Défenseur des droits humains, géopoliticien, spécialiste des questions de paix, sécu et défense, démissionnaire de l’administration pénitentiaire, du Bloc libéral et de l’UFDG…Depuis son retour d’exil en 2007, Aliou Barry multiplie les acrobaties pour faire valoir ses idées et projets, en vain. Il jette désormais son dévolu sur les Sociaux-démocrates de Guinée et entend briguer la prochaine présidentielle. Quelle est son approche politique ? Quelle lecture fait-il du déroulement de la transition ? Le nouveau leader politique s’est confié au Lynx, sans détour. 

Le Lynx : Pourquoi avez-vous décidé de créer un parti politique ?

Mamadou Aliou Barry : De l’analyste politique au politicien, il n’y a qu’un pas. A mon retour en Guinée en 2008, on a créé l’Observatoire guinéen des  droits de l’homme (ONDH), une institution indépendante des droits de l’homme. Quelques années après, j’ai créé le Centre d’analyse et d’études stratégiques (CAES). Mais je me suis rendu compte qu’activiste ou analyste, on a  aucun moyen de peser  sur la situation politique du pays. Avec les autres collègues chercheurs, on est arrivés à la conclusion qu’on est complètement désarmés pour faire valoir nos idées ou nos projets. La seule solution, c’était de créer un parti politique. D’où la mise en place des Sociaux-démocrates de Guinée (SDG). 

Qu’allez-vous apporter que vous n’auriez pas pu faire dans les autres partis où vous êtes passé ?

Avant l’UFDG, j’ai été à sa création vice-président du Bloc libéral de Faya Millimouno. J’ai démissionné. Après plusieurs hésitations, j’ai adhéré à l’UFDG où je suis resté  un mois. J’ai compris que les partis politiques, dans leur structuration, ne participent pas à asseoir la démocratie. Je ne suis pas là pour critiquer leur fonctionnement. Au BL et à l’UFDG, j’avais proposé qu’on mette de côté  des centres de réflexion, pour rassembler les Guinéens autour d’un  programme de développement et non d’une  personne. Au BL, tout tournait autour de Faya. A l’UFDG, le seul débat qu’il y avait portait sur ce que Alpha faisait. Aucun espace pour former les militants. En l’absence de Cellou, mêmes les assemblées générales se vidaient. Cela ne correspondait pas à ma préoccupation qui est, pour une fois depuis notre indépendance, d’avoir un parti qui rassemble tous les Guinéens autour d’un projet de société. Après mon adhésion, le président de l’UFDG lui-même m’a dit : je pense que tu es plus utile en dehors que dans le parti.

J’étais à l’étranger quand survenait le putsch du 5 septembre 2021. Le président de l’UFDG fait partie de ceux que j’ai appelés en première position. A ma grande surprise, toute l’opposition guinéenne était très enthousiaste. Toute junte qui arrive au pouvoir prêche la bonne parole, c’est classique. Tout le monde m’a dit que c’est différent parce que Doumbouya est allé prier sur les morts à Bambéto ; il a même versé des larmes et promis qu’il n’y aura plus de tueries ; que les jeunes de l’Axe seront incorporés dans l’armée…Aujourd’hui, on se rend compte qu’il n’y a aucun changement. Mon objectif n’est pas de jeter  de l’opprobre sur la classe politique actuelle. Elle a fait ce qu’elle  peut. Mais ce qui m’a  le plus frappé, c’est le manque de vision, le fait de ne pas tirer les leçons du passé.     

