Il était très attendu par le peuple guinéen. Et le peuple guinéen a montré un immense engouement pour ses retransmissions en direct ou les vidéos téléchargées sur Internet. Pour autant, les fruits à déguster de ce procès depuis plus de trois mois tiennent-ils la promesse des fleurs de son annonce ?
Le procès se déroule dans les conditions largement démocratiques. Les droits des accusés sont préservés par un tribunal dont la patience et l’approche pédagogique sont à saluer. Parce que, face à ce tribunal, les accusés font preuve d’une mauvaise foi qui déborde jusqu’à l’arrogance, à certains moments. De mémoire d’observateur de la justice sur le continent, c’est la première fois que je vois des présumés criminels autant à l’aise, réprimander des avocats, engueuler les procureurs de l’État, se terrer dans le silence à travers des formules lapidaires, « je ne réponds pas à cette question », « je n’ai pas de réponse à cette question », « je n’en sais rien ».
Même si on peut aussi relever la médiocrité des interrogatoires chez certains avocats, il est quand même important de remarquer que la grande patience et l’attitude pédagogique des juges desservent bien finalement le droit du peuple de savoir la vérité.
En fin, ce procès qui porte l’étiquette nominale du 28 septembre aurait pu tout aussi être une enquête publique sur le règne du CNDD. Pour nous, il ne s’agit pas seulement de juger les auteurs des massacres du 28 septembre, car il y a finalement beaucoup de choses que les Guinéens veulent savoir sur cette période qui s’est imposée brutalement à leur histoire politique. C’est la raison pour laquelle, à l’Observatoire, nous avons toujours prôné la création des Commissions d’enquête publique en lieu et place des tribunaux spéciaux pour des situations semblables sur le continent. Les principes des commissions d’enquête publique sont, a) il n’y a pas d’accusés, tout le monde est témoin, 2) la recherche de la vérité d’abord, 3) les sanctions (renvoi devant un tribunal) interviennent lorsqu’un témoin s’avère de mauvaise foi, dissimule la vérité recherchée, 4) les conclusions de l’enquête permettent à l’État d’ajuster son organisation et ses structures pour faire face, dans de meilleures conditions, à des cas similaires dans le futur.
Un procès qui en cache d’autres
Suivi avec attention dans toute l’Afrique noire francophone, le procès du 28 septembre n’est pas seulement le jugement des auteurs des massacres. Il révèle une chaîne de responsabilités tant nationales que continentales, qui devraient nous parler, à nous Africains.
1-Le procès de la momification des leaders à la tête de l’État
Lansana Conté, président avant la transition dirigée par Moussa Dadis Camara, est resté président de la République de 1984 à sa mort en 2008, soit pendant 24 ans. Même vieilli et affaibli par la maladie, il est resté accroché au fauteuil présidentiel. L’élite administrative, politique et militaire a encouragé cette forfaiture. Résultat des courses, son état physique et intellectuel ne lui permettait plus de tenir la barque, M. Conté a laissé l’administration, l’armée, bref l’État de Guinée en lambeaux, déchiqueté par des rivalités diverses qui ont offert le pouvoir sur un plateau à un homme visiblement perturbé qui l’a conduit à la tragédie que nous déplorons.
Comme Conté, il existe encore des pharaons en Afrique. Au Cameroun avec Paul Biya (40 ans au pouvoir, 90 ans d’âge) dont les rares sorties publiques montrent un vieillard sans autonomie, téléguidé par des groupes rivaux autour de lui; au Congo de Denis Sassou Nguesso (40 ans de pouvoir cumulé, 80 ans d’âge), en Guinée Équatoriale chez Obiang Nguema (81 ans, 40 ans au pouvoir), dont les familles ont envahi l’appareil de l’État, etc., l’État se résume à leurs personnes et leur disparition sonnera la fin de l’État. On a beau le louanger aujourd’hui, le président Conté est le responsable originel de ce qui est arrivé à son pays.
2-Le procès de la répression politique en Afrique
C’est une tradition dans la gouvernance en Afrique francophone, le droit de faire la politique appartient uniquement aux citoyens qui font allégeance aux gouvernants, plus précisément à celui qui dirige l’État. C’est pour cela que la démocratie africaine a attribué le nom très péjoratif de « opposant » à toute personne qui se situe dans une organisation (politique ou civile) exerçant le contre-pouvoir. En Europe, en Amérique du Nord, personne ne désigne un Homme politique de l’opposition par le terme, « opposant ».
