La Grande Muette fait grand bruit ces derniers temps. Certainement à son corps dépendant. Dans un silence qui a fini par perdre le nord au profit des rédactions, des studios et autres réseaux sociaux. Tout a commencé par une cascade de limogeages et de suppressions de pans entiers de services, essentiels, aux yeux des profanes que nous sommes. Le patron des renseignements militaires a inconsciemment ouvert le bal quand il s’est inscrit sur la liste peu honorable des demandeurs d’emploi. Personne n’a semblé choqué outre mesure. L’armée s’est débarrassée, en silence, de certaines de ses structures de protection et de leurs honorables gestionnaires. Silence gêné, gênant, mais silence quand même.
Patatras, le vase déborde, les décrets tombent à foison ! Faute de communiqués officiels et de communication conséquente, le Guinéen s’offre l’embarras du choix pour renouer avec ses commentaires et ses commérages habituels. Le terrain le plus fertile en la matière est naturellement celui du féticheur, du marabout et du charlatan. Depuis des années, la politique guinéenne en a fait sa sève nourricière. Marx et Mao ne l’avaient certainement pas enseigné. La révolution guinéenne en a fait un usage abondant dans les années 1970 pour lutter contre sa 5è colonne aussi imaginaire qu’impérialiste. Les dossiers « des anti- Guinéens » les plus notoires tombaient nuitamment dans les chambres exigües des camarades révolutionnaires marabouts avant leur examen par les services de sécurité du Parti-État. Tenez-vous bien, la pratique n’a pas épargné la nouvelle classe politique de l’après 3 avril 1984. Les cérémonies de baptême des grands partis comme le PGP, le PUP, l’UPR, le RPG…se sont déroulées sous l’œil vigilant des futurologues d’alors.
En 2023, d’énormes progrès technologiques auront été accomplis. C’est par vidéo qu’un féticheur de Siguiri, Mofa Sory Dounoh, prédit la chute du colonel Mamadi Doumbouya et son remplacement à la tête du pays par « un militaire plutôt court, de teint noir. » Il semble que la même prédiction ait été adressée à Alpha Condé. Sans réaction.
A présent, bien malin, le Guinéen qui évitera de spéculer sur le sens dessous-dessus des décrets et contre décrets qui marquent le paysage administratif et sécuritaire du pays. Notre Colonel national et son CNRD chéri jurent-ils par les féticheurs et les marabouts qui continuent de se partager la Guinée mystique ? La situation ressemble à s’y méprendre à l’indécidable qui a marqué la logique formelle jusqu’au siècle dernier. Elle enseigne que dans certaines circonstances, vous ne pouvez répondre ni par oui ni par non : « Si un Crétois vous dit que tous les Crétois sont des menteurs, comment établirez-vous que l’assertion est vraie ou fausse, l’auteur étant lui-même Crétois ? »
En tout état de cause, un chef d’état-major désarmé ne saurait perpétrer un coup d’État militaire. Surtout si par hasard il ne brille ni par le teint ni par la taille. A moins que l’on clarifie davantage ces bruits de bottes et de vols d’armes qui pourrissent l’atmosphère de la Grande Muette. Mais à qui de le faire dans tel climat de doute et de soupçon généralisés ?
Diallo Souleymane