Saisie le 28 février dernier, la Cour de justice de la Cedeao a ordonné à l’Etat guinéen de libérer « immédiatement et sans condition » trois ex-ministres d’Alpha Grimpeur et à leur verser 10 000 dollars ricains chacun. Pour le reste, l’arrêt de 47 pages rendu le 16 octobre en audience publique virtuelle a presque renvoyé les deux parties dos à dos.
L’ex-PM, Cas-Sorry Faux-fana et les anciens ministres Mohamed Diané et Oyé Guilavogui ont arraché, le 16 octobre devant la Cour de justice de la Cedeao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), une victoire sur le fil du rasoir. Une courte mais précieuse victoire qui règle leur principal problème : celui de leur détention sans jugement depuis un an et demi.
La juridiction sous-régionale a jugé arbitraire leur longue incarcération sans procès et a ordonné leur « libération immédiate et sans condition ». Privés de passeport dès le lendemain du renversement d’Alpha Grimpeur, leur liberté d’aller et de venir a été violée, sans base légale. Les avocats (sans vinaigrette) de la défense d’arguer que les plaignants n’ont jamais été interceptés aux frontières ni produit de billet d’avion ou tout autre contrat de transport prouvant leur empêchement de sortir du territoire. Mais pour la Cour, le mal réside dans la confiscation des titres de voyage, sur simple instruction des nouveaux maîtres du pays.
Cas-Sorry, Diané et Oyé ont réclamé une réparation à hauteur de 350 000 dollars ricains, chacun. Une cagnotte jugée « exagérée » par la Cour, qui a retenu une misère de 10 000 dollars.
Arrestation légale, détention arbitraire
Si leur arrestation au départ était justifiée, en raison des charges qui pèsent sur eux, la Cour estime que leur maintien au gnouf n’est plus indispensable pour la manifestation de la vérité, « surtout qu’ils ont démontré qu’ils offrent des garanties suffisantes de représentation en répondant librement aux convocations des enquêteurs pendant tous les deux mois qu’a duré l’enquête préliminaire ». Sans compter que les chambres de l’instruction et de contrôle de l’instruction de la Crief (Cour de répression des infractions économiques et financières) ont ordonné la mise en liberté des prévenus, assortie de contrôle judiciaire.
« Il en résulte que le procureur spécial, en se livrant à des déclarations à la radio nationale concernant les inculpés, a violé leur droit à la présomption d’innocence », a ajouté la Cour.
La main sur le palpitant, Mamadi Doum-bouillant avait dès le lendemain de son putsch juré qu’« il n’y aura pas de chasse aux sorcières ». Trois mois après, en décembre 2021, la refondation a accouché de la Crief pour « moraliser » la gestion publique. Premier sur le banc des accusés de la nouvelle juridiction, le dernier gouvernement d’Alpha Grimpeur, pour détournements de deniers publics, enrichissement illicite, blanchiment d’argent, corruption et complicité.
C’est à la suite de cela que des anciens dignitaires du régime déchu comme Cas-Sorry Faux-fana, Mohamed Diané et Oyé Guilavogui ont été expédiés à l’Hôtel cinq étoiles de Coronthie. Après avoir bataillé à l’interne pour recouvrer leur liberté en vain, le trio a saisi le 28 février dernier la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) d’une requête contre l’Etat guinéen. Les requérants se plaignent de leurs « arrestation et détention arbitraires, violation de leur droit d’aller et venir, leur droit à un procès équitable ». Dans une autre requête le même jour, ils demandent à la Cour d’examiner leur affaire selon une procédure accélérée. Une demande aussitôt rejetée, ainsi que les exceptions d’incompétence et de défaut de qualité des requérants soulevées par les conseils de l’Etat de Guinée.
Un arrêt insusceptible de recours
Tous poursuivis, mais pas tous détenus : les requérants déplorent que certains de leurs anciens collègues, comme l’ex-ministre des Hydrocarbures Diakaria Koulibaly, poursuivis pour « des faits identiques » soient libérés. Les avocats de l’Etat guinéen ont rétorqué que ces derniers, contrairement à Cas-Sorry et Cie, ont payé leur caution. Leurs comptes bancaires et biens étant saisis ou gelés, les requérants empêchés de travailler pour satisfaire leurs besoins et ceux de leurs familles respectives, la juridiction communautaire relève l’impossibilité pour les inculpés de payer de faramineux montants de cautionnement. Elle dit comprendre « aisément dans ce processus l’intention du défendeur de maintenir les requérants en détention tout en donnant l’impression de se conformer aux mécanismes de protection des droits de l’homme ».
L’Etat de Guinée dispose de trois mois, à compter de la notification de l’arrêt, pour s’exécuter. « Chaque partie ayant succombé partiellement, la Cour dit que chacune d’elle supportera ses propres dépens », a-t-elle conclu.
Diawo Labboyah