Le 25 janvier 1971, près de quatre-vingt personnes ont été exécutées sans procès à travers la Guinée, par pendaisons et fusillades. Des exécutions sommaires nocturnes dans un contexte de répression sanglante jamais connue dans l’histoire de la Guinée. Une page sombre de l’histoire du pays qui marque l’exécution de plusieurs ministres et hauts cadres accusés de comploter contre le régime du premier président de la Guinée, Sékou Touré, tant à Conakry qu’à l’intérieur du pays, Kindia, Kankan. Le 25 janvier 2023, 52 ans après ces pendaisons et fusillades, l’Association des victimes des Camp Boiro (AVCB), attend encore que justice soit rendue.

Cérémonie de lecture du Coran

Comme chaque année, les membres majoritairement vêtus de t-shirts rouges, synonymes du sang versé de leurs parents, sur lesquels est estampillé le slogan « Plus jamais ça !» Cette année, la cérémonie commémorative s’est déroulée au domicile de Diallo Telli, sous le slogan: «La refondation passe par la réhabilitation des victimes, l’ouverture des charniers et la classification du Camp Boiro ». Après la cérémonie de lecture du Saint-Coran, s’en sont suivies une minute de silence en hommage aux victimes et une pose d’une gerbe de fleurs.

À travers, un sketch présenté par des comédiens de l’AVCB, des recommandations ont été formulées à l’endroit des autorités de la Transition, entre autres : « La réhabilitation judiciaire, (l’Etat doit reconnaître l’innocence des martyrs), la restitution des charniers aux familles des victimes, pour qu’elles sachent où sont enterrés leur parents, la déclassification du Camp Boiro, pour en faire un lieu de recueillement pour les martyrs, la restitution des biens aux familles des victimes, la déclassification des archives nationales, pour que les Guinéens sachent ce qui s’est réellement passé en 1971. » Pour l’association, ce sont là des conditions préalables pour la réconciliation.

Des membres de l’AVCB

52 ans après, toujours pas de procès en vue

Le Secrétaire exécutif de l’AVCB, Abdoulaye Conté, évoque l’interdiction de toute manifestation en Guinée par le CNRD, pour justifier cette commémoration dans un domicile en lieu et la place de la marche silencieuse habituelle du Camp Boiro, aujourd’hui camp Camayenne jusqu’au Pont 8 novembre où ont été pendus le 25 janvier 1972 : Barry Ibrahima, dit Barry III, leader du Mouvement socialiste africain ; Baldet Ousmane, ministre des Finances et gouverneur de la Banque Centrale, cosignataire du franc guinéen en 1960 ; Magassouba Moriba, ministre de l’Education; Keïta Kara de Soufiane, commissaire de police. « Dans le respect de la Loi et pour la sécurité de nos membres, cette fois, nous avons décidé de le faire dans ce domicile. Nous commémorons les exécutions de quatre-vingts personnes à travers la Guinée, tous pendus ou fusillés à travers la Guinée pendant le régime de Sékou Touré, nous pleurons nos morts, prions pour le repos de leurs âmes ».

Sous Alpha Condé, des commissions ont été mises en place pour suivre ce dossier. À l’arrivée du CNRD au pouvoir, des annonces ont été faites. Où en est-on dans ce dossier?  Abdoulaye Conté répond : «Nous sommes encore dans l’attente de l’ouverture de la procédure. Nous avons pris part au Comité national des assises et avons fait des recommandations et sollicité des actions, notamment la réhabilitation des victimes qui nous tient à cœur, car ils ont été exécutés sans le moindre procès, avec une violation systématique de la constitution guinéenne en vigueur…»

Des membres de l’AVCB

À ce jour, l’AVCB plaide pour la réhabilitation, auprès de la junte. «Comme le procès des massacres du 28 septembre 2009, nous voulons que ce dossier passe devant le juge. C’est l’une des principales recommandations qui figurent dans le rapport que nous avons remis aux autorités. Nous sollicitons que ce rapport et ses recommandations soient appliqués. Mener des actions et démontrer que le Comité national des assises n’a eu lieu que pour la forme », précise Abdoulaye Conté. 

Triste souvenir qui perdure

Fille de l’ancien ministre de la Santé, Dr Alpha Oumar Taran Diallo disparu au Camp Boiro, Rama Taran, s’indigne contre les actions du CNRD comme le fait de rebaptiser l’aéroport Gbessia. Elle dit ne pas comprendre que quelqu’un fasse les éloges à l’ancien président. De ce geste, Dame Taran y voit clairement un « tyran, un assassin, un Hitler noir », qui lui a enlevé son père sans raison. Pour elle, le 25 janvier est « une journée tristement célèbre pour la Guinée ». Cette commémoration représente une occasion pour « informer la jeune génération de Guinéens des exactions commises sous le règne de Sékou Touré ». « Sékou Touré a chassé le colon blanc, mais il a fait pire que ce dernier. Il a fait pendre des Guinéens, les accusant de complot sans le moindre procès. Ce qui n’était pas prescrit dans la Constitution de l’époque. Il les a privés de nourriture jusqu’à ce que la mort s’ensuive. Aucun prisonnier de ce régime n’avait eu droit à la défense alors que la justice existait », rapporte Rama Taran. Pour elle, Sékou Touré ne mérite aucune action qui fait de lui un héros. Elle demande à ce que l’affaire passe au tribunal en même temps que celui des massacres du 28 septembre 2009.

Rama Taran Diallo qui n’avait que 10 ans quand son père a disparu, gardera un souvenir sombre du Camp Boiro.

Abdoulaye Pellel Bah