Le procès du massacre du 28 septembre 2009 se poursuit au tribunal criminel de Dixinn délocalisé à Kaloum. Mardi 17 octobre,  Amadou Diallo, ancien correspondant de la BBC en Guinée a témoigné devant la barre. Il a expliqué combien de fois les violences étaient atroces et macabres le 28 septembre 2009 au stade de Dixinn.

Amadou Diallo a expliqué que le jour de la manifestation, il est arrivé au stade aux environs de 8heures, le Colonel Moussa Tiegboro Camara (dans le box des accusés) l’a trouvé sur place. Il demandait aux manifestants de retourner à la maison. C’était une façon de les dissuader, parce qu’il prononçait des mots durs contre les manifestants. « Les gens ne voulaient pas accepter. Ils lui ont dit : « Non ».  « J’ai vu  Colonel Tiegboro faire un geste (de la tête) avant de rejoindre son véhicule. Dès après, les gendarmes et policiers qui étaient sur place ont lancé des gaz lacrymogènes. Nous avons été dispersés d’une manière violente… »

De là, Amadou Diallo décide d’aller chez Jean-Marie Doré où  se sont retrouvés les leaders des Forces vives, organisateurs de la manifestation. Arrivé au niveau de l’Université Gamal Abdel Nasser, le journaliste trouve un cordon sécuritaire. « Le colonel Tiegboro est arrivé à pied, accompagné de deux pick-up. Il a demandé aux leaders de renoncer au meeting. Il y a eu une discussion entre lui et Sidya Touré. Il a demandé à Sidya : ‘’Qu’est-ce que le président vous a dit hier ? ». Sidya Touré a répondu : « Il m´a demandé de reporter la manifestation, mais je ne pouvais pas parce qu’il était une heure du matin’’. Le colonel Tiegboro réplique en disant « non, il n’était pas une heure, j’étais à côté ‘’ ».

Entre temps, Mouctar Diallo, leader des NFD a commencé à parler. Tiegboro a dit : « Hé, hé, c’est lui qui parle ici, je lui rentre dedans, moi je parle aux grands leaders ». (…) »

L’épisode à l’intérieur du stade

Amadou Diallo a indiqué qu’il attendait un appel de la BBC à midi, jusqu’à 12h 20 min, il n’a pas reçu l’appel. C’est ainsi qu’il a entendu les tirs. C’était des militaires de la garde qui ont fait irruption, la débandade a commencé. Il y avait une bousculade folle. Dans cette ambiance où tout le monde se cherchait, « j’ai vu Mouctar Bah (AFP-RFI Ndlr), je l’ai interpellé, je lui ai demandé de rester sur place. Le pire qui peut nous arriver, c’est une arrestation. Entre temps, un jeune soldat arrive, très menaçant, il nous a demandés ce qu’on faisait là. Nous lui avons répondu que nous sommes des journalistes, correspondants de RFI et de BBC en Guinée. Il n’en fallait pas plus pour qu’il se déchaîne sur nous. « C’est vous qui vendez la Guinée à l’étranger », nous a-t-il dit. Il a braqué son arme sur nous. Il nous a agenouillés au même moment. Un militaire qui a son arme face à des journalistes qui n’ont que leurs stylos ? On ne pouvait pas résister. Il nous a demandés de mettre les mains au dos. Et c’est là que j’ai eu peur. Je pensais qu’il voulait nous exécuter. C’est après qu’un militaire, haut gradé, est venu dire au soldat de nous laisser, parce qu’on était ensemble à Labé (à l’occasion de la visite de Dadis dans la ville le 26 septembre 2009). Même cet officier qui nous a sauvés violentait, se déchaînait sur les manifestants, il les tabassait. J’ai vu des corps allongés, j’ai vu des personnes blessées, la violence se poursuivait sans répit. J’ai vu des corps, des gens couchés avec les yeux hagards qui faisaient face au soleil. L’officier a commis un policier habillé en tenue de la police routière pour nous sortir du stade, il tenait un tronc d’acacia, il disait : ‘’Journalistes, journalistes ». On nous laissait passer. Pendant ce temps,  la violence se déchaînait sur les manifestants. J’ai enjambé des corps en sortant du stade. Arrivé au grand portail,  le policier a dit que sa mission s’arrêtait là. Il avait probablement peur. A l’esplanade du stade, il y avait des militaires surexcités, déchaînés qui violentaient les gens. Je ne pouvais pas imaginer combien de personnes sont tombées le 28 septembre. Pour traverser une distance de moins de 100 mètres, c’était une éternité… »

