A ce jour, moi-même je n’en ai jamais vu. Génial !
Diallo Souleymane