El Hadj Ousmane Baldé « Sans loi » est né le 5 septembre 1938 à Noumou Saato, Fatako, région de Tougué au Foutah-Djallon. Il est le benjamin de 13 enfants de sa mère, Hawa Baldé dont l’un des trois survivants. Et parmi les 23 autres de son père, Thierno Souleymane Baldé. A ceux qui lui ont proposé de donner un nom superstitieux voire païen au nouveau-né pour qu’il survive, Thierno Souleyamane Baldé oppose une fin de non-recevoir. En effet, après le décès de plusieurs enfants d’une femme, il arrive souvent dans cette région où l’islam et l’animisme se disputent âprement le terrain, le nouveau-né, dont les frères et sœurs sont morts, reçoive un nom superstitieux.
Le début de l’apprentissage du livre saint
Dans la tradition peulh, il y a des dates et des étapes mémorables dans la vie d’un homme. A l’âge de 7 ans, filles et garçons vont à l’école coranique. Ousmane Baldé n’a pas fait exception. Le père et la mère d’Ousmane l’initient au saint Coran. La cérémonie sera grandiose. Tout le monde se réunit. Un crieur se lève, prend la parole, transmet à toute l’assistance l’honneur. Les sages donnent le feu vert. L’oncle d’Ousmane prie sur le Prophète Mohamed (Paix et Salut sur Lui !) Ensuite, il maudit le Satan et dit à Ousmane de répéter la même chose. Celui-ci s’exécute. Suit la lecture des sept lettres, trois fois.
Après la cérémonie, il fallait identifier le maître à qui Ousmane sera confié. Thierno Souleymane est conscient que les mères qui ont perdu beaucoup d’enfants ne supportent pas la séparation avec les rares qui ont survécu. Pour ces raisons, il est hors de question d’envoyer Ousmane loin de sa mère. Thierno Souleymane confie son enfant à son propre frère, Thierno Mamadou Lamine.
Les premiers pas d’Ousmane dans le commerce
Aussitôt mis à l’école coranique, Ousmane a un autre objectif. Il veut apprendre le Coran, mais à côté, il veut aussi apprendre autre chose. Il est obsédé par le commerce. A sept ans, il commence à quitter Fatako pour parcourir les 63 KM qui séparent son village et la grande métropole régionale de Labé. Ousmane et deux de ses camarades vont à Labé pour acheter des bonbons qu’ils revendent au village. Le jour du départ, ils passent la nuit en route. Le lendemain, ils font l’achat, reprennent le chemin du retour, pour dormir de nouveau sur la route.
Très tôt, Ousmane est doué pour les transactions commerciales. A son père qui a du mal à admettre qu’Ousmane, qui n’est déjà pas allé à l’école française, abandonne aussi l’école coranique. Mais son maître et oncle, rassure son père Thierno Souleymane. Il lui dit qu’on doit observer l’enfant pour l’aider dans ce qu’il veut faire dans la vie. « Ousmane, dit Thierno Mamadou Lamine, nous a montrés le chemin qu’il veut emprunter. Ce chemin est celui du commerce. Nous devons l’encourager ». Avec les arguments convaincants de son grand frère, Thierno Souleymane a compris et accepté que son enfant apprenne à faire le commerce.
Une enfance facile
En ces années de souffrance et de disette au Foutah, la faim et la maladie sévissent avec férocité. Mais la famille de Thierno Souleymane est à l’abri de ces fléaux. Le père d’Ousmane est à la fois un commerçant très prospère, éleveur et agriculteur. Il a des actions commerciales à la fois au Soudan, l’actuel Mali et en Guinée. Lorsque la nourriture était insuffisante, Thierno Souleymane demandait à ses enfants de laisser les autres manger. Leur disant notamment qu’eux, peuvent trouver une réserve chez leur maman. Pendant que les autres enfants ne comptaient que sur ce plat commun.