Au Centre  d’analyses, pendant deux ans, on a réfléchit à comment faire la politique autrement. Dans le cadre de ce parti, on va mettre  en place des « Sections d’éducation citoyenne ». On est en train de les installer dans les différentes communes de Conakry. Lorsqu’on prend par exemple la conduite des taxi-motos, c’est un problème d’éducation. En terme d’alimentation, c’est facile de dire consommer local. Si on n’explique pas les vertus et les différents menus du fonio par exemple…Sur la citoyenneté, on n’est pas contre les manifestations. Mais un jeune de 12 ans n’y a pas sa place. Il y a deux problèmes qui peuvent expliquer qu’il sorte : les parents n’ont plus d’autorité, faute de moyens pour éduquer leurs enfants, auquel cas il faudrait les accompagner. Ou alors les enfants sont déscolarisés. Pour la santé, on passera du système curatif à celui préventif. Jeune, on faisait des visites chez l’ophtalmo tous les ans, des prises de tensions. Nos assemblées générales ne seront pas hebdomadaires. Elles se tiendront lorsque c’est nécessaire.

Partagez-vous les critiques de Ousmane Gaoual Diallo sur l’absence de démocratie dans la gouvernance des partis politiques ?   

Je ne partage pas beaucoup de choses avec lui. En Guinée, on se focalise plus sur la personne que sur ce qu’elle dit. Je me suis attardé sur ce qu’il a dit. Je ne suis pas contre le fait que les mêmes personnes dirigent le parti, mais contre l’absence de congrès et de débats. Toute critique est impossible. Il suffit d’avoir un avis contraire pour qu’on vous reproche de ne pas aller dans le sens collectif. Sous cet angle, sa critique est plus ou moins fondée. Ses ennuis ont commencé quand il a, en 2015, émis le souhait d’être candidat pour la présidence du parti.

Vous avez été directeur national adjoint de l’administration pénitentiaire de 2014 à 2016. Quel changement cette expérience administrative vous inspirerait-elle si vous êtes élu président de la République ?  

Les Guinéens se focalisent beaucoup sur la constitution. C’est un faux débat. Celle de 1958 autorisait le multipartisme, c’était un bon texte. Celle de 1990, de 2010 on n’en parle pas. Ce sont les gouvernants qui les ont piétinées. Je suis effaré d’entendre qu’on va rédiger une nouvelle constitution. C’est l’application qui pose problème. Comment comprendre qu’un pays aussi jeune que le nôtre soit à sa cinquième constitution ? En 2010, le CNT avait fait un très bon travail. Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Quand Alpha a estimé qu’il faut s’éterniser au pouvoir, il a jeté la constitution pour promulguer une autre. Si moi-même on me met dans les conditions actuelles d’exercice du pouvoir, je risque d’être autocrate. Il faut, à l’intérieur même des partis politiques, promouvoir la démocratie. C’est difficile de dire à quelqu’un de faire bien lorsque vous donnez le mauvais exemple.

Quand Cheick Sako a été nommé ministre de la Justice, il a créé deux commissions Prisons et Victimes. Il m’a confié la première. On a pris six mois, pour faire le tour de toutes les prisons du pays et sortir un rapport, avec un diagnostic très clair. Aujourd’hui, les prisonniers ont droit à un petit-déjeuner et un repas à midi. Le régisseur par intérim de la Maison centrale de Conakry était en prison à l’époque. Etudiant en médecine, ce n’est pas parce qu’il était enfermé qu’il n’avait pas le droit de poursuivre ses études. Son professeur, le docteur Hassane Bah m’a contacté. Je lui ai donné mon feu vert avant d’aviser le ministre, convaincu que ce dernier n’y fera pas obstacle. J’étais présent à sa soutenance.

Gando (Mamadou Gando Bah, directeur national de l’administration pénitentiaire ndlr) était éducateur à la Maison centrale. Lui et ses amis se tournaient les pouces là. J’ai dit à Cheick Sako qu’il y a cinq ou six jeunes éducateurs, tous diplômés. Emmenons-les à l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire, pour les former et les ramener. Pour que le pays change, mettez des bons profils à des postes de responsabilités ; trouver des contrepouvoirs.

En Guinée, tout se résume à l’exécutif qui piétine les autres institutions. Il faut arriver à une vraie séparation des pouvoirs. On copie la France, ignorant là-bas qu’il y a des contrepouvoirs : le Conseil d’Etat, le Conseil constitutionnel, le Conseil supérieur de la magistrature. Ici, Alpha présidait ce dernier et avait l’Assemblée nationale sous ses ordres.

