Après une semaine d’interruption, pour cause de difficultés de restauration des accusés et des magistrats (voir votre précédent numéro), les audiences ont repris ce mardi 2 mai au tribunal de première instance de Dixinn. A la barre, Oumar Dioubaté, médecin, réclame la vérité sur la disparition de sa mère, suite au massacre du 28 septembre 2009.

Oumar Dioubaté avait-il pressenti ce qui attendait sa mère au Stade du 28 Septembre ? Le jeune médecin qui était, ce jour 28 septembre 2009 de garde dans une clinique d’Enco 5, avait tout fait pour dissuader sa maman de se rendre au lieu de la manifestation. En vain. « Je ne suis pas ta fille », s’est-il vu rétorquer par cette dernière, veuve depuis 1996 et mère de quatre enfants. Alors militante et responsable du Rassemblement du peuple de Guinée, l’ex-parti au pouvoir sous Alpha Condé, Fanta Condé (c’est son nom) s’est rendue au Stade en compagnie d’une de ses copines de nom de M’Balou. Oumar Dioubaté, qui n’avait eu d’autre choix que d’accompagner sa mère jusqu’au bord de la route, ne la reverra plus vivante.

Aujourd’hui, il n’a qu’une photo d’elle, couchée dans des détritus (chaussures de manifestants abandonnées et des barres de fer), partiellement recouverte par un pagne, le bras droit « fracturé à trois niveaux » (simplement brouillé) et enflé. Malgré son visage caché, l’orphelin est convaincu que c’est le cadavre de celle qui l’a mis au monde. Pour en convaincre le tribunal, il s’est muni d’autres portraits de Fanta Condé. Une simple formalité, serait-on tenté de dire : comment ne pourrait-on pas reconnaitre sa mère, même parmi mille autres personnes ?

Entre le jour du massacre et celui de la restitution des corps quatre jours plus tard, à la Grande Mosquée Fayçal, Oumar Dioubaté avait parcouru tout Conakry pour rechercher sa mère. A la morgue du CHU Donka, il a trouvé un dispositif sécuritaire mixte (police et gendarmerie) empêchant tout accès. A l’intérieur, où il n’a pu pénétrer que grâce à sa blouse de médecin, veille un militaire béret rouge qui l’a éconduit aussitôt. « Il m’a dit de rentrer et attendre un communiqué sera publié pour annoncer la restitution des corps », se souvient Oumar Dioubaté. Apparemment, la dépouille de Fanta Condé était à l’autre morgue du CHU Ignace Deen.

Oumar Dioubaté conforté par un témoin

C’est sur l’esplanade de la Grande Mosquée qu’il découvrira donc que sa mère est morte. Fanta Condé sera enterrée par sa famille sans autopsie, comme tant d’autres. Ceux qui avaient retrouvé les leurs étaient considérés d’ailleurs comme les plus chanceux au vu de l’importance du nombre de disparus. « Je demande que justice soit faite et qu’on soit indemnisés », réclame Oumar Dioubaté dont l’audition a tourné court. Ce dernier a cédé sa place à Alpha Boubacar Diallo, une autre victime, chauffeur de taxi. Ce dernier témoigne de ce qu’il a vu et vécu au Stade, le 28 septembre 2009.

« Je me souviens du corps de la maman de Oumar Dioubaté. Excusez-moi, ce n’était pas joli à voir. C’est effectif que son bras était cassé trois fois et enflé. C’est moi qui l’ai tiré », témoigne Alpha Boubacar Diallo qui a participé au ramassage de plusieurs corps. Il a dû se confondre aux éléments de la Croix Rouge, pour se tirer des griffes des hommes en uniforme qui menaçaient de « nous exterminer » après. Après avoir entendu son récit, une infirmière du CHU Ignace Deen aurait conseillé à Alpha Boubacar Diallo d’aller se soigner ailleurs, avant que les auteurs des exactions ne le retrouvent. Blessé à la joue gauche et à la hanche par arme blanche et par un militaire « noir et tatoué », il a obéi au doigt et à l’œil, se soignant dans une clinique de Sangoyah (commune de Matoto).  

Le témoignage de Alpha Boubacar Diallo accable également des éléments habillés en maillot de sport désignés comme étant des recrues de Kaléyah et qui auraient participé au massacre. Son groupe et lui auraient été fouillés par ces derniers qui, par la suite, auraient ouvert le Stade et encouragé les manifestants à s’y engouffrer « en criant victoire ! victoire ! ». Le leader politique Bah Oury avait, lors de son témoignage à la barre, comparé le Stade à « une souricière ». Une manière de dire que le massacre de 2009 était planifié par la junte de Moussa Dadis Camara.

Diawo Labboyah Barry