Le romancier guinéen Tierno Monénembo a signé une tribune dans les pages de l’hebdomadaire français Le Point où il estime que « tout doit être fait pour décourager les coups d’État en Afrique ». Faut-il aller jusqu’à une intervention armée de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ? Comment doit évoluer la relation des États africains avec la France ? Entretien avec Tierno Monénembo.

RFI : Tierno Monémebo, dans votre tribune, vous estimez que si les militaires réussissent leur coup à Niamey, c’en sera fini de la démocratie en Afrique. Pourquoi ?

Tierno Monémebo : Parce qu’il me semble que ce coup d’État est une espèce de provocation. On a déjà vu le coup d’État de Bamako, de Conakry, de Ouagadougou. J’ai l’impression que c’est une suite logique qui s’est produite à Niamey. Il y a une espèce de conspiration anti-démocratique qui est en train de se manifester sur l’ensemble de la région. Il faut y mettre un terme maintenant, sinon à mon avis, c’est toute la région qui risque de se retrouver sous la coupe des régimes kakis.

Selon vous, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) est en droit et en devoir d’agir contre la junte au Niger. De quelle manière ? Est-ce que cela inclut une intervention armée ?

Dans mon esprit, oui. Pour moi, la négociation ne doit pas être éternelle. Il faut bien qu’elle aboutisse à quelque chose. Si la discussion, si les négociations, si les rencontres diplomatiques n’aboutissent pas rapidement à un retour à l’ordre constitutionnel et à un retour au pouvoir du président élu, le président Mohamed Bazoum, alors la solution armée reste la seule possible. Il faudra y aller !

Est-ce que cela n’est pas un pari très risqué ?

Il faut prendre des risques. Je pense qu’il faut risquer maintenant de sauver la démocratie africaine pour conjurer toutes les menaces que font peser les coups d’État militaires sur l’avenir de l’Afrique. Il faut prendre le risque maintenant.

Vous écrivez que le pouvoir militaire est synonyme de corruption et de répression. Comment interpréter les marques de soutien aux putschistes à Niamey après des manifestations semblables au Mali, au Burkina Faso et en Guinée ?

Les manifestations populaires spontanées en Afrique, je n’y crois pas beaucoup. Je suis un Guinéen, j’ai longtemps vécu sous le régime de Sékou Touré. Je sais ce que manipulation politique veut dire. Il faut faire attention avec ça.

Que nous disent les appels au départ des troupes étrangères présentes au Niger ?

Ces troupes étrangères auraient dû quitter non seulement le Niger, mais toute l’Afrique depuis bien longtemps. On n’y a pas pensé, c’est maintenant qu’on y pense. Et pourquoi ? C’est ça le problème. Pour l’instant, la question préoccupante, c’est le retour à l’ordre constitutionnel, le retour du président Mohamed Bazoum à sa fonction légitime. Le reste, les questions de fonds, on les traitera par la suite lorsque le gouvernement légal, légitime sera revenu au pouvoir au Niger.

Comment expliquez-vous ce paradoxe : un sentiment de plus en plus répandu en Afrique de l’Ouest d’une attitude néocoloniale de la France, alors que concrètement l’influence de la France y est de plus en plus concurrencée par d’autres puissances étrangères ?

Bien sûr. C’est parce que, à mon avis, un certain nombre de discours, un certain nombre de gestes venus de la part des dirigeants français ont beaucoup exaspéré en Afrique : le discours de Dakar est là, le fait que Macron s’est déplacé à Ndjamena pour adouber le fils du dictateur Déby… Tout cela, ça frustre les Africains, tout ça heurte la sensibilité africaine. Évidemment, il y a aussi un vieux ressentiment colonial qui parfois se manifeste, qui parfois est plutôt silencieux par rapport à l’ancienne puissante coloniale. Les relations entre la France et l’Afrique ne seront jamais un long fleuve tranquille. Cela est évident.

Comment selon vous peut-on sortir de cette impasse ?

En discutant. En parlant sincèrement. Il faut que la France apprenne à parler aux Africains. Je le disais un jour à un diplomate français : vous n’avez jamais tenu la parole qu’il faut aux générations africaines d’aujourd’hui. La France parle à l’Afrique comme si c’était encore l’Afrique du 19e siècle, l’Afrique des vieux paysans des villages, superstitieux, fatalistes. Non. L’Afrique est moderne. Mentalement, au moins. On manque encore beaucoup d’usines. Mais la mentalité moderne est déjà chez nous, notre jeunesse est connectée, connectée avec le monde moderne. Elle connait ses droits, elle est prête à les revendiquer et elle est prête à se battre pour les gagner. Il faut parler à cette jeunesse-là. Il faut parler à l’Afrique réelle, non pas aux dictateurs et aux fils des dictateurs.

RFI