Le procès du massacre du 28 septembre 2009 se poursuit au tribunal de Dixinn délocalisé à la Cour d’Appel de Conakry. Désormais, ce sont les témoins qui défilent à la barre. Ce mercredi 15 novembre, c’est le Général Oumar Sanoh, 64 ans, chef d’état-major général des armées au moment des faits, qui a témoigné. Cité comme témoin par le parquet, le Général Sanoh a d’abord expliqué la relation de travail entre lui, le ministre de la Défense et du Président de la transition d’alors, avant d’évoquer les évènements du 28 septembre 2009.
Selon lui, entre le 25 et le 26 septembre 2009, il est allé au bureau du ministre de la Défense, il ne l’a pas trouvé. Après, il s’est rendu au bureau du capitaine El Dadis. « Monsieur le président a dit, il y a trop de murmures, les gens-là (opposants) veulent sortir, je ne veux voir aucun militaire dehors, parce que je connais les militaires guinéens. Il a pris le ministre de la Défense à témoin, il a insisté et le ministre a dit : ‘’Tu as entendu ? ‘’ Le quartier reste consigné. Nous, on passait toujours par le ministre de la Défense pour aller voir le Président, pour faire le compte rendu ou même pour le rendre visite. Après, ils ont voyagé sur Labé. Dans les radios, tout le monde entendait les murmures sur l’organisation de la manifestation de l’opposition ».
Des doutes sur l’organisation de la manif
L’ancien chef d’état-major général des armées a indiqué qu’il n’était pas convaincu que le meeting du stade allait avoir lieu, parce que les leaders étaient tout le temps avec le Président au Campa Alpha Yaya. Quand nous venions à la Présidence, le ministre entrait, nous on reste à la porte. On apprenait qu’il y avait tel leader, tel leader. Donc, il n’y a pas ce leader qui ne passait pas à la Présidence en ce moment-là. Pour nous, les relations qui existaient entre lui et les opposants, le Président (Moussa Dadis) pouvait les convaincre pour surseoir à la manifestation. C’est pourquoi, on n’était pas sûrs… »
Le communiqué qui consigne les militaires
Quand les opposants ont tenu vaille que vaille à organiser la manif, le Général Oumar Sanoh dit qu’à la veille, le 26 septembre, il a passé un communiqué à tous les chefs d’état-major, aux commandants des grandes unités, de se retrouver au camp Alpha Yaya. Ce qu’ils ont fait. C’était à 10h, il a passé le message, le quartier reste consigné, il ne veut voir aucun militaire si la manifestation a lieu. Les armes aux faisceaux. Seules la gendarmerie et la police sont habilitées à sortir. « Je les ai laissées aussi tôt d’aller dans les unités, faire le rassemblement général, pour passer le message et me rendre compte. On m’a appelé ; effectivement, le message est passé. Il y a des unités qui ont consigné même ce jour, les militaires ont passé la nuit là-bas. Ces personnes sont encore vivantes. »
Du jour du massacre
Le 28 septembre, dès 7h, l’ancien chef d’état-major général des armées dit qu’il était au bureau, au camp Samory. Là aussi, il dit avoir vérifié de ses propres yeux les armes aux faisceaux, le quartier général consigné. Il précise qu’il avait un poste radio qui donnait des informations de ce qui se passait au stade. « C’est à la radio que j’ai suivi beaucoup de choses. Entre temps, vers 10h, 11h, je reçois un appel d’une française de la Croix-Rouge qui m’a dit qu’elle est au stade, ils sont débordés, il y a des blessés et des morts. On n’a qu’une seule ambulance, de les aider à trouver des ambulances. C’est ainsi que j’ai appelé le ministre de la Santé, Colonel Abdoulaye Chérif Diaby, il m’a dit qu’il partait dans son chantier à Coyah. Je lui ai dit que ça ne va pas au stade, aide-nous à avoir des ambulances, on me demande d’envoyer des ambulances. Il a répondu que toutes les ambulances de l’armée étaient en panne, c’est sur cale. Il a appelé la directrice de Donka qui a dit qu’il n’y a qu’une seule ambulance à Donka, qu’elle a mis à disposition pour aller chercher des blessés au stade. C’est ainsi que la dame m’a demandé si je peux l’aider à avoir des camions. J’ai appelé le commandant du train militaire, je l’ai ordonné de préparer trois camions carburés avec des chauffeurs à bord et d’aller directement au stade, ces camions ont été effectivement mis à disposition de la française, elle a confirmé. Après, par l’intermédiaire des chauffeurs, elle a contacté elle-même le commandant du train militaire pour un 4è camion. Ils ont embarqué les corps dedans. Après la dame leur a dit d’envoyer les corps à l’hôpital Ignace Deen, mais ils n’ont pas trouvé de responsables à la morgue. Ils ne pouvaient pas débarquer les corps là-bas. Les chauffeurs ont décidé d’eux-mêmes d’envoyer les corps au camp Samory. Quand la situation a été réglée, ils ont ramené les corps à Ignace Deen. En partant à Ignace Deen, je ne sais pas comment on leur a dit de retourner au camp. C’est après, j’ai appris dans les radios qu’on a enlevé les corps, j’ai appelé les chauffeurs et le commandant du train, ils m’ont dit que la dame a embarqué les 155 corps dans les trois camions pour amener à Ignace Deen. Et ce sont les 155 qui sont venus au camp Samory, ils sont repartis déposer les 155 corps à la morgue. Après tout ça, les camions sont revenus garer au camp, au train militaire. »
Dadis crie à la trahison
Après donc cette journée tourmentée, le général Oumar Sanoh se rend au camp Alpha Yaya, avec le directeur le général de cabinet du ministère de la défense, David Haba, vers 16h. Selon lui, ils ont trouvé « le président Dadis dans le salon, il était avec les éléments du salon. Il criait sur les gens : ‘’vous m’avez empêché de sortir. Je voulais aller calmer les gens, vous m’avez empêché de sortir. Quand il voulait s’approcher de la porte, tout le monde prend ses pieds. Il dit qu’ils ont caché les clés de son véhicule, voilà ce qu’ils ont fait, je connais les militaires guinéens. Ils m’ont trahi.’’ Nous avons cherché à le calmer. Nous n’avons même pas pu lui faire le compte rendu ».
Le général Oumar Sanoh nie toute implication dans la gestion des corps, encore moins dans le recrutement des jeunes à Kaléyah (recrues de Kaleyah). « Le général Sékouba Konaté m’a dit que le recrutement n’est pas mon affaire. Donc, je ne me suis pas intéressé. »
Après les questions du parquet, l’ancien chef d’état-major général des armées fait face aux questions des avocats.
Mamadou Adama Diallo