C’est le titre que consacre le jeune philosophe guinéen, Alioune Bah, à la pensée du philosophe sénégalais, Souleymane Bachir Diagne, qui n’est plus à présenter. Philosophe de génie, comme le note Alioune Bah, Souleymane Bachir Diagne touche et sublime tout : la littérature africaine et la postcolonialité, la philosophie, la logique, la philosophie de l’innovation et la prospective. Mais c’est le versant de sa philosophie de la religion qui noue un dialogue fécond avec des grandes figures comme Ghazali, Averroes, Ibn Tufayl, Bergson et Iqbal qui est ici abordée. L’auteur montre également le philosophe sénégalais dans ses différents dialogues avec des philosophes de notre époque : Philippe Dumont Cappelle et Rémy Brague.
Le jeune philosophe guinéen présente un plan convaincant, qui est, selon l’expression du préfacier, Éric Geoffroy, un plan « ascendant » qui part de la raison humaine vers la supra raison, la raison divine dont le mysticisme (un autre mot pour parler du spirituel) offre le chemin. À travers cinq chapitres, les enseignements islamiques autour de la raison sont présentés en lien avec les conjonctures politiques sans omettre le jeu des courants philosophiques et théologiques.
Dans le premier chapitre, l’auteur saisit la place de l’anthropologie coranique et la liberté qu’elle accorde à l’Humain dans le développement du monde. Les versets sur la création de l’Humain, dernier des êtres créés, est en vue de continuer l’œuvre divine dans le monde. En tant que tenant lieu, l’Humain doit donc contribuer à une cosmologie dynamique. Sa liberté et le don de la potentialité qui lui sont reconnues doivent servir à cet effet.
La question du rapport de la révélation et de la raison meuble le deuxième chapitre. Le philosophe guinéen distingue différents régimes de rationalité et reconnaît les différences qui structurent les différents messages révélés. Autrement, il montre comment Dieu se révèle différemment dans les religions statutaires et note les révélations dans la Révélation (à entendre ici comme théophanie). Les distinctions posées sont intéressantes et conduisent, que ce soit le régime de la rationalité ou de la révélation, à saisir l’intention de la religion qui consiste dans le plein épanouissement de chaque individu. On y retrouve une belle confrontation philosophique des pensées françaises et allemandes sur leur relation au Révélé, et la place de l’œuvre du philosophe sénégalais apparaît comme réconciliatrice, comme médiatrice et comme affirmation de la philosophie islamique faisant partie intégrante de l’histoire globale de la Philosophie.
Le troisième chapitre analyse les résistances à la raison dans l’Islam. L’auteur présente les théories du mimétisme de ce qu’il y avait avant et la fermeture au temps. Ces attitudes conduisent donc au refus de l’altérité, à la violence et aux formes de fondamentalisme que notre époque connaît par la terreur qu’elles peuvent engendrer. Pour en sortir, l’Éducation est nécessaire.
C’est la question traitée dans le quatrième chapitre. L’Éducation est au cœur de la pensée religieuse du philosophe Souleymane Bachir Diagne. Appliqué à l’Islam, le philosophe sénégalais appelle à une lecture réticulaire, très bien exposée par Alioune Bah. Il s’agit de repérer comment, de manière interne, les versets du Coran s’éclairent les uns les autres à travers des réseaux de signification qui rendent manifeste l’enseignement humaniste et éthique de l’Islam. Cette même Éducation doit permettre de s’ouvrir à la Science et à la Philosophie qui sont des efforts rationnels pour comprendre le monde en vue de l’inscrire dans une dynamique perpétuelle de changement qualitatif.
Enfin, dans le dernier chapitre, l’auteur présente la place de la spiritualité en Islam. Si ce point a été souvent dénié à l’Islam, l’auteur montre, à l’instar du philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne, que le spirituel informe la relation éthique et contribue à cheminer vers la perfection qui est notre quête. On y retrouve une description détaillée du cheminement initiatique qui conduit au dépouillement de la matière, possession éphémère, pour s’attacher à ce qui est durable et éternel, c’est à dire la connaissance unitive. Le rôle du Prophète est décrit avec des détails qui permettent de s’inscrire toujours dans cette anthropologie dynamique du Coran qui révèle l’intention première de la religion : « faire un avec soi pour faire un avec le divin ».
Akoumba Diallo