Après avoir fusionné, en 2012, le FUDEC (Front uni pour la démocratie et le changement) et annoncé, récemment, sa retraite, François Louncény Fall a signé son retour en politique. A la surprise générale. Le 12 août, à Kipé (Ratoma), il a officiellement lancé l’UNPG (Union nationale des patriotes de Guinée), en prélude aux prochaines échéances électorales. Il a expliqué ses motivations et sa vision à La Lance.

La Lance : Pourquoi revenez-vous en politique ?

François Louncény Fall : J’avais décidé de ne plus faire de la politique, me mettant en retrait complètement. J’en ai fait l’amère expérience en 2010. J’avais remarqué que le vote était clanique : tous les Peuls votaient Cellou Dalein ; les Malinkés, Alpha Condé…Il n’y avait pas de débats, on n’écoutait même pas les autres. Nous, on s’échinait à défendre nos programmes, à expliquer comment on comptait gouverner…Les autres avaient des foules derrière qui les suivaient. Après cette élection-là, je me suis dit que franchement, si c’est cela la politique, je m’en éloigne. J’ai servi dans le gouvernement, puis j’ai été, six ans durant, représentant des Nations unies en Afrique centrale. En juin 2022, je suis rentré en Guinée. J’ai écrit mes mémoires que je m’apprêtais à publier.

Mais depuis mon apparition au procès du 28 septembre 2009 (comme partie civile, ndlr), tout le monde vient vers moi. Partout, les Guinéens m’interpellent: on vous a vu, vous avez la carrure d’un homme d’Etat. On a besoin des gens compétents, instruits, cultivés, honnêtes… comme vous. Le procès a démontré beaucoup de choses. La demande est devenue de plus en plus pressante. En regardant le paysage politique, je suis un peu inquiet : je ne vois vraiment pas le calibre que j’aurais souhaité. Alors, j’ai répondu à la demande des gens en créant un parti.

Malgré votre opposition au vote ethnique, vous aviez soutenu Alpha Condé en 2010

Je vais vous donner les détails, puisque vous m’en donnez l’occasion. Au lendemain de la proclamation des résultats du premier tour de la présidentielle, je suis allé chercher Sidya Touré et Lansana Kouyaté. Nous nous sommes réunis. C’est la première fois que j’en parle dans la presse. J’ai dit qu’il faut, à trois, qu’on définisse une ligne commune face aux deux candidats du second tour. Après, j’ai appelé Cellou Dalein Diallo pour lui dire que nous n’avons pas encore décidé de qui choisir, entre Alpha et lui. Depuis ce jour, Cellou ne m’a plus fait appel, considérant certainement qu’il n’a pas besoin de nous. Il voulait gagner seul. A l’inverse, Alpha nous a fait la cour. C’est après que Cellou s’est réveillé, pour aller chercher Sidya qui avait un score de 12 %, croyant que la calculette allait fonctionner.

Vous verrez, mon parti ne sera pas celui des Malinkés, mais des Guinéens. L’ethno-stratégie est une sottise.

Avant votre témoignage au procès, n’aviez-vous pas l’intention de revenir en politique ?

Pas du tout. Même quand, le premier jour, je suis sorti de la salle d’audience, des jeunes m’ont suivi, disant que si j’ai un parti, ils allaient adhérer. J’ai répondu que je ne fais plus de la politique.

Vouliez-vous continuer dans la diplomatie ?

Oui ! Si on m’avait donné un autre poste, je serais parti. Mais je ne voulais pas me mêler de la politique intérieure.

Vous étiez toutefois disposé à conseiller la junte…

Euh…pas à être le conseiller de la junte, mais à donner des conseils à tous les Guinéens. Tout le temps que j’ai passé aux Nations unies, je me suis échiné à conseiller les dirigeants et les opposants de dialoguer et de renoncer à la violence. C’est ce conseil que je tenais à donner. Je n’ai été tenté d’occuper un quelconque poste auprès de la junte.

Qu’avez-vous à offrir aux Guinéens ?

Je veux faire la politique autrement. C’est pourquoi j’ai intitulé mon parti Les Patriotes. J’apporterai à la Guinée l’expérience que j’ai accumulée, au service de mon pays d’abord et de la paix en Afrique. Tout ce que j’ai recommandé aux autres, je vais l’appliquer ici. Je veux transformer la Guinée. Avec un bon leadership, il n’y a pas de raison que dans cinq ou six ans que la Guinée ne s’en sorte pas. Un bon leader se fera entouré par des compétents, honnêtes. La chose publique est gérée en Guinée d’une certaine manière que je n’approuve pas. Je vais moraliser la gestion publique guinéenne, faire en sorte que les ressources soient utilisées rationnellement, créer des infrastructures éducatives, industrielles pour transformer nos matières premières sur place. Je crois qu’un début d’industrialisation est possible. Les revenus des ressources minières doivent servir à cela. Je veux lutter contre la corruption, changer la manière dont l’argent circule, en numérisant le circuit financier. J’en ai eu l’expérience avec les Nations unies. J’appliquerai les mêmes règles en Guinée.