Le procès du 28 septembre nous révèle que jusqu’à 23h, le chef de la junte voulait convaincre (entre demande courtoise et menaces) les leaders des partis de renoncer à leur manifestation. Et la répression qui s’en est suivie est l’expression « logique » d’un pouvoir qui n’accepte surtout pas d’être défié.
On enregistre des morts dans nos pays à la suite des manifestations pacifiques et, à chaque fois, ce sont les organisateurs qui sont blâmés et souvent emprisonnés par l’État. On l’a vu tout récemment au Tchad, comme en 2008 au Cameroun, comme régulièrement au Congo Brazzaville, en Côte d’ivoire, au Togo, etc. Le tribunal de Dixinn est le premier sur le sol africain à juger les hommes en armes et leur ancien chef de d’État pour le massacre des populations. En 1987, Jean Bedel Bokassa fut jugé en République centrafricaine, mais pas avec tous ses collaborateurs. Si les Africains se mobilisent pour que ce procès en soit un pédagogique, les prochaines années devraient en imposer à Lomé, Abidjan, Yaoundé, Ndjamena, Brazzaville, etc.
3-Le procès des transitions militaires en Afrique
Depuis le retour au multipartisme en Afrique francophone, nous avons connu plusieurs transitions militaires. Mali, Niger, Guinée, Côte-d’Ivoire, Centrafrique, etc. Que peut-on retenir de ces moments qui étaient censés marquer la rupture entre l’État colonial et l’État moderne dont rêvent les citoyens jadis sous les dictatures du parti unique ? En dehors de la transition de Amadou Toumani Touré (ATT) au Mali, toutes les autres transitions francophones ont été soit folkloriques (RCA, Burkina, Niger) soit tragiques (Côte d’Ivoire, Guinée). Pourquoi ?
Toutes ces transitions n’avaient aucun contenu structurant et structuré, basé sur une rupture consensuelle entre l’ordre ancien (l’État colonial, le parti unique et leurs survivances) puis rupture organisée sur des programmes, des services (économie, finances, éducation, écologie, santé, citoyenneté et gouvernance, sécurité, information, communautés, famille, etc.) et, enfin un chronogramme. Malheureusement, de nos jours la mode est à l’établissement des chronogrammes dès les premiers jours de la prise du pouvoir. La CEDEAO ne s’intéresse aucunement au contenu des transitions, elle ne veut que le saupoudrage démocratique appelé élections…
Lorsqu’on écoute Dadis Camara et ses amis, on se rend bien compte qu’ils n’avaient aucun projet pour le pays, aucune intelligence de la gouvernance d’un État, et que la plupart d’entre eux sont intellectuellement vides (Claude Pivi, Marcel Guilavogui) ou malhonnêtes (Moussa Tiégbro, Chérif Diaby) soit les deux à la fois (Moussa Dadis Camara). Le témoin clef qui a montré un peu de volonté de coopération avec le tribunal, Aboubacar Sidiki Diakité dit Toumba Diakité, est intellectuellement structuré, mais s’exprime horriblement mal en français, la langue de travail au sein de l’État guinéen…
La Guinée était donc gouvernée par des aventuriers guidés par la soif du gain que procure la gestion de l’État en Afrique : puissance, gloire et enrichissement personnel facile donc illicite.
Pour une transition systémique
Tout en espérant que ce grand pays d’Afrique profitera des leçons de ce procès historique, nous pensons que le changement en Guinée doit être tout aussi historique parce qu’il aura été systémique et générationnel. Dans ces conditions, ce n’est peut-être pas l’organisation des élections qui marquera le changement, la rupture entre ce qui a été dénoncé sous Sékou Touré, Lansana Conté, Dadis Camara et Alpha Condé et l’avenir. C’est l’élaboration d’un contenu de la rupture entre ces époques et l’avenir du pays dans un monde violemment compétitif où les peuples à la gouvernance médiocre périssent.
La transition systémique à organiser pour les Guinéens comme pour les Maliens, les Tchadiens, les Burkinabé et pratiquement tous les autres pays francophones, peut opter pour une rupture consensuelle, rupture organisée et, enfin, rupture programmée.
La Guinée, dans tous les cas, mérite une gouvernance à la hauteur de la grandeur de son Histoire.
Par Venant Mboua, journaliste, militant des droits de la personne,
Coordonnateur de l’Observatoire africain du Canada