Le pays qui a plus de similitudes avec la Guinée, c’est la Suisse qui est un ensemble de cantons autonomes. Chacun d’eux a son exécutif local. Maintenant, les fonctions régaliennes sont gérées au niveau national. En Guinée, on a quatre régions. Les coordinations régionales ne sont constitutionnellement pas prévues. Mais tous les régimes successifs, dès qu’il y a un problème, leur font appel. On a fait recours aux religieux récemment pour libérer les responsables du FNDC. Comment se fait-il que c’est le président de la République qui nomme par exemple le directeur de l’hôpital régional de Nzérékoré, celui sous-préfectoral de l’éducation de Youkounkoun ? On a l’avantage d’avoir une diversité culturelle et ethnique, avec quatre régions naturelles. On pourrait confier par exemple aux autorités de Kankan la gestion de tout ce qui est local et que les fonctions régaliennes (police, défense, monnaie…) restent des attributions du pouvoir central.

Prônez-vous que la Guinée soit une fédération ?

Je ne parle même pas d’Etat fédéral. La décentralisation n’est que sur papier. La constitution de 2010 prévoyait l’élection des gouverneurs. Il faut qu’à la tête des quatre régions soient élus des exécutifs locaux par les citoyens. Il faut aller vers une vraie décentralisation et sortir de l’Etat centralisé où le président de la République décide tout.

Comment analysez-vous le déroulement de la transition ?      

Par expérience, une transition qui dure n’en est plus une. Quand on a un pouvoir absolu, on devient bon gré mal gré dieu. La Guinée qui n’a pas de problème sécuritaire comme le Mali ou le Burkina, est-ce que c’était judicieux de faire une transition de deux ans ou trois ans ? Même la Cedeao est responsable de ce qui se passe, en démontrant son incapacité d’accompagner le pays vers une stabilité. Elle a fermé les yeux sous Alpha et même envoyé des observateurs pour certifier le troisième mandat. Est-ce nécessaire de rédiger une nouvelle constitution pour remplacer celle largement consensuelle de 2010 ? Le prochain chef d’Etat risque de faire comme Alpha, en disant qu’il ne la reconnaît pas et qu’il va élaborer une nouvelle.

Il y a des larges consultations et le texte sera soumis au référendum. Ce qui n’était pas le cas en 2010.

La constitution n’a jamais posé problème en Guinée, mais son application. Je suis pressé de voir en quoi la nouvelle constitution sera-t-elle différente de celle de 2010. J’ai le pressentiment qu’on risque de reconduire les mêmes termes, de ne pas être à l’abri d’une future révision constitutionnelle.

Ce n’est pas en soi un problème…Tout dépend de la finalité de la révision, non ?

Avec Alpha, il a fallu qu’il achève deux mandats pour trouver des insuffisances à la constitution. Il faut que les hommes politiques guinéens aient le souci du collectif que de leur propre personne. Au niveau de mon parti, je ne ferai jamais deux mandats. Tous les militants le savent. Qu’on gagne ou perde les élections, après cinq ans, j’arrête. Je m’inspire de Mandela. Voilà quelqu’un qui pouvait s’éterniser au pouvoir, personne n’aurait trouvé à redire. La réponse lorsqu’on lui a demandé pourquoi n’a-t-il fait qu’un mandat devrait inspirer tous ceux cherchent le pouvoir. Il a dit : si après 27 ans de prison, je ne montre pas que j’ai le sens de la démocratie, qui le fera ? Vu mon âge et tout ce que j’ai subi, je cède la place. Se considérer incontournable, c’est le début de l’autocratie. C’est ce qu’a estimé Ouattara, après la mort de son dauphin. J’en profite pour saluer l’attitude de Macky Sall qui aurait pu faire la même chose.   

Pensez-vous que le CNRD se conformera au chronogramme de deux ans ?