J’ai informé tous les leaders politiques de la création du parti : Cellou Dalein, Sidya Touré, Lansana Kouyaté et même Kassory qui est en détention.

Qui sont vos soutiens ?

J’ai d’abord besoin du soutien de mes compatriotes, ressortissants et résidants. Je ferai venir toutes les compétences qui sont à l’extérieur, de quelque région que ce soit. Naturellement, de par mes fonctions à l’étranger, vous pouvez imaginer que j’ai un carnet d’adresses bien fourni qui, si je suis élu, me permettra de trouver des financements. On me verra à l’œuvre.

Serez-vous candidat à la prochaine présidentielle ?

J’ai créé le parti pour être candidat. Tout le monde le sait. Cela n’exclut pas que je participe aux communales et aux législatives. Je conduirai une liste nationale et, certainement, je serai candidat à la mairie d’une grande ville.

Kankan ?

Là où je suis sûr d’être élu facilement, là où je pourrai apporter quelque chose.

Redoutez-vous un glissement du chronogramme de la transition ?

D’abord, mon plus grand souhait est que la Charte de la transition soit respectée. Si les membres du CNRD ne sont pas candidats, les élections sont ouvertes, j’en serais ravi. Visiblement, on sent que la durée de deux ans de transition ne sera pas respectée. Mais je souhaite vivement qu’il n’y ait pas un grand retard dans l’exécution du chronogramme. Le retour à l’ordre constitutionnel est le vœu de tous. Il faut que la Guinée redevienne un Etat normal, par la mise en place d’institutions démocratiques.

Entre participants et absents au dialogue politique, comment se positionne l’UNPG ?

J’ai toujours été un partisan du dialogue. Quand il y avait la crise politique en Guinée en 2013, marquée par des manifestations et du retard dans l’organisation des élections législatives, nous avions réussi à convaincre le président Alpha Condé qu’il fallait absolument aller à un dialogue politique. Ministre, j’ai été accepté par toutes les parties pour présider le cadre de dialogue qui a permis d’aller finalement aux législatives. Dans mes fonctions de représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en Afrique centrale, j’ai toujours privilégié le dialogue pour prévenir les conflits. Si j’étais-là, j’aurais participé au dialogue. Cela n’est pas synonyme de compromission avec le CNRD, mais c’est autour de la table qu’on peut faire valoir son point de vue. En 2016, j’ai encouragé les Gabonais à aller à un dialogue sans tabou proposé par le gouvernement et rejeté par l’opposition. J’ai fait la même chose au Tchad. La politique de la chaise vide n’a jamais payé. Si aujourd’hui on appelle à un dialogue politique, je serai présent. Je suis contre la violence.

Pourquoi avez-vous préféré créer un parti que de vous battre pour être le candidat du RPG arc-en-ciel ?

Je vais être franc avec vous. Nous avions fusionné avec le RPG parce que nous avions soutenu le président Alpha Condé au second tour de la présidentielle de 2010 au sein de l’alliance Arc-en-ciel. Une fois qu’on a eu la victoire, le parti présidentiel est passé de RPG à RPG arc-en-ciel. Nous avons fondu en pensant qu’on allait jouer un rôle au sein de ce nouveau parti. Mais après, nous n’avons eu aucun poste. Je n’ai jamais finalement milité au RPG arc-en-ciel.  

Vous avez quand-même été nommé à la présidence, puis ministre des Affaires étrangères

C’était juste après la présidentielle et avant la fusion. J’ai été le premier à être nommé secrétaire général à la présidence, puis ministre des Affaires étrangères. Le RPG arc-en-ciel était censé être un grand parti au sein duquel on devait jouer un rôle. Malheureusement, nos membres n’y ont eu aucun poste. Le RPG n’a pas absorbé les autres. On est restés comme ça. C’est pour cette raison que j’ai eu de la désaffection pour le parti. Ainsi, je n’avais aucune raison d’y revenir pour dire que je vais être son candidat. Je ne me considère pas comme membre du RPG.

Qu’est-ce qui avait occasionné votre rupture avec feu le président Lansana Conté ?

Premier ministre, j’avais à cœur de réussir, de réformer l’économie du pays, d’assainir les finances. Toutes les réformes que j’ai engagées ont été bloquées : 70 % des marchandises qui entraient à l’époque à Conakry étaient exonérées. Le président avait créé un conseil économique du secteur privé qu’il a confié à une seule personne. Je m’y suis opposé, en vain. De même que pour la libéralisation des ondes et contre le pillage de la Banque centrale. Plutôt que d’être complice de ce qui est arrivé après, j’ai préféré jeter l’éponge et partir.

Interview réalisée par

Diawo Labboyah Barry