Il y a quelques mois ou peut-être quelques années, je donnais dans ces mêmes colonnes, une chronique dans laquelle j’affirmais que seuls 4 individus trouvent leurs comptes dans la Guinée d’aujourd’hui : l’escroc, le tyran, le griot et le charlatan. Je ne croyais pas si bien dire. C’est un fétichiste du nom de Môfa Sory Dounoh qui fait, en ce moment, la Une des antennes et des journaux.

Ce saint patron des sciences occultes est recherché par toutes les polices de Guinée. Et pourquoi selon vous ? Pour avoir lu dans ses grimoires que les jours du régime qui nous oppresse sont comptés. 28 jours tout au plus pour la tyrannie Mamadi Doumbouya, pas un  de plus, pas un  de moins ! Le fait est inéluctable selon le chiromancien, nul sacrifice pour l’empêcher, pas même la fameuse immolation de lépreux et d’albinos dont nos leaders sont coutumiers !

Et comme nous sommes en Guinée, les langues se sont très vite déliées autour de cette ténébreuse affaire. Il paraît que, selon les esprits, c’est un homme de petite taille que le destin a choisi pour remplacer notre colosse de légionnaire. Le chef d’État-major général de l’armée a été immédiatement dégommé. Il est de petite taille, le pauvre ! Il paraît que pour avoir osé prédire l’avenir (c’est son métier, non ?), Môfa Sory Dounoh est en fuite ; ses deux épouses ont été arrêtées, ses voitures et sa maison confisquées.

Cela me fait penser à la terrible histoire que raconte Touré Kindo dans son excellent livre, Unique survivant du complot Kaman-Fodéba, celle de Fodé Camara. Fodé Camara était un pauvre paysan qui vivait dans la région de Forécariah aux temps bénis de Sékou Touré. Un jour, Fodé Camara raconta à un de ses amis que dans un rêve, il avait vu un serpent mordre le « Responsable Suprême de la Révolution ». Ledit ami parla de ce rêve étrange à son voisin qui en parla à son voisin…la confidence finit par tomber dans l’oreille du chef local du parti, puis dans celles des gros manitous de Forécariah. On arrêta Fodé Camara et le transféra au Camp Boiro où il croupit deux longues années. Un jour, Siaka Touré qui inspectait les cellules, tomba sur ce pauvre zig : « Pourquoi es-tu là, toi ?… Seulement pour ça, pour un ridicule rêve ? Allez, fous le camp, rentre chez toi ! »

Mais arrivé à la gare-routière de Madina, le pauvre Camara se rend compte qu’il a oublié son bonnet. De retour, au Camp Boiro, il tombe sur Siaka Touré :

-Pourquoi es-tu revenu ?

-J’ai oublié mon bonnet !

-Ah bon ! Alors, entre ! »

Fodé Camara est mort au Camp Boiro pour avoir oublié son bonnet.

C’est cela notre pays, la Guinée, ce monde kafkaïen où personne ne sait quand est-ce qu’il a tort ; ce monde absurde et cruel où votre sort ne dépend que du bon-vouloir du chef.

En 1958, les Guinéens vivaient leur Indépendance comme un rêve. Ce rêve est devenu un épouvantable cauchemar. Mon dieu, comment en est-on arrivé là, comment est-on tombé si bas ? Comment ce bijou de pays est-il devenu une terre de bêtes sauvages ?

« Donnez-leur l’Indépendance et ils remonteront aux arbres », disait Georges Bidault, compagnon du Général De Gaulle. C’est malheureux à dire, mais nous avons tout fait pour donner raison à la fraction la plus vile, la  plus raciste, la plus dégoûtante des colonialistes blancs.

En 65 ans d’Indépendance, ce sont les lacrou qui nous gouvernent, ce sont les donzos qui assurent l’ordre public, ce sont les fétichistes qui s’occupent de notre avenir. Soyons honnêtes, Guinéens, ceci n’est ni l’âge tendre ni l’âge de raison, ni l’âge adulte. C’est l’âge de la pierre taillée.

Tierno Monénembo