Après Kiev, Niamey ! La guerre froide qui vient de se réchauffer en Ukraine atteindra peut-être son incandescence sous le climat torride du Sahel. Cela a commencé par une série de coups d’Etat, cela finira si l’on n’y prend garde par l’embrasement général.
Que voulez-vous, le mur de Berlin est tombé et avec lui, la carte issue de l’après-guerre. Le monde se recompose. Une nouvelle ère se dessine. Un nouveau partage de l’Afrique est en vue.
Dans Le temps qui reste, le célèbre journaliste Jean Daniel parlait de « seuil de colonisabilité ». De toute évidence, l’Asie et l’Amérique latine l’ont franchi. Le continent noir demeure, lui, taillable et colonisable à merci. Normal, il lui a manqué ce qu’il faut pour générer une société forte, moderne, ouverte au progrès économique et social : le leader, le bon, l’homme de la situation. Jusqu’ici, il n’a eu que des illuminés, des populistes et des satrapes, comme cela se disait jadis dans les fiévreuses réunions de la FEANF (Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France).
Nos dirigeants ont passé leur temps ou à se soumettre, ou à dénoncer ou à revendiquer. Avec la pertinence qui est la sienne, Alioune Tine, le président du RADDHO (Réseau Africain des Droits de l’Homme) a déploré ici, il y a peu, l’absence cruelle d’une géopolitique africaine. La rancœur et le ressentiment n’en font pas une. En gros, nous avons manqué de cynisme, j’allais dire, de machiavélisme.
L’Histoire est immorale. Personne ne viendra nous présenter ses excuses pour l’Esclavage ou pour la Colonisation. Arrêtons nos jérémiades, prenons le monde « tel qu’il est » (ainsi, parlait De Gaulle) et débrouillons-nous pour en tirer le maximum. L’Asie nous a montré que la « colonisabilité » chère à Jean Daniel n’est pas une fatalité. Si nos dirigeants cessaient de pleurnicher, de piquer dans la caisse de l’Etat, de tripatouiller la Constitution et de persécuter leurs opposants, ils pourraient trouver le « truc » qui nous permettrait de sortir de la misère et de son corollaire immédiat, la domination étrangère.
Ce qui se passe en ce moment sur les bords du Niger ne va pas dans ce sens, hélas. Au recul démocratique-irréversible, si ça se trouve ! que cette succession de putschs engendre, il faut ajouter dorénavant une confrontation directe entre la Russie et l’Occident, le tout sur fond de djihadisme triomphant. La peste du Moyen-Orient, plus le choléra des pays du Nord ! Ce n’est pas bien malin de réunir chez soi tous les fléaux de la planète surtout quand on habite un endroit enclavé déjà fortement soumis au double effet du sous-développement chronique et des aléas climatiques les plus virulents !
Tous ces périls au beau milieu du continent, de quoi succomber d’une overdose de pessimisme ! Le Sahel, c’est la partie névralgique, s’il tousse, c’est toute l’Afrique qui va attraper la bronchite. C’est une région complexe, riche de ses mines et de son fabuleux passé, surtout une région charnière, celle qui joint le nord au sud et l’est à l’ouest. Le Niger par exemple est frontalier de pas moins de 8 pays dont le Nigéria, l’Algérie et la Lybie (c’est dire !).
Là, sous nos yeux, putsch après putsch, et devant l’impuissance de la Cedeao, ce formidable trait d’union géographique et humain est en train de devenir « l’Homme malade » du continent. Et ne me dites pas que ce sont des apprentis-sorciers comme Assimi Goïka, Mamadi Doumbouya, Ibrahime Traoré et Abdouramane Tchiani qui vont le rétablir ! Ils n’en ont ni la compétence ni la légitimité.
Tierno Monénembo
Source : Le Point