On imagine les mines hilares dans les salles de rédaction de Paris, Berlin, Londres et New-York à la vue de cette délégation africaine (Cyril Ramaphosa de l’Afrique du Sud, Macky Sall du Sénégal, Azali Assoumani des Comores et Félix Tschisekedi de la République Démocratique du Congo) partie comme une grande, régler l’irréductible conflit Russie-Ukraine. La ridicule histoire de l’aveugle qui vient au secours du borgne ! Le comble, c’est que ce n’est pas la première fois que l’Afrique envoie une mission de paix au-delà du continent contrairement aux affirmations du président sud-africain. En 1971 déjà, alors que l’apartheid battait son plein, que les colonies portugaises cherchaient désespérément leur Indépendance et que les enfants du Biafra faisaient la une des journaux, la défunte OUA (Organisation de l’Union africaine) avait envoyé Senghor, Ahidjo, Gowon et Mobutu pour régler les problèmes de « l’Orient compliqué » comme disait De Gaulle. L’objectif visait à faire appliquer par l’Egypte et Israël, la résolution 242 du Conseil de Sécurité, bref à débloquer la fameuse mission Jarring. Ce qui est bel et bien une mission de paix !
Au Caire comme à Jérusalem, les présidents africains furent accueillis avec beaucoup de courtoisie. Golda Meir leur déplia le tapis rouge. Anouar El Sadate leur offrit les fleurs, le narguilé et tous les salamalecs de bienvenue. Ce fut tout. Abba Eba, le ministre israélien des Affaires Etrangères avait déjà annoncé la couleur « nous n’attendons rien de spectaculaire de cette visite ». Et au Caire, Abdel Kader Hatem, le ministre de l’Information s’était raidi dès l’annonce de la visite en évoquant un « plan tendancieux visant à créer un climat d’optimisme autour de prétendues solutions pacifiques du conflit du Proche-Orient ». D’ailleurs ce fut la guerre du Yom Kippour deux ans après les toasts, les accolades et les communiqués de circonstance.
Et voilà que de nouveau, l’intruse Afrique se mêle de ce qui ne la regarde pas. Elle va mettre son petit doigt entre la Russie et l’Ukraine. Elle veut faire la paix entre les frères ennemis slaves comme si elle n’avait pas suffisamment à faire chez elle. Eteindre le feu de l’autre côté des mers alors que sa propre case brûle, est-ce vraiment cela, la charité bien ordonnée que recommande le proverbe ? Je ne sais pas si vous le savez mais c’est par millions que l’Ituri compte ses morts, Monsieur Tshisekedi, le Sénégal est au bord de l’explosion, Monsieur Macky sall. Quant à vous, Monsieur Azali Assoumani, président en exercice de l’Union Africaine, ne pensez- vous que vous devriez vous occuper d’abord du Mali, du Burkina, du Soudan ou du Sahara Occidental ? Le continent ne manque pas de points chauds où les Africains s’entre-déchirent pour des vétilles, le plus souvent.
Dans un monde où tout se monnaie, quel intérêt l’Afrique a-t-elle à rabibocher deux présidents aussi inflexibles que Poutine et Zelensky ? La réponse est simple : cette guerre lointaine lui coûterait paraît-il, un déficit alimentaire de 30 millions de tonnes de blé. Sauf que rien n’oblige un continent où le manioc, l’igname et la banane- plantain poussent abondamment, à manger du pain. A supposer toutefois que la farine en vaille la peine, quel poids pèse le continent pour imposer une paix dont personne ne veut ? Pour paraphraser Staline, « l’Afrique, c’est combien de divisions » ?
Nos présidents auraient dû se remémorer la parole des anciens avant de s’engager dans cette aventure sans lendemain : « Le poulet n’a pas à se mêler des affaires des couteaux ».
Tierno Monénembo
Source : Le Point