Ceci est un message signé de Christine PARÉ, PhD, féministe et militante pour les droits des femmes et de Dr Béatrice Nikiéma, médecin, à l’occasion du 8 mars 2023.
En ce 8 mars qui consacre la journée internationale des droits des femmes, nous tenons d’abord à exprimer notre solidarité envers les victimes du terrorisme et toutes les femmes du Burkina qui travaillent sans relâche pour assurer le bien-être de leur famille et promouvoir le développement socioéconomique de la nation ; plusieurs d’entre elles souffrent dans leur chair et voient leurs droits bafoués, leur liberté confisquée et leur dignité piétinée de jour en jour.
Nous tenons à exprimer particulièrement notre solidarité à Mariam Sankara et ses enfants, aux sœurs de Thomas Sankara, à la fille de Paulin Bamouni, ainsi qu’à la veuve et la fille de Frédéric Kiemdé, qui ont vu leurs droits piétinés à deux reprises : une première fois le 15 octobre 1987 par l’assassinat de Sankara et de ses 12 compagnons et une deuxième fois le 23 février 2023 par les anciens compagnons de Sankara et certaines personnes qui se réclament des idéaux sankaristes.
Thomas Sankara qui a décrété le 8 mars journée fériée pour reconnaître, rendre hommage et célébrer les femmes burkinabè, aurait-il imaginé qu’un jour les droits de sa propre femme seraient piétinés ? Qu’un jour, des personnes se réclamant de son idéal insulteraient sa propre femme ? Lui qui a lutté fermement contre la féodalité, l’obscurantisme, le sexisme, le patriarcat et la misogynie et qui a fait la promotion des femmes au sein de son équipe, de la fonction publique et des postes de hautes directions.
Malheureusement, les morts ne peuvent pas parler. Pour les familles qui ont refusé de prendre part à ce cirque macabre, ce deuxième assassinat de Sankara et ses compagnons fait encore plus mal, car il a été commis par des personnes qui ont longtemps fréquenté les familles des suppliciés du 15 octobre 1987 et semblaient compatir à leurs souffrances. Hélas, ces personnes sont restées insensibles aux cris de cœur et aux larmes des épouses, des enfants et des sœurs de Sankara et de ses compagnons martyrs qui ne voulaient pas que les ré-inhumations aient lieu dans un endroit sinistre de torture et d’assassinat de nombreux Burkinabè.
Comme l’a bien décrit Dr Seydou Ra-Sablga Ouédraogo, « le supplice des familles continue ». Mariam Sankara et ses enfants, Céline Bamouni, Aïda Kiemdé et sa mère, Nagnouma ainsi que les sœurs de Sankara ne pourront jamais aller s’incliner sur les tombes à cause de l’injustice, de l’insensibilité, de l’arrogance, du manque de respect et d’empathie des princes du moment et desdits amis de tous bords de Sankara.
Pourtant, on se rappelle l’accueil chaleureux de Mariam Sankara en 2007 lors du 20e anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara et de ses compagnons ; des gens se bousculaient pour prendre des photos avec elle. On se souvient de tous ces gens qui sollicitaient son avis et souhaitaient son appui et son soutien à leurs initiatives politiques. Hélas, ce ne sont plus que de vieux souvenirs ; son avis ne compte plus. Ses appels sont ignorés par le président qui est moins âgé que ses enfants et par le Premier ministre qui est de loin son petit frère. Pourtant ces deux personnes se réclament des idéaux de son mari.
Lesdits révolutionnaires sexistes et misogynes burkinabè n’hésitent pas à clamer haut et fort que Mariam Sankara, les sœurs de Sankara, Mme Kiemdé et sa fille, la fille de Bamouni ne sont que des femmes et que par conséquent leurs points de vue ne comptent pas. Une personne dira même à propos de Mariam Sankara : « Ne la laissons point nous dicter sa volonté dans une affaire qui incombe aux hommes ». Quelle injure à la mémoire de Sankara !
Certaines personnes disent que le corps de Sankara n’appartient pas à sa famille, mais à la nation et au corps militaire. Cependant, pour le dépôt de la plainte pour son assassinat, il a fallu que sa femme Mariam et ses enfants le fassent. Toutes les personnes qui se battent aujourd’hui autour de ses restes n’ont pas levé le petit doigt pour le faire. Sankara étant membre du CNR, ses camarades auraient pu le faire. Pour le dépôt de la plainte, on reconnaît que sa femme et ses enfants ont un rôle important, car Sankara leur appartient ; mais pour son inhumation, on ne leur reconnaît aucun droit. Pourtant, sans le dépôt de la plainte, il n’y aurait eu ni procès, ni exhumation, encore moins ré-enterrement.
Sankara et ses compagnons martyrs ont été instrumentalisés et utilisés comme de la marchandise. Bien que le communiqué du gouvernement ait dit que les ré-inhumations se feraient dans l’intimité des familles, certains ne se sont pas gênés d’exhiber sur les réseaux sociaux des photos prises des cercueils, comme s’il s’agissait de trophées de guerre. Mépriser et narguer les familles de cette manière a aggravé leur souffrance.
Thomas Sankara qui était humble et qui a vécu dans la simplicité n’a pas besoin d’un mémorial de plusieurs milliards pour son enterrement. Il n’a pas besoin non plus que sa tombe soit un lieu de commerce. S’il avait le pouvoir de décider, il aurait rejeté une telle idée. Il aurait choisi comme son ami Jerry Rawlings ou Fidel Castro de renoncer à un monument en son nom et à être enterré dans la simplicité, loin des fanfaronnades, du show politicien, de la méchanceté envers sa femme, ses enfants, ses sœurs et de la polémique.
Pour se réclamer de l’idéal Sankara, il faut plutôt prêcher par l’exemple :
- en luttant contre la corruption, la pauvreté, la féodalité, l’obscurantisme, le sexisme, le patriarcat, la misogynie, la phallocratie.
- en étant à l’écoute du peuple, des sans-voix, des pauvres, des familles et des communautés.
- en luttant pour le bien-être et la dignité du peuple burkinabè.
-en respectant les droits et la dignité des filles et des femmes, en faisant la promotion des femmes et des filles et en garantissant l’équité filles-garçons et femmes-hommes.
Quels que soient les sacrifices occultes, Sankara et ses compagnons d’infortune ne peuvent pas reposer en paix, car leurs veuves, leurs orphelins et parents continuent de pleurer et de subir des supplices à cause de la méchanceté et des intérêts égoïstes des personnes qui se réclament de ses idéaux. Mariam, Philippe, Auguste, Pauline, Odile, Blandine, Céline, Aïda, Nagnouma, vous avez été dignes. Comme le disait lui-même, Thomas Sankara : « C’est auprès de la femme, sœur ou compagne que chacun de nous retrouve le sursaut de l’honneur et de la dignité ».
Christine PARÉ, PhD, féministe et militante pour les droits des femmes
Dr Béatrice Nikiéma, médecin