Le Barreau de Guinée s’est fendu d’une déclaration ce jeudi 11 mai à son siège, à Kaloum, pour dénoncer les ingérences du gouvernement dans les affaires judiciaires. Cela fait suite à la libération, la veille, des responsables du Front national pour défense de la constitution. 

Pour montrer qu’il ne blague pas, le Barreau de Guinée a déclaré lundi 15 mai une journée sans audience dans les cours et tribunaux du pays. Il entend protester ainsi contre des violations répétées de la loi régissant l’indépendance de la justice à l’égard du pouvoir exécutif. « L’heure est grave, voire très grave. Nous tombons dans les mêmes pratiques de l’ancien régime », a déploré d’entrée l’avocat Faya Gabriel Kamano, en guise d’introduction du point de presse organisé par le Barreau de Guinée ce jeudi à son siège à Kaloum. Ce dernier ne pouvait pas resté indifférent face aux dysfonctionnements qui gangrènent aujourd’hui la justice guinéenne, « la boussole de la transition », selon le président de la transition Mamadi Doumbouya.  

Prenant la parole pour livrer la déclaration, le bâtonnier de l’ordre a annoncé que son organisme « suit avec un grand intérêt les derniers développements de l’actualité judiciaire, notamment le traitement des dossiers impliquant certains acteurs politiques et de la société civile ». Allusion à Oumar Sylla alias Foniké Menguè, Ibrahima Diallo et Mamadou Billo Bah, tous responsables du FNDC (Front national pour la défense de la constitution) détenus depuis juillet 2022 (pour les deux premiers) et janvier dernier (pour le dernier). Leur arrestation fait suite à l’organisation de manifestations pour, entre autres, un retour rapide à l’ordre constitutionnel. Des interpellations suivies de longue détention sans procès dénoncées par la classe politique, les organismes de défense des droits humains mais également leurs avocats.

La justice, instrument du politique ?

Suite à des pressions multiples, le gouvernement de transition à travers le ministre de la Justice Alphonse Charles Wright a ordonné finalement la libération dans la soirée du mercredi de Oumar Sylla alias Foniké Menguè, Ibrahima Diallo et Mamadou Billo Bah. Accédant ainsi à une des trois conditions posées par les Forces vives de Guinée pour rejoindre la table de dialogue avec la junte au pouvoir. Ces activistes ont été ainsi « arbitrairement détenus et illégalement libérés », résume l’avocat Pépé Antoine Lama.  

En dépit des intérêts personnels qu’ils défendent dans les différentes procédures pour lesquelles ils sont constitués, les avocats restent attachés au respect de certains principes, a précisé le bâtonnier Mamadou Diop Souaré. Au nombre desquels il énumère celui de « l’indépendance de la justice qui, faut-il le rappeler, n’est pas un privilège pour le juge, mais une garantie de bonne justice ». Cette indépendance, poursuit-il, « est une quête permanente vitale pour l’exercice, voire la survie même de la profession d’avocat ». Et de déplorer que les actes posés ces derniers temps par la justice guinéenne laissent croire que celle-ci « continue d’être un instrument entre les mains des détenteurs du pouvoir politique ».  

 Alors que certains magistrats avaient avoué leur impuissance sous Alpha Condé et que Mamadi Doumbouya avait annoncé sa volonté de refonder l’Etat en faisant de la justice « la boussole » de son pouvoir, le Barreau de Guinée constate la continuité des mêmes pratiques. « La justice continue d’être à la solde de l’Exécutif, persiste Mamadou Diop Souaré. (…) Le sort des citoyens reste fortement dépendant des desideratas des autorités publiques qui deviennent la seule boussole des décisions judiciaires ». Ce qui « dégrade fortement l’image de la justice et érode son capital de confiance ». Et les magistrats ne sont pas en reste de cet état de fait. « On ne peut donner au juge que les moyens de son indépendance, l’indépendance quant à elle est une affaire du juge lui-même », a déclaré le conférencier en paraphrasant le célèbre juge sénégalais Kéba M’Baye. « Le Barreau de Guinée, en guise de protestation contre les dysfonctionnements relevés, déclare le lundi 15 mai 2023 journée sans audience sur toute l’étendue du territoire national », conclut le bâtonnier de l’ordre des avocats de Guinée, Mamadou Souaré Diop.

Diawo Labboyah