Née à Mamou en 1949, la Rabi Serah Diallo a rendu l’âme le 28 juin, après une vie de lutte pour défendre les droits des travailleurs. Retour sur le parcours d’une héroïne qui a marqué son temps et risqué sa vie, pour des meilleures conditions de vie pour l’ensemble des Guinéens.
«Quand je mets le feu, c’est sous la marmite pour nourrir mes enfants. Mais en Guinée, la marmite est vide. (…) C’est ça qui met le feu au pays ! », disait ce bout de femme que nul n’a pu enjamber, y compris le général cinq étoiles Fory Coco. Au plus fort de la grève syndicale de janvier-février 2007, alors que tout le pays était en ébullition, ce dernier s’était écrié en recevant les meneurs : « Voulez-vous me déculotter ? »
Malgré tout, Rabiatou se défend d’être pyromane. Elle préfère se décharger sur les causes de l’embrasement de la Guinée, au crépuscule du régime de Fory Coco : inflation et cherté de la vie, manque d’eau et d’électricité, corruption et détournements de deniers publics, justice aux ordres, des salaires précaires… Lorsqu’on est dos au mur, on craint moins de sortir affronter la soldatesque, car de toute façon on mourra de faim en restant à la maison. C’est donc en porte-voix d’un populo désespéré et à bout de souffle que Rabi Serah Diallo et son binôme feu Ibrahima Fofana s’étaient dressés face à un pouvoir sourd et aveugle devant la misère nationale.
La première dirigeait la CNTG (Confédération nationale des travailleurs de Guinée) depuis sept ans, centrale syndicale où elle a commencé à militer en 1969. Elle n’avait que 19 ans. Dans un milieu réservé aux hommes, celle qui fut magistrat de carrière gravit les échelons jusqu’à prendre la tête de ce syndicat dont l’histoire se confond à celle du pays. Le second était, lui, le patron de l’USTG (Union syndicale des travailleurs de Guinée) jusqu’à sa mort dans un accident tragique en 2010, à Tormelin (Fria).
Une source d’inspiration ?
La colonne de milliers de manifestants partis de la banlieue de Cona-cris, en ce lundi 22 janvier 2007, à l’appel du duo syndicaliste réclamait le changement. Elle fut stoppée au Pont du 8 novembre, à l’entrée de Kaloum, par les bérets aux yeux rouges de la garde pestilentielle. Les bidasses ouvrent le feu sur la foule. Ce qui n’a pas empêché la réédition de la marche pour le changement le mois de février suivant. Au total, ces soulèvements qui avaient gagné tout le pays ont fait une centaine de morts, des milliers de blessés et d’importants dégâts matériels. Saisie depuis mai 2012 d’une plainte de l’OGDH (Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme et du citoyen) et de la FIDH (Fédération internationale de la ligue des droits de l’homme), la justice peine toujours à élucider l’affaire.
Après deux mois de bras de fer, Fory Coco finit par se plier aux revendications syndicales. Sous la médiation de la Cedeao, il nomme le 1er mars un Premier ministre chef du gouvernement, en la personne de Lansana Kou-raté, aujourd’hui leader du PEDN. Ce dernier sera débarqué un an plus tard, le 20 mai 2008 et remplacé par Ahmed Tidiane Souaré-bal-poussière. Avec l’entrée de certains syndigaleux (de second couteau) au gouvernement, le très stratège Fory Coco connaîtra la tranquillité et mourra paisiblement le 22 décembre 2008.
Le syndicat se ramollit, s’efface et laisse la lutte aux politicards. Ainsi, il ne participera pas à la manif du 28 septembre 2009 contre la candidature présidentielle du capitaine El Dadis, le successeur par putsch de Fory Coco au pouvoir. Après le massacre qui s’en est suivi et la tentative d’attentat qui mettra El Dadis hors-jeu, le 3 décembre 2009, il reprend sa place dans le débat national. La Rabi Serah le représentera ainsi aux pourparlers de janvier 2010 à Ouaga qui déboucheront sur la désignation du général El Tigre Konaté comme prési de transition par intérim. Le 19 février, la syndicaleuse devient prési du Conseil national de transition. Sous sa férule, le CNT adopte des textes majeurs : la Constitution du 7 mai (rédigée en trois mois !) ; des lois organiques dont celle sur la dépénalisation des délits de presse (une première). Le tout couronné par l’organisation rapide de l’élection présidentielle (en juin pour le 1er tour et le second en novembre) et la transmission du pouvoir, en décembre à Alpha Grimpeur déclaré vainqueur. Une célérité qui devrait inspirer les acteurs de la transition actuelle. Ce n’est qu’en janvier 2014 que le CNT de la Rabi cèdera la place à la nouvelle Assemblée nationale issue des légis-tardives du 28 septembre 2013. Un an plus tard, Alpha Grimpeur la nommera prési du Conseil comique et social. Le dernier poste qu’elle gardera jusqu’au putsch du 5 septembre 2021, mené par le CNRD de Mamadi Doum-bouillant.
« Tuez-moi ! »
Entre autres témoignages, le Moutard du parti NFD a rendu hommage à la Rabi Serah, illustré son courage en revenant sur un épisode de la grève de 2007. «Je me souviens de ce 17 janvier 2007, lorsque notre marche de la Bourse du travail (siège de la CNTG, ndlr) au Palais du peuple (pour remettre un mémorandum au président de l’Assemblée nationale Aboubacar Somparé) fut brutalement et violemment dispersée par des policiers et gendarmes. Restés seulement à quatre (toi, Dr Ibrahima Ibrahima Fofana, un autre syndicaliste et moi), quoique tu fus affaiblie par le gaz lacrymogène et étant à terre (ta main dans la mienne), tu répétais courageusement : « Tuez-moi !» aux policiers qui pointèrent leurs armes sur nous».
Hypertendue, diabétique, le pied fracturé suite à une chute, selon des sources proches de la défunte, l’invincible guerrière a fini par déposer les armes, à 73 ans. Selon Jeune Afrique, elle avait rétorqué à Fory Coco qui menaçait «de tuer à petit feu» Rabi et ses collègues syndigaleux: «Je n’ai pas peur de la mort. On doit tous mourir un jour !» Le sien est finalement arrivé, près de quinze ans après celui de l’ex-président.
Diawo Labboyah