Le 11 avril, le procès du massacre du 28 Septembre 2009 s’est poursuivi au tribunal criminel de Dixinn, délocalisé à Kaloum. Ancien de l’UFDG, Ben Youssouf Kéïta, aujourd’hui leader de l’Alliance pour le changement et le progrès (ACP), victime des événements du stade, donne sa version des faits.
Ben Youssouf Kéïta n’est pas le seul de sa famille à subir les violences perpétrées au stade le 28 septembre 2009. Sa femme et son fils sont aussi du lot. D’entrée, il précise qu’il ne voudrait aucune forme d’indemnité, il témoigne à cause de sa femme qui vit actuellement en France, avec ses enfants.
«C’était une nécessité de manifester aussi un droit. J’ai demandé à mon épouse de rester à la maison pour s’occuper de nos enfants. Le 28 septembre 2009, je suis arrivé au domicile de Cellou Dalein Diallo vers 6 heures, avec mon fils. Le portail était encore fermé. Nous étions sortis pour manifester pacifiquement. On n’avait pas de pancarte. On ne portait quoi que ce soit qui pourrait interpréter une volonté de violence», déclare-t-il.
Sur la route du stade, Ben Youssouf Kéïta déclare que le ministre Moussa Tiégboro Camara est venu à la rencontre des leaders politiques, en provenance de chez Jean-Marie Doré. Leur demandant de reporter, voire annuler le meeting, précisant qu’il vient de la part du Président Moussa Dadis Camara. M. Kéïta rapporte que les leaders ont répondu au ministre qu’ils n’ont aucun moyen de reporter le meeting. Et de lui dire ce qui serait plus sage est de «nous laisser tenir quelques discours dans l’esplanade, puis nous allons repartir. Entre-temps, nous avons vu des militaires barrer les gens, avec force, à l’entrée du stade.»
Le leader de l’ACP rappelle que le stade était plein à craquer, mais à peine 20 minutes de joie et de prières sur la pelouse, poursuit-il, une fumée de gaz lacrymogène les a envahis à la tribune. A ce moment, dit-il, on n’entendait aucun crépitement d’armes à cause du brouhaha, mais on voyait de la tribune des gens tomber sur la pelouse, sans savoir les raisons. «On voyait les gens courir par-ci, par-là, c’était le sauve-qui-peut. En descendant sur la pelouse, un militaire encagoulé a surgi, il n’avait pas de fusil. On dirait qu’il est venu pour Cellou Dalein Diallo. Il lui demande de venir avec lui. Cellou Dalein Diallo dit niet. On était tétanisé. Quand ils se sont occupés de Cellou Dalein Diallo, j’ai cru qu’il est mort, tellement traumatisé».
Quels risques !
«Quand je suis sorti vers l’annexe du stade, j’ai aperçu Jean-Marie Doré se faire trimbaler. Je me suis dit que j’allais subir le même sort. J’étais moralement abattu, mais lucide. Des gens grimpaient les murs (comme mon fils), les autres grimpaient les arbres… Il y avait aussi des (agents) sur la toiture du bâtiment abritant la salle de basket-ball. On était tétanisé, il n’y avait pas d’issue. C’est ainsi que j’ai décidé de sortir par où se tenaient les militaires. Quelqu’un m’a appelé : Dr Kéïta, ils vont te tuer ! J’ai fait quelques mètres en avant, les militaires en face de moi ont cessé de tirer. Tout le monde est resté derrière. Arrivé au niveau des militaires, l’un m’a pris la main me demandant ce que je suis venu faire là, en arrachant ma montre. Je lui ai dit que je suis médecin. Il me demande de monter dans le véhicule. Lorsque j’ai refusé, l’autre militaire en casque de guerre, a voulu me cogner avec un gros morceau de bois à la tête. Mais, je me suis protégé par la main qu’il a cognée. Il m’a frappé encore dans le dos», explique-t-il.
Selon lui, c’est à partir de là qu’il a pu poursuivre son chemin, vers le quartier Landréyah, où il a été recueilli par une famille. Dans les environs, «toutes les portes sont fermées, il n’y avait personne dehors. Que des militaires parsemés. Entre-temps, à 100 mètres, un portail s’est ouvert, on m’a accueilli. C’est là que j’ai commencé à sentir la douleur. J’ai bénéficié des premiers soins traditionnels». Pour Ben Youssouf Kéïta, tous ceux qui ont tiré au stade «ont reçu» des ordres.
Le ministre, les coups de pieds…
«Hadja Halimatou Dalein m’a appelé au téléphone m’informant qu’il va envoyer quelqu’un me chercher. Trente minutes plus tard, la Croix-Rouge me transporte à l’hôpital Donka. Dans l’urgence, j’ai vu des jeunes, des femmes étalés. Le ministre de la Santé, Abdoulaye Chérif Diaby, médecin, est entré. Il n’était pas armé. Mais, pourquoi lui qui a prêté le serment d’Hippocrate n’a pas agi en tant que médecin ? D’ailleurs, il nous réprimandait : ‘’Pourquoi vous êtes sortis ?’’ Là, il n’a pas été un homme assermenté en médecine ». Et de regretter que le ministre «n’a pas eu pitié des blessés, il n’a pas compati à notre douleur, ni de nous rassurer. Certains militaires qui l’accompagnaient donnaient des coups de pied aux blessés».
« Tibou apaise les douleurs »
Selon Ben Youssouf Kéïta, c’est Hadja Halimatou Diallo qui l’a informé de la présence de son épouse au stade. Elle l’a mis en contact avec la famille ayant recueilli son épouse. «J’ai passé la nuit du 28 septembre à Donka. Le lendemain, Hadj Halimatou m’a envoyé un véhicule pour me déposer à la clinique Pasteur, où j’ai retrouvé mon épouse et les leaders politiques. Cellou Dalein Diallo avait eu quatre côtes cassées. Côté pouvoir, Tibou Kamara nous a réconfortés. Il s’est intéressé à tout le monde, y compris mon épouse. Il a eu les mots que le ministre de la Santé devait avoir face aux blessés. Tibou Kamara a su apaiser la douleur de tout le monde. Le 30 septembre, à 22 heures, Hadja Halimatou nous a envoyés un véhicule qui nous a déposés chez nous, à Lambanyi».
Ben Youssouf charge Tiégboro
L’épouse de Ben Youssouf Kéïta était avec les femmes des leaders au stade. Elle a été bastonnée, maltraitée et dépouillée de ses deux téléphones, bijoux et autres biens. «Elle a été jetée au sol. Entre-temps, un civil, avec un couteau, voulait l’égorger. En essayant de le faire, mon épouse a saisi la lame du couteau, sa main complètement lacérée. Un militaire a dit au civil de ne pas la tuer. Le ministre Moussa Tiégboro Camara arrive et demande d’arrêter. Elle pensait que c’est son sauveur. La main ensanglantée, elle tenait le ministre. Mais, celui-ci ne l’a pas sauvée, car il n’est pas allé jusqu’au bout. Son garde de corps a donné une gifle extraordinaire à ma femme, elle a perdu connaissance. Le Ministre Moussa Tiégboro Camara a continué son chemin», charge Ben Youssouf Kéïta, qui dénonce une non-assistance à personne en danger. A l’en croire, un militaire en béret rouge (plus âgé) aurait sauvé sa femme. «Elle a été traumatisée, quand elle voit un béret rouge, c’est le cauchemar».
Yaya Doumbouya