J’ai analysé les trois transitions dans la sous-région. En Guinée, la junte n’était pas préparée à prendre le pouvoir. Tout comme au Mali et au Burkina Faso. Contrairement à Thomas Sankara et Blaise Compaoré, qui s’étaient préparés des années durant et qui avaient un vrai programme. Une junte qui n’était pas prête et qui demande trois ans pour organiser des élections, sans aucun projet. Elle assure plus la continuité des actions de développement héritées d’Alpha Condé, que du reste je salue. Mais, elle n’en fait pas avec le même engouement pour tout ce qui concourt à un retour à l’ordre constitutionnel. Cela veut dire qu’elle n’est pas prête à céder le pouvoir. En 12 mois, ne pouvait-on pas stabiliser le pays et organiser des vraies élections ? Il suffisait de nettoyer le fichier existant, de reconduire la constitution de 2010 et sortir par la grande porte.

En 2010, Sékouba Konaté a rendu le pouvoir en moins d’un an mais il y a eu des protestations.

On a fait cinq mois entre le premier et le second tour ! Il n’y a pas eu d’élections propres en 2010. Pour une fois, Doumbouya aurait pu s’inspirer de ATT (Amadou Toumani Touré, ancien président du Mali). Il est jeune et peut revenir après cinq ans, s’il a des ambitions politiques. En allongeant la transition, ils sont obligés de gérer des questions économiques. Exiger un changement d’immatriculation n’a rien de prioritaire dans une transition. Ils auraient pu imposer à toute nouvelle voiture, une nouvelle plaque d’immatriculation que de vouloir étendre la mesure à tout le monde. Le propriétaire d’un vieux taxi qui coûterait deux millions de francs ne pourrait pas s’offrir une nouvelle plaque de plus d’un million de francs.

Néanmoins, comment votre parti se prépare-t-il pour les prochaines échéances ?

En décembre, on présentera nos listes de candidats aux locales, puis aux législatives. Quoique je sois pessimiste. Le pays est calme tant qu’on ne parle pas d’élection. La présidentielle, c’est un homme face au peuple. Or, les locales peuvent bien se passer dans une commune et ne pas l’être dans d’autres. Elles engendrent plus de tensions. Je suis favorable au couplage au moins des communales avec les législatives. Sinon, cette transition peut déborder même contre la volonté des autorités.

Serez-vous candidat à la présidentielle ?

Je ne l’exclus pas, même si ce qui m’intéresse c’est moins ma personne que le projet que le parti portera. On est en train de le rédiger. Nous tenons à ce que le parti ne soit pas personnalisé. C’est pourquoi après son lancement, j’ai prévenu les médias : en cas d’invitation, ce ne serait pas forcément moi qui irais.

Quoique vous vous présentez comme le leader de tous les Guinéens, vous ferez face à un adversaire redoutable au Fouta : Cellou Dalein Diallo.

On n’a pas créé un parti contre l’UFDG ou l’UFR…On n’a pas la prétention d’égaler ou de se comparer à quelqu’un. Nous partons du principe que si on en est là, c’est parce que nos prédécesseurs, toutes tendances confondues, n’ont pas répondu aux aspirations des Guinéens. On est très conscients du régionalisme, du poids de l’UFDG. Mais s’il y a des gens qui viennent vers nous, c’est qu’ils n’ont pas eu réponse à leurs attentes ailleurs. On ira sur le terrain pour dire : voilà ce qu’on propose, tout en mettant le citoyen au cœur de notre projet de société. Il n’y a pas de problème ethnique en Guinée. Le problème, c’est la partialité de l’administration qui fait des recrutements civils et militaires discriminatoires et l’instrumentalisation des ethnies pendant les élections. Notre devise, c’est Education dans son sens large. Nous pensons que c’est la base. Puis Justice et Prospérité. Si la première est garantie, l’ensemble des ressources du pays est distribué équitablement, cela ne peut mener qu’à la prospérité.

Entretien réalisé par

Diawo Labboyah