Au niveau de la terrasse (devanture du stade), en face de la station de Dixinn, Amadou Diallo et Mouctar Bah sont tombés sur un groupe de gendarmes habillés en tee-shirt noirs (éléments de Tiegboro). Ils se sont présentés, les gendarmes se sont déchaînés sur eux,  ils leur ont pris leurs téléphones et leur argent. « J’avais des sons, des bons sons, que je ne voulais pas qu’ils  tombent dans les mains de ces gendarmes. Un m’a pris gentiment par la main, il a sorti un poignard qu’il a tenu par la lame, il m’a cogné violemment sur la main droite, ça faisait très mal… » Ce qui l’a sauvé, c’est l’arrivée d’un certain Katy du protocole de capitaine Moussa  Dadis Camara. Katy a présenté aux gendarmes son badge CNDD, il s’est imposé, il a demandé à ce qu’on les libère. « Je lui ai dit qu’un gendarme a pris mon téléphone, il (Katy) a appelé le gendarme pour lui dire de me remettre mon téléphone. Le gendarme a sorti des téléphones qu’il avait probablement arrachés, parmi ces téléphones, j’ai pris le mien et j’ai dit à Mouctar de venir prendre le sien. Nous sommes rentrés dans le quartier Landréyah, nous nous sommes dirigés vers une dame militaire pour lui dire de nous aider. Elle nous a aidés sans nous dire. Elle a pris son fusil de façon horizontale, elle nous a poussés en disant ‘’dégagez, dégagez’’, et nous avons traversé la route. Nous nous sommes retrouvés au domicile de Maître Amara Bangoura, nous avons travaillé là, toute la journée ». 

Selon Amadou Diallo, après la manifestation, les militaires traquaient les jeunes dans le quartier. Et de poursuivre : « Vers 18h, nous avons décidé de quitter, puisqu’il y avait moins de tirs. Mais le chemin était dangereux. Il n’y avait que les camions militaires qui circulaient. Et ça faisait peur. Quand je suis arrivé chez moi, je n’avais pas le vocabulaire pour expliquer le calvaire que j’ai traversé. J’ai dit à mes enfants « personne d’entre vous ne sera militaire », puisque l’un d’eux tenait coûte que coûte à faire l’armée.

Le reportage de tous les ennuis

Difficilement sorti de Dixinn et rentré chez lui à Kaporo-Rails, Amadou Diallo s’est rendu compte qu’il avait oublié son sac chez Me Amara Bangoura. « J’ai dit que j’allais repartir prendre mon sac, ma famille s’y est opposée. Mon garçon qui voulait faire l’armée a dit qu’il allait m’accompagner, il m’a accompagné. Je suis allé chercher mon sac, je suis rentré à la maison. Sur la route, il n’y avait que des militaires partout, c’était dangereux. Arrivé à la maison, j’ai travaillé toute la nuit, j’avais enregistré beaucoup de sons, y compris des coups de fusils. Mon calvaire s’est poursuivi, lorsque le reportage a été diffusé à 6h du matin sur la BBC. Parce que c’est à partir de là que la garde présidentielle (du capitaine Dadis) a commencé à me traquer. J’ai reçu trois appels dont un qui provenait de la garde rapprochée de Dadis qui me connaît, qui connaît mes enfants. Donc, il a appelé mon fils, il lui a demandé de me dire de quitter. J’ai reçu un autre appel d’un colonel qui m’a demandé aussi de quitter ma maison. Un ancien ministre (de feu Lansana Conté) m’a aussi appelé le mardi à 23heures. Lui aussi, m’a demandé de quitter. Je vivais avec ma mère qui avait 90 ans, donc fragile. Mon premier fils était au lycée, son frère venait d’avoir le BEPC, l’autre l’examen d’entrée en 7ème année, donc c’étaient des enfants. Finalement, à minuit, je décide de quitter. Ma femme m’a déposé à Kipé chez Alhassane Sylla (correspondant de BBC angalis), elle est rentrée. Mon épouse a amené ma maman à Ratoma, chez mon grand frère. On a quitté le quartier sans dire au revoir à personne. Quelques jours après, je suis allé dans un hôtel à Taouyah où je suis resté pendant une dizaine de jours (…) Je me suis concerté avec la famille, on est rentrés à la maison, mais c’était difficile. Tout était barricadé. Je suis rentré dans la clandestinité jusqu’au jour où la BBC a décidé de nous exfiltrer pour Dakar. On a ramené ma mère au village, une année après, elle est décédée (silence). Je n’ai pas pu vivre les derniers instants de ma mère.  Monsieur le président, si je me suis constitué partie civile, c’est parce que j’ai été violenté, ma famille a été violentée, traumatisée. Je n’ai jamais pensé m’exiler. Je ne réclame que justice. Je suis là, pour que justice soit faite. Je suis là pour que ce genre d’événements malheureux ne se reproduisent plus dans notre pays », a déclaré Amadou Diallo. 

Mamadou Adama Diallo