L’acte suicidaire d’Ousmane
Périodiquement, la case du Commandant de Tougué doit être couverte. Et le chaume doit provenir de tous les horizons. Tous les bras valides doivent contribuer à ce que cette case soit couverte à la dimension de son propriétaire. C’est ainsi qu’Ousmane et certains de ses amis devraient envoyer quelques bottes de chaume à Tougué. Parti de Fatako avec un lourd fardeau, Ousmane ne peut plus poursuivre le chemin. Il propose à ses compagnons de commettre un acte que ces derniers jugent comme suicidaire. Ousmane leur demande de brûler leurs bottes de chaume, pour retourner dans leur village. La proposition suscite la réticence et la peur auprès de ses camarades, pour lesquels brûler le chaume destiné à la case du Commandant relève d’un crime de lèse-majesté. Ils s’opposent catégoriquement. Pour rien au monde, ils ne voulaient prendre un tel risque.
Ils décident de poursuivre leur chemin. Pour sa part, Ousmane met sa menace à exécution. Il décide de rebrousser chemin, quel que soit le prix à payer. Il pose son lourd fardeau, met le feu dessus et prend le chemin inverse. De retour à Fatako, il se réfugie au cimetière où la rumeur raconte qu’il est avec les esprits et donc intouchable.
Deux ans après le décès de son père, Ousmane perd sa mère
Deux ans après la mort de son père en 1953, et un an après son âge adulte, Ousmane est de nouveau confronté à une autre épreuve de la vie. Cette fois, il perd l’être qui lui est plus cher. Sa mère tombe malade. Il s’occupe d’elle pendant plusieurs mois. Durant cette épreuve, il se rend compte de l’évidence. Sa mère n’a aucune chance de survivre. Et en cette année de 1955, elle meurt. Ousmane devient orphelin de père et de mère. Contre toute attente, il ne s’apitoie pas sur son sort. Bien au contraire. Il a un moral d’acier. Il est même conforté par les propos de l’imam qui le consolait en lui disant que son cas ressemble fort à celui du Prophète de l’islam. Lequel perdit son père pendant qu’il était dans le ventre de sa mère. Et cette dernière à l’âge de 4 ans.
Origine du surnom « Sans Loi »
Ousmane Baldé ne reste pas longtemps à Fatako. Il revient vite à Labé où il est à la tête d’un groupe de près de 300 jeunes, qui y faisaient la pluie et le beau temps. Mieux vaut les avoir comme amis qu’ennemis. Entre la jeunesse de Labé et la police, les rapports sont ceux qu’entretiennent le chat et la souris. Sauf qu’ici, on assiste à une situation paradoxale. La police est la souris. Le rapport de force est totalement disproportionné. Lorsque la police sort pour la patrouille, les jeunes sortent aussi, munis de sifflets. Ils se donnent un point de rendez-vous. Après leurs retrouvailles, ils organisent une véritable chasse à l’homme contre la police. Devant leur organisation, leur nombre et leur détermination, aucun policier ne se fait prier pour se mettre à l’abri.
Devant les difficultés auxquelles la police est confrontée, les autorités les renforcent par la gendarmerie. La fusion des deux forces est censée ramener l’ordre dans la cité. Rien n’en est. A son tour, la gendarmerie est mise à rude épreuve par la bande d’Ousmane. Le commandant de la gendarmerie a une idée : il faut neutraliser Ousmane Baldé, pour mettre sa bande hors d’état de nuire. Le commandant de la gendarmerie fait du cas d’Ousmane une priorité, un point d’honneur. Le duel est inévitable. L’affrontement entre les deux coûte cher au commandant. Ce duel se solde par la fracture du bras du commandant. Ousmane est conscient de la gravité de son acte. Mais il sait aussi qu’il a un refuge particulier chez lui, à Fatako. Il quitte Labé pour quelques semaines. Le commandant de la gendarmerie victime de fracture est évacué sur Conakry. Le sujet est sur toutes les lèvres. Un jeune venu de Fatako a chassé le tout puissant commandant de la gendarmerie de Labé. On dit de ce jeune qu’il est « Sans Loi ». La suite au prochain.
Habib Yembering Diallo
Source : série d’interviews faites avec le défunt en 2010