Avec tambour et trompette, le gouvernement Goumou a été évalué faim juillet. Les Guinéens espéraient que soient publiés dans la foulée les résultats du test et remerciés les « mauvais élèves ». Pour y voir plus clair, votre canard a papoté, à bâtons rompus, avec le Dr Amadou Pathé Diallo, prof d’université, expert spécialiste en gestion du changement et amélioration de la performance. Il a accompagné le mystère de l’Enseignement supérieur dans la mise en œuvre du Contrat de performance signé entre Nanard Goumou et son gou-bernement.

Le Lynx : En quoi consiste la gestion du changement et l’amélioration de la performance ?

Dr Amadou Pathé Diallo : Dans la plupart des pays, les meilleures intentions des gouvernants se heurtent de plus en plus à la réticence, voire à l’hostilité des gouvernés. La gestion du changement constitue l’ensemble des techniques permettant d’accompagner un projet vers sa mise en œuvre, sans résistance. Cela a donc pour objectif d’éviter ou -tout au moins – d’anticiper et de gérer efficacement cette résistance. Une gestion professionnelle du changement aide à amorcer systématiquement de nouveaux comportements souhaitables ou à arrêter des pratiques répréhensibles et de pérenniser les acquis.

Les moyens que nous utilisons pour aider à améliorer la performance de nos partenaires sont une combinaison de littérature éprouvée, d’expériences vécues et un outil de diagnostic organisationnel puissant appelé DMOA (Direction du mouvement organisationnel actuel) qui permet de déterminer si la performance d’une organisation est ascendante, stagnante ou descendante et à quel degré.

Vous faites partie de ceux qui ont accompagné les départements ministériels dans la mise en œuvre du contrat de performance les liant à la Primature. Cela a été suivi d’une évaluation du gouvernement…

Le but de mon accompagnement est d’aider à être performant et non de faire face à une éventuelle évaluation. L’objectif vise à faire des recommandations correctives à ceux qui sont en difficultés ou l’amélioration continue pour ceux qui sont performants.

La grille d’évaluation du contrat de performance s’articule sur dix critères : l’évaluation de la lettre de mission du ministère pour 25% du total des points, l’exécution des décisions des conseils des ministres pour 20%, le taux de décaissement du budget 2023 pour 10%, entre autres.

Que savez-vous des résultats de l’évaluation publiés récemment ?

Je les ai lus sur Internet, comme bon nombre de Guinéens. Et comme tel, je laisse le soin à chacun des les commenter. Je suis assujetti à un devoir de réserve.

Quels sont les départements les plus performants et les plus médiocres ?

J’éviterais d’employer le mot « médiocres » pour la bonne et simple raison qu’en matière de performance, bien que le résultat soit important, il ne faut pas occulter la pertinence du respect des normes et procédures dans l’atteinte et la pérennisation de ce résultat. Autrement dit, le contrat de performance COP-GUI 2023 ne fait pas fi à la courbe d’apprentissage.

L’opinion publique attend pourtant que soient remplacés les ministres non performants.

À moins que le gouvernement veille changer le contenu du contrat en cours pour y introduire des nouvelles clauses. Sinon, ce n’est pas ce que le contrat actuel prévoit. Si l’opinion publique pense que cette évaluation doit être comme un examen scolaire, elle risque d’être déçue. Mais c’est peut-être dû à un déficit de communication.

Si l’objectif d’une évaluation n’est pas de sanctionner positivement ou négativement, pourquoi l’organiser ?

Quand Isaac Newton a été couronné meilleur inventeur de son temps, un de ses amis l’a invité dans son laboratoire pour voir comment il arrive à faire des découvertes plus que tout le monde. Newton a immédiatement accepté. Lors de ses travaux, son ami l’observa faire mille essais sans succès et quand il a commencé le 1001e, aussi gaiement que les précédents, son ami s’est exclamé : « Je vois pourquoi tu inventes plus que tout le monde ! Ce n’est pas parce que tu es le plus intelligent, c’est parce que tu es plus bête que tout le monde. Tu viens d’échouer mille fois et tu ne t’en es même pas rendu compte ! » Newton lui a répondu : « Au contraire, je n’ai pas échoué mille fois. Je n’ai fait que découvrir mille manières par lesquelles cela ne marchera pas. C’est autant important que découvrir la seule manière par laquelle ça marchera. »

Le contrat de performance a plusieurs mérites. Par rapport aux critères de performance évoqués plus haut, il a rendu les objectifs du gouvernement SMART (Spécifiques, Mesurables, Atteignables, Réalistes et Temporaires) dans le vrai sens avec des détails sur comment le résultat sera apprécié. Ceci est un grand saut vers la clarté et la redevabilité. Le COP-GUI vise à faire passer l’approche de la gestion des affaires publiques d’une « logique projet » à une « logique système », avec des avantages substantiels dont l’introduction de la pérennité des processus par l’amélioration continue et la Gestion Axée sur les Résultats (GAR) que la logique projet ne peut jamais offrir.

Si les membres du gouvernement savent que l’évaluation ne donne lieu à aucune sanction, est-ce qu’ils fourniront d’effort pour être performants ?

Nous avons, peut-être, une approche différente. Vous les journalistes dites souvent que l’événement c’est quand le train n’arrive pas à l’heure. Ce qui n’est pas le cas d’un expert et consultant que je suis. Moi, j’ai une approche technique et pédagogique. Je ne suis pas un journaliste, encore moins un homme politique. Je préfère voir le verre à moitié pleine qu’à moitié vide.

Vous avez accompagné le ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation (MESRSI). Savez-vous si tous les départements ont fait appel à des experts comme vous ?

Honnêtement, je ne le sais pas ! Cependant, ceux qui font appel à l’expertise d’autrui le font parce qu’eux-mêmes sont des experts rompus à la tâche, avec une auto-évaluation précise de soi leur permettant à la fois de déterminer le levier qu’ils peuvent créer par la consultation et de savoir reconnaître les qualifications requises de l’expert choisi. Cela est d’autant vrai que Mark Twain dit que « le plus grand problème avec la connaissance n’est pas l’étendue de notre ignorance, mais le degré de fausseté que nous croyons savoir. » Seule l’expertise permet de mesurer l’étendue de l’ignorance. Ceux qui ignorent leur ignorance sont dans la chimère de ce qu’ils croient savoir.

Pour ma part, Dieu sait que j’ai eu l’honneur de travailler avec des femmes et des hommes hautement illuminés au MESRSI.

A quand la prochaine évaluation ?

Elle s’effectuera entre le 1er et le 15 octobre 2023 et consistera à vérifier le niveau de mise en œuvre des recommandations issues de la dernière évaluation.

Interview réalisée par

Habib Yembering Diallo